lundi 31 mars 2008

Conseils littéraires à un futur président de la république

Il y a quelques années, par erreur, j'ai été approché par un (encore) jeune élu qui désirait bénéficier de mes conseils dans la poursuite de sa carrière, qu'il voulait conduire jusqu'à la présidence. Je l'ai perdu de vue, il est sans doute allé se fondre dans la foule des prétendants écartés…

Voici, un peu remis en forme, les conseils que j'avais cru bon de lui donner.

Il est important de songer assez tôt à se faire un nom sur le marché de l'édition. L'idéal serait bien sûr de se faire un nom dans le monde des Lettres, mais il faut savoir modestie garder.

Pourquoi publier un livre sous votre nom? J'y vois trois raisons.

Primo: N'oubliez jamais que le peuple français, tout inculte qu'il soit, garde une grande estime pour "celui qui écrit des livres" (moins que pour "celui qui passe à la télé", certes, mais cela vous avez déjà appris à le faire). Vous pouvez ainsi compléter votre image d'une aura littéraire (un peu inattendue, je vous le concède, mais justement…)

Deuxio: Votre nom étant déjà largement connu, le tirage de votre livre sera écoulé en peu de temps, et si votre éditeur sait faire désirer votre opuscule en jouant subtilement avec les délais de réimpression (rassurez-vous, éditeur, c'est un métier, ils savent faire), vous pourrez atteindre un chiffre de vente confortable, donc une somme rondelette pour votre argent de poche (une toute petite poche).

Tertio: Il n'est pas déplacé de songer à un avenir lointain, où déchargé de la charge de conduire l'état, vous pourrez envisager d'entrer à l'Académie Française. L'élection d'un ancien président de la république au rang d'immortel n'est pas acquise de droit (c'est une honte, mais c'est comme ça). Malgré un sérieux problème de recrutement, ces mesdames et messieurs préfèrent admettre un écrivain reconnu dans leurs rangs. Et les discours politiques ne sont pas admis comme œuvre littéraire (c'est une autre honte, mais c'est comme ça).

Avant de vous mettre à l'ouvrage, il me semble nécessaire de faire rapidement un bilan de vos compétences. Il n'est guère encourageant. Votre syntaxe "spontanée" est déplorable. Je crois que cela fait longtemps que l'on vous conseille de "reprendre les bases" (c'est toujours le conseil que l'on donne lorsqu'il n'y a plus rien à espérer). Votre niveau de vocabulaire est déconcertant, vous en venez trop facilement à un lexique assez vulgaire. Là aussi, il faudra faire un effort de mise à niveau. Votre éditeur pourra utilement vous conseiller de recourir aux services d'un "correcteur".

Mais dans quel domaine allez vous œuvrer?

La détermination que vous affichez depuis votre toute petite enfance à devenir président de la république montre bien à quel point vous manquez d'imagination. Vous sont donc interdites les voies nobles du roman et de la poésie. Je vous déconseille de vous lancer dans l'aventure de l'essai philosophique, vous n'en avez pas le goût, semble-t-il.

Mon conseil sera donc de vous livrer à des travaux historiques bien ciblés. Je veux dire par là qu'il vous faudra délimiter très strictement votre sujet. Et, pour le faire, je vous conseille de vous orienter vers une biographie.

Dans le choix du personnage dont vous allez écrire la biographie, il faut s'assurer d'une possibilité d'identification, mais je vous recommande une certaine prudence. Ecartez d'emblée Jeanne d'Arc, vous avez trop peu d'expérience de la chevauchée… Je vous déconseille Henri IV et Bonaparte, il vaut mieux être agrégé ou diplomate pour se lancer là-dedans…

Choisissez plutôt une homme politique assez proche de nous dans le temps, proche de vous dans les idées, peu connu du grand public et un peu ignoré des historiens. Cette dernière condition vise à réduire votre travail sur la bibliographie (une vague thèse universitaire et un livre en anglais, non traduit, suffiraient).

Enfin, il me semble judicieux de trouver un personnage dont la biographie s'insère dans un grand récit national, tel que la Résistance.




Sur ce dernier point, j'ai senti une grande réticence de sa part.

En gros, selon lui, il fallait en finir avec l'héritage de la Résistance, etc.

Je lui ai dit qu'on pouvait toujours jeter le bébé et garder l'eau du bain. Il est parti sans payer la consultation.




PS: Cela n'a évidemment rien à voir, mais vous pouvez consulter des deux articles du ContreJournal de Libération: article 1 et article 2.

dimanche 30 mars 2008

Fatimata M'baye

J'ai posté hier le témoignage très digne d'une femme, Madame Fatimata M'baye, soumise par la police française à des contrôles "réglementaires" indignes.


En cherchant dans l'actualité si cette affaire avait eu des prolongement (on ne sait jamais…), je suis tombé sur cet article de Jeune Afrique, datant de deux ans, que je vous livre aujourd'hui.

MAURITANIE - 22 mai 2005 - par BIOS DIALLO

Présidente de l'Association mauritanienne des droits de l'homme, cette avocate de 47 ans a choisi le droit pour être au service des "sans-droits".

Le ministère de l'Intérieur mauritanien a annoncé le 15 mai la reconnaissance de trois organisations de défense des droits de l'homme : l'Association mauritanienne des droits de l'homme (AMDH), le Groupe de recherches et d'études pour le développement économique et social (Gerdes) et SOS-Esclaves. S'il est quelqu'un qui peut se féliciter de ce geste de décrispation de la part du pouvoir, c'est bien Me Fatimata Mbaye, qui préside l'AMDH depuis août 2003.

À 47 ans, ce bout de femme qui ne se presse pas derrière un fourneau et rivalise dans la parole avec les hommes est un phénomène à part dans le pays. Le 26 septembre 1999, elle est devenue la première africaine à recevoir le prix de Nuremberg, en Allemagne. Créée en 1995, cette distinction récompense tous les deux ans une personnalité remarquée par son combat pour le respect des droits de la personne humaine.

Unique femme du barreau mauritanien, Fatimata Mbaye dit être née pour s'opposer à toute forme de discrimination. "Je ne me vois pas comme une Noire, confie-t-elle de sa voix assurée. J'aurais pu naître blanche, jaune, mongole ou kurde. Et je me serais reconnue dans chacun de ces êtres. Pour moi, poursuit-elle, la valeur humaine est au-dessus de tout."

Noire et femme, Fatimata Mbaye porte bien des poids sur ses frêles épaules. La société halpulaar (peule) dont elle vient est non seulement éminemment phallocratique, mais elle a connu aussi les castes et l'esclavage en plus des pratiques de l'excision et de la polygamie. Quant à la communauté maure, elle a longtemps pratiqué, sans en avoir l'exclusivité, l'esclavage sur les populations noires qui l'entourent.

Cette accumulation d'injustices heurte la jeune femme qui, âgée d'à peine 13 ans, se voit livrée à un homme de loin son aîné. "C'est là qu'on m'a volé mon enfance", murmure-t-elle. Pendant dix ans, telle une hache, elle renvoie à l'arbre sa violence. "Je ne pouvais plus voir mes amies, et mon mari m'a sommée d'arrêter mes études. Il me voulait au foyer, un point c'est tout!" dit-elle dans une colère contenue. Lassé par ses interminables fugues, le mari cède. Elle obtient le divorce et entame des études en droit." Ayant connu le mariage forcé, côtoyé des filles qui mouraient à la suite d'une excision, mon chemin ne pouvait être que celui-là", explique-t-elle. En 1986, un groupe d'intellectuels noirs publie le Manifeste du Négro-Mauritanien opprimé. Le pamphlet tombe sur la table des chefs d'État africains réunis à la Conférence des non-alignés au Zimbabwe. Le président Maaouiya Ould Sid'Ahmed Taya n'apprécie pas. À son retour à Nouakchott, il ordonne l'arrestation des auteurs du brûlot. Plusieurs enseignants et étudiants sont incarcérés.

Des grèves sont organisées, à l'instigation de l'Union des étudiants mauritaniens stagiaires, pour demander leur libération. Nouvelle répression. Premier séjour en prison pour Fatimata Mbaye, qui écope de six mois fermes pour distribution illégale de tracts. Transférée à la prison de Beyla, réservée aux femmes, elle découvre l'univers des maisons d'arrêt. En plus des rudes corvées, les détenues doivent se plier aux pulsions de leurs geôliers. Une fois hors des murs, elle dénonce ces dramatiques abus.

Mais le moment charnière de sa vie reste les événements de 1989. Cette année-là, un banal incident qui oppose des paysans à la frontière des deux pays mène la Mauritanie et le Sénégal au bord de l'affrontement. Prises de panique, les autorités rapatrient leurs ressortissants de part et d'autre après des journées d'horreur.

Si elle a choisi de faire le droit, ne cesse de répéter Me Fatimata Mbaye, c'est pour être au service des "sans-droits". Elle se met à la disposition des rescapés et prend en charge le "Comité des veuves", constitué des femmes de militaires et de civils tués entre 1989 et 1994. Ses prestations sont bénévoles. Membre fondateur de l'association SOS-Esclaves, elle parle au nom de tous les opprimés. Ce qui lui vaut, en février 1998, un nouveau séjour en prison, après la diffusion en France d'un documentaire sur les séquelles de l'esclavage en Mauritanie.

Pour Me Fatimata Mbaye, la décision du gouvernement de reconnaître l'AMDH, le Gerdes et SOS-Esclaves, pour appréciable qu'elle soit, n'est pas suffisante. "Des dizaines d'autres organisations attendent de pouvoir agir légalement dans le pays. Et elles sont loin d'œuvrer pour sa destruction."


samedi 29 mars 2008

Vol Air France à destination de Nouakchott

Le 11 mars, à Roissy, c'est la routine, sur le vol à destination de Nouakchott.

"Reconduite à la frontière", "mesure d'éloignement", Monsieur Hortefeux euphémisera tant qu'il voudra en grignotant des petits fours, il ne va pas, en plus, m'imposer son vocabulaire: j'appelle ça une expulsion.

Madame Fatimata M'baye, avocate inscrite au barreau de Nouakchott, vice-présidente de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) et présidente de l’association mauritanienne des droits de l'homme (AMDH), se trouve dans l'avion.

Elle sera amenée à protester contre le traitement infligé à l'expulsé, Mohamed Sidibé, un jeune mauritanien originaire du Guidimakha. Elle sera soutenue par un médecin présent dans l'avion, le docteur Pierre-Marie Bernard. Le commandant de bord finira par exiger que les policiers débarquent Mr Sidibé.

Bien sûr Maître Fatimata M'baye et le docteur Pierre-Marie Bernard ont, eux aussi, été débarqués. Et placés en garde à vue…

Voici le témoignage de Madame Fatimata M'baye tel qu'on le trouve sur le site de la FIDH.



Comme il est si bien dit dans le jdd.fr :

"La police a accusé M'Baye et Bernard d'obstruction à une mesure de reconduite à la frontière, ce qui est punissable par la loi française. Le ministère français des Affaires étrangères n'a pu être joint à ce sujet."

PS: On peut aussi entendre Fatimata M'baye sur le site de RFI.

vendredi 28 mars 2008

Les trois de Mexico

Sur le site du Nouvel Observateur on peut trouver une lettre ouverte adressée par quinze sportifs français à Monsieur Hu Jintao:


«Monsieur le Président,

Pour obtenir l'organisation des jeux Olympiques à Pékin, le gouvernement chinois s'était engagé à respecter les droits de l'homme. Aujourd'hui, la violente répression des émeutes au Tibet remet gravement en cause cette parole donnée au mouvement olympique. Les droits les plus fondamentaux ne sont pas respectés: ni l'intégrité des personnes ni la liberté d'expression ne sont possibles en Chine. Monsieur le Président, certains d'entre nous seront vos invités dans cinq mois. Les sportifs que nous sommes avons consacré toute notre existence pour mériter cette récompense: participer au plus bel événement inventé par les hommes. Nous croyons que les Jeux, au-delà de la marchandisation du sport, des rivalités politiques, des récupérations, représentent ce que l'humanité a de plus pur: le dépassement de soi, la fraternité, l'amitié et le respect entre les peuples. Nous ne pouvons pas être les otages de la politique ni la caution d'un régime autoritaire. C'est pour cela, Monsieur le Président, que nous vous demandons, aujourd'hui, solennellement, de respecter votre parole. Ne gâchez pas les Jeux.»


Le recours, dans cette lettre, aux expressions les plus convenues de l'idéal sportif ou olympique souligne une certaine inquiétude. Mais on peut se demander ce qui préoccupe tant nos athlètes. Les droits humains bafoués au Tibet et plus généralement en Chine? Ou la perspective de participer à des Jeux qui resteront parmi les Jeux de la honte (il y en a eu d'autres)? Ou pire encore la peur de voir annulés les jeux de Pékin.

La piteuse supplique finale "Ne gâchez pas les Jeux" me fait penser que l'évocation des droits des hommes n'est que pure rhétorique, car quand on est bien convaincu que ce sont des vies que l'on gâche, des vies que l'on massacre, on ne vient pas pleurnicher pour sauver le prétendu "plus bel événement inventé par les hommes".

Mais rassurez-vous donc, on ne remet pas en cause, sur un coup de tête, le déroulement des jeux olympiques

Prenez l'exemple des Jeux de Mexico, en octobre 1968.

Le 2 octobre 1968 une malencontreuse fusillade éclate sur la place des Trois-Cultures de Mexico. L'armée mexicaine se voit contrainte, pour rétablir l'ordre, d'ouvrir le feu sur une manifestation étudiante. Ce fâcheux événement, resté dans certaines mémoires sous le nom de "massacre de Tlatelolco", a fait, selon les organisations des Droits de l'Homme, entre 200 et 300 morts mais, selon le gouvernement mexicain, seulement une vingtaine.

Cela n'a pas empêché la tenue de la cérémonie d'ouverture des Jeux, dix jours après ce massacre. La présence assez voyante de l'armée mexicaine a garanti le bon déroulement de la cérémonie, et si certaines personnes un peu sensibles se sont senties un peu oppressées, cela devait être un effet de l'altitude. Avery Brundage, président du Comité International Olympique, avait déclaré, quelques jours avant: "Les jeux de la XIXème Olympiade, cet amical rassemblement de la jeunesse du monde, dans une compétition fraternelle, se poursuivront comme prévu...s'il y a des manifestations sur les sites olympiques, les compétitions seront annulées".

Rassurez-vous donc: tout s'est bien déroulé aux Jeux de Mexico. Et ceux qui n'ont pas profité des médailles acquises l'avaient bien cherché.

Je veux bien sûr parler des trois médaillés du 200 mètres messieurs, le 16 octobre 1968.

Ce fut une belle course


Sur le podium, doivent donc monter le vainqueur Tommie Smith (USA), le deuxième Peter Norman (Australie) et le troisième John Carlos (USA).

Les deux américains entendent protester contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis. C'était une époque bénie où tout le monde protestait! En route pour le podium, ils associent à leur action Norman qui accroche sur sa poitrine un macaron portant l'inscription "Olympic project for human rights" (Projet olympique pour les droits humains). Les trois athlètes ont dû l'emprunter au passage à un spectateur.

Quand retentit l'hymne étatsunien Tommie Smith et John Carlos baissent la tête et lèvent un poing ganté de noir. C'est un geste d'adhésion au Black Power. Des huées s'élèvent, des menaces de mort. Peter Norman reste impassible à leurs côtés.



Le panache, c'est ça.


Ce geste scandaleux fut rapidement sanctionné par le Comité International Olympique: Smith et Carlos furent suspendus jusqu'à la fin des jeux de Mexico et exclus à vie des jeux Olympiques. Leur vie et leur carrière dans l’athlétisme international furent brisées.

Peter Norman revendiqua clairement sa solidarité, en déclarant notamment: "Je crois aux droits civiques. Tous les hommes naissent égaux et devraient être traités ainsi." Il fut lui aussi sanctionné, mais de manière plus sournoise. Alors que ses performances le qualifiaient pour les Jeux olympiques de Munich de 1972, il a été délibérément écarté de la sélection australienne. Plus tard, alors qu'il était enseignant, ses diplômes ont été sommairement contestés: renvoyé, il a dû revenir un temps à son premier métier, celui de boucher, avant d'être rétabli dans ses droits. Lors des jeux olympiques de Sydney, en 2000, on a délibérément oublié de l'inviter et c'est Steve Simmons, représentant d’USA Track and Field (Athlétisme américain), qui lui a permis d'assister aux jeux.

Il est mort le 3 octobre 2006, d'une crise cardiaque.

Aux obsèques à Melbourne, Smith et Carlos, solidaires et fraternels jusqu'au bout, portaient le cercueil de leur ami Norman.




PS: Les sources principales sont Wikipedia et un article de Margaret Rees .

 
 
 

jeudi 27 mars 2008

Juste une image

C'est juste une image qui traîne sur mon disque dur où je l'ai enregistrée le 20 mars à 17h 34.



C'est aussi une image qui se veut une "image juste", puisqu'elle fait partie des premières que les autorités chinoises ont laissé passer sur les émeutes du Tibet et leur répression. Il est même tout à fait possible qu'elle ne soit qu'une mise en scène (cela c'est déjà vu).

Peu importe, admettons qu'elle nous présente quelques uns des émeutiers que la police chinoise a été obligée d'arrêter dans sa mission de maintien de l'ordre… Nous les voyons se tenir debout, sans menottes, surveillés de près par des policiers dont on ne voit pas les armes; certains baissent la tête, mais aucun ne semble blessé, ni avoir été molesté. Ils portent tous un vêtement bleu sans manches passé au dessus de ce qui semble être leur propre blouson. Est-ce le signe distinctif de leur condition de prisonniers? On peut le supposer et se réjouir de la prévenance de l'Etat Chinois: il ne doit pas faire bien chaud, en ce moment, dans les prisons du Tibet, et une petite laine ne doit pas être de trop.

Et devant cette "image juste", j'en arrive à me poser juste une question: Combien d'entre eux ont encore besoin de cette petite laine?

Soit, pour qu'on comprenne bien à quel point je suis naïf et sentimental: Combien encore en vie? Et dans quel état?

Sur la question dite des "Droits de l'Homme", je ne suis pas sûr d'être tout à fait au point. Il faudra peut-être qu'un jour j'arrive à expliciter cette position inconfortable qui consiste, en gros, face à une religion s'autorisant d'un absolu (l'Homme et ses Droits), à être pratiquant mais pas croyant… Alors, en l'absence d'un corps de doctrine personnel, je me mets volontiers à l'écoute des prêtres de la religion humanitaire, fussent-ils un peu défroqués.

Juste un exemple au hasard: Monsieur Bernard Kouchner qui, plus que simple prêtre, mérite tout à fait le statut de théologien, père de l'église. Laurent Joffrin, dans un de ces éditoriaux dont il a seul le secret (heureusement!) nous rappelle que "l’ex-French Doctor (…) s’est toujours distingué par son courage physique et son sens du geste symbolique en faveur des libertés dans le monde" et qu'il a su être un véritable "Robin des droits" (où va-t-il chercher tout cela, Joffrin?) en inventant le "droit d’ingérence".

J'écoute donc Monsieur Kouchner qui, lui-même, à son habitude, s'écoute parler devant deux journalistes de Libération, Thomas Hofnung et François Sergent:


«Mais les droits de l’Homme ne peuvent pas résumer une politique. Du moins quand on est responsable du ministère des Affaires étrangères. C’est une exigence, mais cela ne peut pas être la seule politique, hélas.

Mais qu’est-ce qu’on peut faire de plus sur le Tibet?

J’ai toujours dit que la politique et l’humanitaire, les droits de l’Homme étaient imbriqués, j’ai même été très critiqué pour cela. J’écoute avec beaucoup d’attention ce que disent les militants, mais un ministre des Affaires étrangères ne peut pas avoir la même liberté. Et pas seulement pour le Tibet. Sauf à démissionner le lendemain. Le jour où je trouverais cela insupportable, il faudra que je m’en aille. Je demeure un militant des droits de l’Homme.

Lors du dernier conseil des ministres, j’ai dit que les Chinois se trompaient de manière assez virulente. Nous avons eu un débat avec le Président et les ministres, ce qui n’est pas très fréquent.

Nous sommes aussi contraints de ménager un certain nombre d’intérêts économiques pour ne pas creuser le chômage: cela s’appelle gouverner


"Robin des droits" (où va-t-il chercher tout cela, Joffrin?) en est donc encore à dire qu'il démissionnera le jour où cela deviendra insupportable, à laisser entendre qu'il avale les couleuvres pour mieux manger son chapeau (de cardinal? avec les pompons?). On notera qu'il débat avec le président au conseil des ministre et qu'il sait ce qui s'appelle gouverner.

Alors, rien à dire.

J'imagine que le jour où les gouvernants chinois se seront rendus compte qu'il est trop coûteux d'aller réclamer le prix des balles aux familles des condamnés à mort exécutés, Monsieur Kouchner se félicitera des grands progrès effectués par la Chine dans le domaine des Droits de l'Homme.

mercredi 26 mars 2008

Tous contre les idées reçues

Pourfendeur d'idées reçues, c'est devenu une occupation à plein temps pour les (encore) jeunes éditorialistes, un agréable passe-temps de fin de carrière pour les (grands) universitaires.

Que ce soit par Rémi Soulier dans Le Figaro, ou par Roger-Pol Droit dans Le Monde, c'est comme iconoclaste reconnu que l'on nous présente Paul Veyne, historien, professeur au Collège de France, à l'occasion de la parution de son dernier livre Foucault. Sa pensée, sa personne (Albin Michel). Paul Veyne a été ami avec Michel Foucault, mais ce n'est une garantie de rien: Paul Veyne a également été ami avec René Char et lui a consacré un livre René Char en ses poèmes (Gallimard), qui est le tribut le plus prosaïque que l'on pouvait déposer le long de son œuvre. D'ailleurs, commenter, expliquer, "décrypter" les poèmes, c'est tout à fait comme la chasse aux papillons: d'une vivante pulsation colorée et lumineuse, vous faites un lépidoptère épinglé, étiqueté et mort. La poésie, il vaut mieux l'enluminer.



Le martinet de René Char enluminé par Juan Miró.


Que prétend nous révéler Paul Veyne de Michel Foucault?

Selon Rémi Soulié, "Paul Veyne fait de son 'héros' un successeur de Nietzsche". C'est bien possible, mais, il faut reconnaître que la tombe de Nietzsche est un de ces lieux communs où le meilleur et le pire du siècle dernier se sont si souvent rassemblés que n'importe qui peut se proclamer nietzschéen, seul possesseur de la "bonne lecture".

Selon Roger-Pol Droit, "à entendre (Paul Veyne), l'image d'un philosophe rebelle, subversif, soixante-huitard, gauchiste, résolu à faire du passé table rase et à en finir avec le vieux monde est tout bonnement fausse." Cette image est peut-être celle que se font les lecteurs "historiques" du Monde et du Figaro, mais pas les lecteurs de Foucault. On comprend vite que pour l'aborder, il faut se "déprendre" de toute représentation idéologique, et le suivre un bon moment avant de reprendre les outils qu'il vous met dans les mains. Observez-le dans sa recherche sur la naissance et la mise en place de la rationalité économique (cours au Collège de France de 1977 à 1979). Mis à part quelques sous-entendus (sur lesquels on pourrait discuter), on ne discerne aucune prise de position de type idéologique. Foucault use d'une sorte de scalpel intellectuel très froid qui tranche dans les épaisseurs historiques, isole les formations ganglionnaires, révèle leurs adhérences aux divers organes… A vous ensuite de conclure et éventuellement de continuer: ce qui s'est développé là est-il un organe vital ou une tumeur?

A Roger-Pol Droit qui lui demande: "Il (Foucault) ne se contentait pas d'écrire ou de signer des pétitions, on le voyait dans des manifestations, des rassemblements protestataires, à la porte des prisons ou des tribunaux. N'était-ce pas une activité révolutionnaire?", Paul Veyne répond: "Non, parce qu'il n'agissait jamais pour des motifs abstraits et généraux, organisés selon un plan d'ensemble. Il s'engageait toujours au coup par coup, en fonction de ses indignations, pour des causes qui l'avaient touché personnellement. Ce qui le décidait, c'était toujours une réaction affective à un point de détail. Finalement, il avait un côté redresseur de torts." Ceux qui ont observé ces années-là savent bien que les révoltes sur des "points de détail" ont été plus subversives (et révolutionnaires) que le désir de révolution et le rêve du grand soir des organisations ossifiées.

Concluant son entretien Roger-Pol Droit aborde avec Paul Veyne les relations de Foucault avec le pouvoir socialiste au début des années 1980, et nous révèle qu'il aurait envisagé, avant sa mort, un livre contre les socialistes français. "Et pourquoi donc?" "Par haine pour Mitterrand." Voilà qui bouscule terriblement les idées reçues: vous imaginez, vous, un intellectuel, faisant profession de lucidité froide, ne tombant pas à genoux devant Mitterrand?



PS: Puisqu'il est des "points de détails" qui peuvent révolter, même si l'on ne rêve pas de la révolution, n'oublions pas:

lundi 24 mars 2008

J'ai fait un rêve

Ces derniers temps, je dors très mal. La proximité de la pleine lune pourrait expliquer bien des choses, mais mes dernières crises de lycanthropie remontent à une trentaine d'années et, selon les spécialistes consultés à l'époque, le risque de récidive est infime.

Je fais des cauchemars récurrents. Et pour récurer, ils récurent. Au réveil, je suis lessivé.

Dans le dernier rêve, je suis en Côte d'Ivoire, à Yamoussoukro précisément. De l'absence de basilique et de la présence d'arbres sur l'ancienne place du village, je déduis que mon rêve se situe vers 1979-80, époque où j'ai vécu et travaillé dans cette ville.

Je suis monté dans un taxi, un "s'en fout la mort" de marque "pigeot" qui attend d'être complet pour partir pour Bouaké. Je suis assis sur la banquette arrière. A côté du conducteur, une mère somnole avec son enfant sur les genoux; de temps en temps je vois apparaître le sommet de son petit crâne rasé et ses deux grands yeux, très noirs et très blancs, qui observent le petit blanc, le "toubab", assis à l'arrière. Dès que mon regard croise le sien, la petite tête disparaît… A ma gauche est assise une digne "mama" qui enveloppe des rondeurs impressionnantes dans un très beau pagne "hollandais". Si sa sœur jumelle vient prendre la place qui reste libre à ma droite, je redoute un voyage assez pénible où mes fesses trouveront une assiette plutôt étroite sur la banquette. Mais pour l'instant, je goûte la fraîcheur matinale et bavarde avec le chauffeur et ma voisine. Il est sénégalais, elle est ivoirienne et moi je suis français. Je réponds aux questions habituelles et je tombe dans le piège habituel: "- Est-ce que tu es marié? - Oui. - Combien d'enfants? - Pas encore d'enfants. - Tu es marié depuis combien de temps? - Quatre-cinq ans. - Cinq ans! Et tu n'as pas d'enfants!" Le chauffeur intervient: "Ah! il faut démerder, patron." Et ma voisine: "Et il faut manger, il faut bien manger, et ta femme surtout elle doit bien manger." Elle rit, me claque la cuisse, le chauffeur approuve en hochant la tête, j'entre dans le jeu du rire partagé (prendre cela pour moquerie serait un contre sens). A l'avant, la petite tête de l'enfant se découvre enfin complétée d'un grand sourire.

Tout se dégrade quand apparaît une femme blanche qui s'adresse directement à notre chauffeur, et sans le saluer, lui tient un discours de plus en plus incompréhensible. J'entends: "Vous êtes de quelle origine, vous? Vous avez une identité nationale au Sénégal? Une culture? Des règle de vivre-ensemble?" Je vois ses lèvres se retrousser, je la vois prononcer le mot "Sénégalais" comme si elle crachait. J'ai honte, je cherche à sortir du taxi, ou plutôt à me redresser de cette banquette arrière où je suis maintenant seul. La femme blanche interpelle un passant. Elle lui agrippe le bras et, le poing sur la hanche, minaude: "j'vais prendre la pelle et la balayette, et puis j'vais nettoyer un p'tit peu." Je me réveille sur les mots: "Il y a des situations où c'est des mesures radicales".

Je suis assis sur le lit, couvert de sueur, de honte, d'angoisse. Car la femme blanche, je l'avais reconnue.




Bien sûr, dans la vraie vie, je ne vais pas jusqu'à rêver de Madame Nadine Morano. Mais cette séquence qui ressort actuellement sur internet a de quoi fasciner et envahir l'esprit.

Face à ses mimiques méprisantes où la vulgarité assumée et l'assurance bornée vous sautent à la figure, le calme souriant de ses interlocuteurs m'a rappelé l'accueil que j'avais reçu, il y a une trentaine d'années, en Afrique Noire…

Et cela m'a remis en mémoire ce trajet en taxi collectif que j'avais fait vers Bouaké (la "pigeot" avait fait le plein de passagers avec l'arrivée d'un petit vieux tout sec qui devait se rendre à l'hôpital). Ma compagne de voyage s'était révélée être une commerçante (donc relativement dans l'aisance, bien que gagnant dix, cent ou mille fois moins que le petit blanc que j'étais). Je garde le souvenir de sa conversation pleine de vivacité, de sa curiosité sur la "vie des blancs", sur la vie en Europe, et aussi de sa très naturelle élégance et de sa très étonnante légèreté.

Le retour de ce souvenir est probablement dû à un besoin de contraste…


PS: Un autre rêve: que nous soyons nombreux, très nombreux, le 5 avril, à exprimer notre rejet de la xénophobie d'Etat que le visage de Madame Morano exprime si bien lorsqu'elle régurgite avec conviction le catéchisme de l'identité nationale, de l'immigration choisie, de l'intégration à la culture…


Tous les détails de l'appel sont ici.

dimanche 23 mars 2008

Au cœur du pavé, mille pages

Comme beaucoup de mes amis mathématiciens, je n'éprouve aucune attirance pour ce qu'on appelle les "chiffres ronds" et je préfère les nombres qui ne tournent pas rond mais qui tournent plutôt carré, ou cube, ou rien du tout.

Alors vous pensez bien que j'ai tendance à me détourner des anniversaires qui régulièrement prétendent ponctuer notre mémoire sur des chiffres ronds. Je me doutais bien que Mai 68 allait faire l'objet d'une telle ponctuation et que j'allais vite étouffer de l'envahissement du spectacle médiatique par les grands témoins à l'insolence devenue si raisonnable. Sans parler des sous-produits éditoriaux sur la mode en 68, et, pourquoi pas, des livres de cuisine soixante-huitarde.

Pour oublier un peu cet enterrement en grande pompe qui devrait finalement ravir la sarko-gallerie, je me suis offert un beau pavé. Il pèse environ un kilogramme trois cents, et comporte un millier de pages de littérature. Sur la couverture, une belle photographie d'ananas en noir et blanc de 1870, le logo de l'éditeur Christian Bourgois, le titre 2666 et le nom de l'auteur Roberto Bolaño.

Le seul nom de l'auteur me garantit que ce pavé est à l'épreuve de la veulerie des soixante-huitards survivants agréés, avec label rouge (pâle, parfois très pâle, virant étrangement au bleu nuit chez certains).

2666 est le dernier livre écrit par Roberto Bolaño avant sa mort le 14 juillet 2003, à Barcelone. Il a été publié en 2004 en Espagne, et c'est son ami Ignacio Echevarría qui a supervisé l'édition posthume. Il vient de paraître an français, traduit par Robert Amutio.

Roberto Bolaño disait qu'il pourrait vivre sous une table en lisant Borges… Quand les bavardages sur 68 me gonfleront trop les neurones mémoriels, je me mettrai sous une table pour lire Bolaño…


Né en 1953 à Santiago du Chili, d'un père camionneur et boxeur et d'une mère enseignante, il passe son enfance au Chili, dans une petite ville du sud de Santiago. En 1968, espérant une vie meilleure, ses parents s'installent à Mexico avec leurs deux enfants, Roberto et sa sœur. C'est l'année des jeux olympiques qui sont ouverts le 12 octobre, soit dix jours après le massacre par l'armée mexicaine de centaines d'étudiants protestataires regroupés sur la place Tlatelolco.

A Mexico, la ville "où tout est possible", Bolaño décide de devenir poète et abandonne ses études. Plus tard il expliquera les lacunes de sa culture d'autodidacte par le mauvais agencement des étagères dans les librairies, l'empêchant de voler certains livres.

A dix-neuf ans, en 1973, il repart seul pour le Chili, par voie de terre (surtout en car) et sans doute en prenant son temps. Il arrive un peu avant le triste 11 septembre 1973, où l'infâme général Pinochet renverse le président élu Salvador Allende. Roberto Bolaño est arrêté, emprisonné et finalement relâché au bout de huit jours à la suite de l'intervention d'un membre de sa famille (ou de deux gardes anciens camarades d'école).

Il rentre à Mexico où, avec l'auréole du vétéran, il se remet à écrire. En 1974, avec Mario Santiago Papasquiaro et un groupe d'amis exclus de tous les ateliers d'écriture de l'UNAM (Université de Mexico), il fonde le Movimiento Infrarrealista de Poesia qui se réclame du Dadaïsme, des poètes de la Beat Generation, de Rimbaud, de Lautréamont et aussi de Sophie Podolski (une jeune poète belge, suicidée à vingt ans, dont la revue Tel Quel venait de découvrir Le Pays où tout est permis (on peut s'étonner que Philippe Sollers puisse découvrir autre chose que son propre génie, mais c'est ainsi)).





Les infrarréalistes de Mexico
Photo trouvée sur le site www.infrarrealismo.com
où l'on peut aussi trouver le manifeste signé par Bolaño



On peut facilement les imaginer, fous de poésie, insolents, provocateurs, s'attaquant aux institutions culturelles… Octavio Paz fut entre autres de leurs victimes.

Après avoir publié en 1976 une mince plaquette de vingt-deux pages de poésie et intitulée Reinventando el Amor, Roberto Bolaño va quitter le Mexique pour l'Europe. Pendant quelque temps son itinéraire devient erratique: Espagne, France, Belgique, Pays scandinaves, Afrique… Ecriture, rencontres, lecture, petits boulots… Dans les années 80, il se fixe plus ou moins en Catalogne, à Blanes, un village côtier entre Barcelone et Gérone.

C'est là que le trublion poète, accessoirement gardien de camping et vendeur de bijoux, va devenir le grand écrivain de fiction Roberto Bolaño. Il écrit d'abord des nouvelles qu'il présente à des concours. En 1993, il obtient un prix avec un court roman, et progressivement il se fait une réputation dans les milieux littéraires. Mais quand Jorge Herralde, de la grande maison d'édition Anagrama, veut lui proposer un contrat, il ne peut le joindre car Bolaño est trop pauvre pour avoir le téléphone!

Ce n'est qu'en 1996 qu'Anagrama publiera régulièrement Bolaño. Presque toute son œuvre a été traduite en français et publiée par les éditions Christian Bourgois ou Les Allusifs.

Les éléments biographiques réapparaissent souvent dans les nouvelles et les romans de Bolaño (il s'appelle alors Arturo Belano) mais on est très loin de l'autobiographie, très loin aussi de l'autofiction à la parisienne… L'écriture de Bolaño est forte, violente, ample, dérangeante, exigeante pour le lecteur, mais par dessus tout belle et inoubliable.



Roberto Bolaño et Arturo Belano.


Si je devais donner des conseils à qui voudrait découvrir cette œuvre, je ne pourrais qu'indiquer mes trois livres préférés.

Amuleto (Les allusifs), longue nouvelle de 1999. En 1968, à Mexico, Auxilio Lacouture, amie des poètes et de la poésie, reste treize jours cachée dans les toilettes des femmes, au quatrième étage de la faculté de Lettres que la police envahit…

Nocturne du Chili (Christian Bourgois), court roman de 2000. L'agonie d'un prêtre, critique littéraire et poète, qui a donné des cours de marxisme à Pinochet…

Les Détectives Sauvages (Christian Bourgois), gros roman de 1998. Les errances et les dérives des deux poètes Arturo Belano et Ulises Lima, avatars transparents de Roberto Bolaño et de son ami Mario Santiago Papasquiaro…


Dans le numéro 40 (septembre-octobre 2002) du Matricule des Anges Dominique Aussenac s'entretenait avec Bolaño.

Voici quelques extraits:

DA: La poésie occupe dans vos romans une place primordiale. La considérez-vous comme un matériau de base?
RB: J'aimerai croire que ce n'est qu'un simple hasard. Si j'étais un boucher, j'écrirais sur les bouchers et les boucheries. Si j'étais magicien, j'écrirais sur le monde, parfois plein de rancœurs des magiciens. Je suis, ou plus exactement je fus poète, ce qui est la même chose que n'être rien. J'écris sur ce que je connais le mieux, sur ce qui m'a le plus déçu aussi et sur ce que j'admire le plus : le domaine de la poésie, le seul domaine avec celui de la douleur où il est encore possible de se perdre, de trouver des formules merveilleuses (ou plus exactement: la moitié d'une formule) et où l'on peut consciemment ou pas mettre sa propre vie en jeu.

(...)

DA: Justement dans Amuleto où l'héroïne survit grâce à la poésie, vous écrivez "métempsycose, la poésie ne disparaîtra pas. Son non-pouvoir se fera visiblement autrement." Pouvez-vous commenter cette phrase?
RB: Métempsycose est une allusion à mes lectures de Poe. La contre-image de la poésie c'est l'oubli. L'oubli absolu auquel chaque être humain est acculé. L'oubli, cette bataille perdue d'avance, la poésie le combat moyennant des changements, moyennant la magie des changements. Lorsque je parle de "non-pouvoir" je fais référence à quelque chose d'évident : la poésie est un objet somptuaire, dépourvu de pouvoir. Le discours poétique (celui de la vraie poésie) ne tend pas vers le pouvoir. Vers la révolution, mais jamais vers le pouvoir. Je parle de la poésie moderne de l'époque des Lumières jusqu'à aujourd'hui.

(...)

DA: L'humain avec toutes ses approximations, erreurs, ses intuitions, son génie est aussi à l'instar de la poésie, votre matériau premier?
RB: Sans aucun doute. L'être humain et ses envies de vivre. Ses envies de rire. L'être humain qui sait que rien n'a de solution et qui pourtant lutte pour trouver des solutions. Ou parce que son naturel le pousse à lutter. Ou parce qu'il lui semble plus élégant, plus sexy, de lutter que de ne pas lutter.


Et puis ceci, que j'isole d'une réponse de RB:

Au sujet de l'humour: il n'y a que faire l'amour qui est un peu mieux que rire. Ou non, ça dépend. Au-dessus de l'humour et de l'amour il y a peu de choses sacrées, probablement aucune. Ce qu'il y a, c'est parfois un énorme silence facile à confondre avec quelque chose de sacré, mais qui ne l'est pas. Ou il y a de la peur, qui peut aussi se confondre avec le sacré. Mais non, généralement ce qu'il y a, c'est du silence.



vendredi 21 mars 2008

Quand je pense à Fernande…

Quand je pense à Fernande
Je bande, je bande
Quand j'pense à Felicie
Je bande aussi
Quand j'pense à Léonor
Mon dieu je bande encore
Mais quand j'pense à Lulu
Là je ne bande plus
La bandaison papa
Ça n'se commande pas.

Georges Brassens.


J'ai quelque scrupule à citer ce refrain d'un monsieur qui chantait si bien avec un sourire dans la voix, et parfois un chat dans la gorge, et de le faire suivre de cette autre, tout autre citation:

«Pour parler sans détour, dans la sexualité masculine, il existe un intérêt à obtenir la défaveur de sa partenaire, pas seulement ses faveurs; à faire crier la femme, peu importe la nature de ses cris. L’acte de pénétrer est en lui-même agressif. Si un homme est trop respectueux d’une femme, il ne bande pas.»

Précisons un peu le contexte de cette déclaration.

Qui? Michel Dubec.

D'après la présentation de son éditeur, Michel Dubec est né en 1948 à Paris. Psychiatre et psychanalyste, il aurait pu se contenter de soulager les névroses dans un cabinet cosy. Mais il a été psychiatre à la prison de Fleury-Mérogis et pédopsychiatre à Saint-Denis. Il est devenu expert auprès des tribunaux, expert agréé par la Cour de Cassation, et depuis un quart de siècle, il a côtoyé les pires meurtriers, de Carlos à Guy Georges. Pédophiles, escrocs, terroristes d'Action Directe, islamistes, psychopathes, tueurs en série, son journal professionnel est un véritable Bottin mondain du crime. Il a écrit Crimes et sentiments avec Claude Cherki-Nicklès (Seuil 1992) et Les Maîtres-trompeurs (Seuil, 1996).

Où? Page 213 du livre Le Plaisir de tuer (Le Seuil 2007), coécrit avec Chantal de Rudder.

Toujours d'après la présentation de l'éditeur, Chantal de Rudder a été grande reportère et rédactrice en chef du Nouvel Observateur pendant plus de vingt ans. Elle est écrivaine et scénariste. Son dernier film, Les Amants du Flore, a obtenu le prix du meilleur scénario au FIPA ainsi qu'au Festival de télévision de Monte-Carlo en 2006.

Dans cette page 213, il est question du violeur et tueur en série, Guy Georges, que Michel Dubec a expertisé.

Avant de "parler sans détour" (voir plus haut), M. Dubec explique:

«Guy Georges, c’est différent. On peut être avec lui jusqu’au viol compris.»

Et après:

«Oui, c’était possible de s’identifier à ce violeur qui baise des filles superbes contre leur gré mais évite de les soumettre à des conditions trop crapuleuses ou de les terrifier, au point qu‘elles ne devinent pas qu‘elles vont mourir. Deux d‘entre elles ont demandé à Guy Georges d’enfiler un préservatif et il a accédé à leur requête, comme si de rien n’était! Il ne s’inhibait pas au dernier moment, il était capable de leur faire l’amour quasi normalement. Il y avait éjaculation à l’intérieur du vagin. Guy Georges donne le sentiment que l’acte sexuel était consommé avec complétude. (...) Jusque là, on peut le comprendre, et même, il nous fait presque rêver, il nous agrippe crûment par nos fantasmes.»


On pourrait abandonner ce pauvre mec à ses fantasmes s'il n'était expert reconnu devant les tribunaux et si sa prose (et quelle prose!) n'était publiée par un éditeur qui fut prestigieux.

Plusieurs réactions sont possibles… pour les envisager, il est indispensable de se reporter à l'article de Brigitte Brami, Un livre d’un psychanalyste qui justifie le viol, sur sisiphe.org . On peut écrire aux éditions du Seuil, à Madame la Garde des Sceaux, au président de l'Ordre des Médecins… On peut aussi signer la PETITION CONTRE LE PSY QUI JUSTIFIE LE VIOL.




PS: Me voilà maintenant bien douteux sur ma propre sexualité, je me suis réconforté en continuant à écouter Brassens.
En particulier cette chanson que je dédie à qui je sais.




La mise en image a été faite par un sagouin, hélas!

mercredi 19 mars 2008

Faut-il acheter Le Monde?

Parmi les trésors de ma considérable bibliothèque, je possède un rare exemplaire d'un ouvrage qui a dû être envoyé au pilon. Je l'ai découvert il y a une douzaine d'années, avec une certaine gourmandise, chez un soldeur de tout venant littéraire. Le relisant ce matin, j'ai dû reconnaître que la gourmandise est un bien vilain défaut.

Mais que peut faire un amoureux des œuvres de Georges Perec croisant un livre intitulé Moi aussi je me souviens ? Il oublie toute prudence et l'achète; ce n'est que rentré dans sa turne qu'il regarde le nom de l'auteur. Il s'agissait d'Eric Fottorino. (Editions Balland, 1992)

Malgré son titre ambitieux qui rappelle le fameux Anch'io son' pittore! (et moi aussi je suis peintre!) du jeune Corrège devant une peinture de Raphaël, ce livre est d'une platitude absolue. Perec avait repris une idée exploitée par l'américain Joe Brainard dans son I remember; mais alors que Brainard enfile des souvenirs personnels pour esquisser une autobiographie, Perec distille avec nonchalance des souvenirs impersonnels, et mystérieusement (vocabulaire ? rythme ?) en fait un poème envoûtant. Fottorino a repris l'idée de Perec, et n'en fait qu'une litanie ennuyeuse.



Le livre CD Je me souviens lu par Sami Frey


Désormais, Eric Fottorino est un monsieur important au journal Le Monde (vous dire quoi au juste, je ne peux pas, vous savez bien qu'il n'y avait qu'Alain Minc pour comprendre leur organigramme). Il a le droit de faire des éditoriaux et de les signer, c'est dire!

Lundi soir à Paris, soit mardi matin dans ma province, Le Monde a publié sous le titre osé Avertissement un éditorial signé d'Eric Fottorino.

En trois phrase et une incise, l'introduction esquisse la dégradation rapide de l'image du candidat Sarkozy devenu président Sarkozy.

Le premier paragraphe aborde le résultat des récents scrutins:

«Si la nette victoire de la gauche se nourrit largement de considérations locales, il est clair que le pays a adressé un message d'avertissement à Nicolas Sarkozy. Le taux d'abstention, particulièrement élevé à droite, conforte ce sentiment de bouderie chez une partie des électeurs qui avaient porté leur champion à l'Elysée en mai 2007.»

Notre éditorialiste reprend donc les conclusions que les politologues des instituts de sondage avaient avancées dimanche soir, après avoir passé la journée, voire la semaine précédente, à examiner par transparence les bulletins blancs ou inexistants glissés dans les urnes.

On est dans la situation suivante: nous avons les résultats de diverses enquêtes statistiques, portant sur des échantillons différents, répondants à des questionnaires légèrement différents; de plus une catégorie de la population semble surreprésentée dans les refus de répondre. Un statisticien honnête resterait extrêmement prudent dans ses conclusions. Là, non, tout est clair.

Le pays s'était, en mai 2007, placé derrière Sarkozy dont la «maîtrise du verbe» devait «entraîner l'action dans un dessein volontariste de réformes, de mépris pour l'immobilisme, de volonté d'agir pour remettre en marche un pays sclérosé dans son économie, ses archaïsmes étatiques et sociaux, sa méritocratie en panne». Eh bien, ce pays, le voilà désenchanté, sinon déçu!

Et c'est, bien sûr, l'image du président pipole omniprésent qui a déçu les Français.

Eric Fottorino, s'appuyant sur la popularité de Mr Fillon, indique «la voie à suivre par le président: travailler sans ostentation, se montrer sans Ray-Ban ni montre chic.»

Sans doute effrayé par son audace, il corrige:

«Pour autant, les Français ne demandent pas à Nicolas Sarkozy de sortir de la cuisse du Général, (…) Ils n'attendent pas davantage que l'hôte actuel de l'Elysée cite Chardonne ou Zola avec la gourmandise de Mitterrand. Ni qu'il se pique d'arts premiers ou de civilisations de la lointaine Asie comme son prédécesseur. Personne ne lui demande d'étaler une culture qui ne serait pas la sienne. (…)»

Ben, non, voyons.

«En réalité, les Français ne demandent pas à Nicolas Sarkozy de changer. Ils lui demandent au contraire d'être ce qu'il avait dit qu'il serait: un président actif, arc-bouté sur son programme de réformes.»

Car:

«Avertissement n'est pas rejet. Au contraire. Le président doit comprendre que ses électeurs, et au-delà le pays entier, redoutent plus que tout son échec. »

Conclusion: on retouche un peu l'image, mais on tient ferme sur le fond. Au travail, président, vos électeurs, donc les Français, comptent sur vous!

On pourra s'amuser à constater qu'Eric Fottorino, comme un bon crypto-anarchiste qu'il n'est pas, a glissé dans son texte de quoi le dynamiter en douce: «mais qu'est-ce que la forme sinon le fond qui remonte à la surface?»

Il a dû mettre cela pour ajouter une touche littéraire, pour qu'on n'oublie pas qu'il est écrivain.




PS: En lisant cet article, il est évident que j'ai lu par erreur un courrier qui ne m'était pas destiné. Mais, jusqu'à plus ample informé, je reste citoyen français… même si je n'ai pas voté pour Sarkozy et n'attends rien de bon de sa présidence.

Vais-je rester lecteur du Monde? C'est un autre problème.

mardi 18 mars 2008

Ab la dolchor del temps novel

Samedi dernier, sur le marché il y avait comme un début de printemps. La petite vendeuse de jonquilles avait perdu son air de Cosette frigorifiée. Elle proposait ses bouquets avec un beau sourire de prochaine jeune fille en fleur. Seuls les marchands d'UMP avaient encore la "polaire" sur le dos, avec le nom de leur candidat écrit dessus, et proposaient café chaud et petits chocolats en attendant le champagne. Je leur clouais leur sourire en disant que, de toute façon, j'allais voter communisse dans mon village.

En rentrant, je me suis dit que j'allais faire un billet printanier, en mettant en exergue cette cobla sur le thème de la reverdie.

Ab la dolchor del temps novel
Foillo li bosc e li aucel
Chanton chascus en lor lati
Segon lo vers del novel chan:
Adonc esta ben c'om s'aisi
D'acho dont hom a plus talan.


                                                                                      A la douceur du temps nouveau
                                                                                      Les bois feuillissent les oiseaux
                                                                                      Chantent chacun en son latin
                                                                                      Selon les vers du nouveau chant
                                                                                      Il est donc naturel de prendre
                                                                                      Ce que chacun désire le plus.


C'est le début d'une canso de Guillaume IX de Poitiers, et je l'ai reprise, pour le texte et la traduction, du livre de Jacques Roubaud, La fleur inverse (éditions Ramsay, 1986).

Les chemins du ouaibe étant aussi inextricables que les rayons d'une bibliothèque bien rangée, je suis passé des gracieux oiseaux "chantant en leur latin" à la fin de la trêve hivernale pour les locataires, et j'ai finalement rencontré Madame Boutin.

Etonnant, non?

Après tout, il y de la cohérence là-dedans. Madame Boutin est un drôle d'oiseau qui doit très bien chanter en latin de sacristie.

Lorsqu'elle s'exprime en langue vulgaire, cela peut donner quelque chose comme ça:

«Jean-Jacques Bourdin: Vous ne reconnaissez pas le droit de mourir à Chantal Sébire parce qu'elle ne peut plus vivre?

Christine Boutin: Mais pourquoi ne peut-elle plus vivre? Parce qu'elle dit qu'elle souffre mais il y a les médicaments qui peuvent empêcher cette souffrance, parce qu'elle est difforme mais la dignité d'une personne va au-delà de l'esthétique de cette personne. Quand elle parle de ses petits-enfants, je suis absolument convaincue que cette ancienne institutrice peut aider encore ses petits-enfants à aller de l'avant. Ses enfants l'aiment aussi.

Jean-Jacques Bourdin: Ils l'aiment mais ils comprennent sa demande et sont prêts à l'accompagner...

Christine Boutin: Vous croyez vraiment que donner la mort c'est un geste d'amour, non, ce n'en est pas un, c'est un non-respect de la dignité de toute personne. Ce qui est en cause dans cette personne c'est sa souffrance.

Jean-Jacques Bourdin: Vous pensez qu'elle est instrumentalisée?

Christine Boutin: Oui, je le crois. Elle n'est pas suffisamment entourée, je crois qu'il faut qu'il y ait des médecins qui soient autour d'elle, qui l'aident à ne pas souffrir car aujourd'hui je suis convaincue qu'il peut y avoir un accompagnement. Apparemment, vous la voyez dans le Parisien, assise, cette femme, mis à part son visage qui est bouleversant, elle semble en parfait état physique. C'est un échec total que de laisser penser que c'est un geste d'amour ou un progrès.»


(Source : RMC.fr)

Que Madame Boutin soit chrétienne, catholique, c'est son droit. Mais elle appartient à la faction la plus dure et la plus rétrograde de cette église.

Il est évident que les religions en général cherchent à répondre à nos nombreux tourments existentiels. Plus que les autres, la religion chrétienne s'est attachée à donner un sens au scandale que constitue la souffrance des innocents; d'abord en rendant tous les innocents coupables, ensuite en proclamant la valeur rédemptrice de la souffrance. D'où son caractère profondément pénitentiel, volontaire ou imposé. Cela n'a pas empêché une certaine pratique de la compassion, illustrée par les cohortes de religieuses bourrues et moustachues qui faisaient tourner les hôpitaux d'antan et qui ont réconforté plus d'un malade.

Que Madame Boutin porte le cilice, se flagelle tous les matins et vienne au ministère en avançant sur les genoux, si cela la soulage. Mais rien ne lui permet de juger de la souffrance physique ou psychique d'un autre être humain.

Madame Boutin est une brute.

Quand je l'entends parler de "geste d'amour", j'aimerais mieux en rire.

Mais je n'y arrive pas.

dimanche 16 mars 2008

Agenda et non agenda

Parmi les choses à faire ou non, j'ai noté:

Ce dimanche: Devoir républicain.




Dans mon village de Trifouillis-en-Normandie, une animation inhabituelle régnait ce matin lorsque je sortis acheter les croissants. J'ai cru que tout le monde attendait le passage d'un célèbre blogueur inconnu. J'ai été détrompé par un vieux copain qui m'apprit que les membres des deux listes droitières (Essor et Avenir), après avoir échangé tous les crachats échangeables, avaient retrouvé un peu de salive la veille au soir pour opérer une fusion dans une liste plaisamment nommée "d'union".

Entre la liste gauchère et une liste composée d'au moins cinquante pour cent de tronches-en-biais* débauchés, je fis mon devoir avant d'acheter les croissants (pour ne pas laisser de traces sur le bulletin - les croissants, on les fait au beurre, chez nous).

* Je pique l'expression à Kamizole, qui l'applique de manière préférentielle à Mr Eric Besson. J'espère qu'elle ne m'en voudra pas.

Demain lundi: Adieu papy Lazare.

Je m'abstiendrai de participer à l'hommage de la Nation à son dernier poilu. Je m'en suis déjà plus ou moins expliqué.

Je ne connais pas le programme prévu, mais il me semble avoir entendu que Mr Max Gallo, de l'Académie Française, prononcera un discours qu'il a écrit lui-même.

A ceux qui ne connaissent pas Mr Max Gallo (à l'impossible, nul n'est tenu), je dirai que vous l'avez certainement vu dans des "débats" télévisés: c'est un monsieur qui s'écoute longuement penser (le bruit que ça fait lui rappelle le mistral de son enfance).

Mardi: Rien

Ou alors, rangement de mon bureau?

Mercredi: Rôtisserie de soutien à la caisse noire de la candidature Patate.

Extrait du communiqué non repris par la presse:

Venez soutenir une véritable dépénalisation du droit des affaires légumières en allant vous en mettre plein la panse à la Rôtisserie Sainte-Marthe le 19 Mars!

4, Rue Sainte-Marthe
Métro Belleville
(A quelques pas du Fouquet's!)
Le 19 Mars, à partir de 20h

Au menu:
Salade de saison (Règlements de compte à la façon piémontaise...)
Palette de purées multicolores
Dessert à la pomme d'arbre

J'ajoute que les prix sont à peu près libres.

Votre serviteur, s'il arrive à respecter son embargo personnel sur les produits d'Israël, proposera une purée de patates douces pour les non-violents.

Enfin, vous pourrez repartir avec un exemplaire de la belle histoire (voir quelques pages ci-après) Patate au Pays des Navets, s'il en reste.

Addendum: Jeudi: Nuit des Libertés Publiques.

Appel à un rassemblement à Paris le 20 mars 2008 de 18 h 30 à 22 h 30 à la Bourse du Travail - Paris (autrement dit à la Bastoche)

Un ensemble d’associations, d’organisations syndicales et de partis politiques ont signé l’appel contre la rétention sûreté. La loi est aujourd’hui votée et promulguée.

Notre combat ne s’arrête pas là !

C’est dans cette optique que nous organisons une nuit des libertés publiques qui aura lieu le jeudi 20 mars de 18 h 30 à 22 h 30 à la Bourse du travail 3, rue du Château d’eau 75010 (métro République).

Des manifestations seront également organisées en province.

Voir des infos ici.





samedi 15 mars 2008

Le Salon du Livre pris en otage

Le Salon du Livre de Paris est une manifestation organisée depuis 1981 par le SNE, syndicat national de l'édition qui regroupe les entrepreneurs travaillant dans ce beau domaine culturel. Lesdits entrepreneurs sont pour la plupart des professionnels honorables, souvent passionnés et parfois passionnants. Ce n'est pas leur faire injure que de penser que l'installation de "la plus grande librairie de France" à la porte de Versailles n'est pas un investissement à fonds perdus.

Pour donner plus d'éclat à son salon, le SNE a imaginé d'inviter chaque année un pays dont la littérature sera mise à l'honneur. C'était une idée. Etait-elle bonne? Etait-elle tout à fait cohérente? Je n'en sais rien, mais je remarque que, dans les études littéraires, les départements se repartissent plus selon les langues que selon les pays. Quant à définir "la littérature d'un pays", on sent bien que cela ne peut se faire qu'en utilisant cet arbitraire commode qu'est la frontière nationale et en demandant aux poètes leurs papiers.

Cette année, le pays mis à l'honneur est Israël. Ce pays n'a pas que des amis dans le monde, mais il a une littérature (au sens précédent). Cette littérature s'écrit en diverses langues, dont l'hébreu. Les autorités culturelles israéliennes ont choisi de mettre en avant cette langue, ce qui exclut de fait les deux tiers des acteurs de la scène littéraire israélienne, selon Benny Ziffer (directeur de la rédaction du supplément littéraire du quotidien Haaretz). A propos des écrivains invités, le même B. Ziffer affirme ceci: "A partir du moment où l’administration finance le billet d’avion, elle estime que l’écrivain est là pour servir la cause israélienne et elle exige officiellement ce propagandisme dans un contrat que tous les écrivains doivent signer. C’est ce qui s’est passé avec les Salons du Livre de Paris et de Turin." Et il ajoute: "Le grand écrivain israélien Yehoshua Kenaz par exemple n’est pas invité en France parce qu’il a refusé de signer ce document! Or, son œuvre est largement traduite en Français. Et il écrit en hébreu. "

Il semble donc que la délégation israélienne ait eu à tenir compte d'impératifs explicitement politiques. On peut ainsi mieux comprendre, chez B. Ziffer, un certain agacement. Et son appel au boycott.

Car appel au boycott il y eut.

Rappelons qu'un boycott est un acte volontaire de refus de consommer les produits ou les services d'une entreprise ou d'une nation. Le boycott engage, comme la grève, dans une partie de perdant/perdant qui est toujours un peu risquée, et qui ne peut être gagnée que par la participation du plus grand nombre. Sinon, le seul appel au boycott peut avoir un retentissement non négligeable, à condition qu'il ne soit pas déformé par les bavardages culturellement corrects ou étouffé par la surenchère des grenouilles du bocal médiatique (le "ou" n'est évidemment pas le "ou" exclusif des logiciens).

Nous sommes dans ce cas.

L'inauguration du salon par Mr Shimon Pérès a été "presque normale", nous dit 20minutes.fr, qui feint de s'en étonner. Le Monde.fr nous rapporte que le président israélien a estimé que "Ceux qui veulent brûler les livres, boycotter la sagesse, empêcher la réflexion, bloquer la liberté, se condamnent eux-mêmes à être aveugle, à perdre la liberté". Le président israélien entre ainsi dans un champ où les références sont nombreuse et éloquentes: de la destruction des annales par le Premier Empereur en Chine aux brasiers allumés par les fanatiques du Führer, en passant par la (les) crémation(s) de la bibliothèque d'Alexandrie ou les autodafés des places publiques de l'Europe médiévale, on voit qu'il y a de quoi faire. Mais qui a parlé de brûler des livres, à Paris, en 2008?

Sans jouer avec le feu, l'éditorialiste anonyme du Monde du 14 mars
nous rappelle doctement que "Boycotter les livres, voire récuser une langue, a toujours été l'arme des dictatures." On sent bien que l'on frôle de très près la fameuse reductio ad Hitlerum Stalinumque, et c'est l'effet recherché par cette plume allusive qui a intitulé son papier "Le salon pris en otage".

J'en profite pour insérer la pause artistique du jour:

Tête d'otage n°1 de Jean Fautrier
(Œuvre de 1944, une époque où le mot "otage" avait un autre sens,
et où les otages n'avaient pas de visages)



La surenchère sur le thème des otages se retrouve dans Libération qui publie, sous le titre «L’appel au boycott du Salon du livre est une prise d’otages», un dialogue entre l'écrivain Sayed Kashua et Bernard-Henri Lévy (le chapeau de l'article le présente comme "philosophe" mais il me semble bien avoir reconnu l'écrivain mondain surnommé BHL). Sayed Kashua est le seul écrivain arabe israélien invité au Salon. L'hébreu est sa langue maternelle. Il n'a pas boycotté le Salon et il ne prétend représenter que lui-même. Il avoue d'emblée un certain malaise:

«Je suis très content d’être là aujourd’hui, et j’espère qu’un jour je serai invité à un Salon du livre et je pourrai simplement dire "je suis un écrivain israélien". Ce qui n’est pas le cas. J’ai été à l’école juive et j’ai grandi en hébreu, qui est ma langue maternelle, mais l’Etat d’Israël a du mal à accepter tout ce qui n’est pas juif.»

BHL peut alors placer une belle tirade où il convoque ses vieux amis écrivains A.B. Yehoshua et D. Grossman, la présence de députés arabes à la Knesset et le modèle d'intégration d'Israël.

Sayed Kashua reprend:

«S.K. : Une étude récente a montré que 75 % des Israéliens souhaitent que les Arabes israéliens quittent le pays. Ce ne sont pas seulement des politiciens fous ou quelques personnes isolées. Vous me parlez de David Grossman comme votre ami et j’en suis très heureux. J’aimerais pouvoir dire qu’il est aussi le mien, mais quelquefois je me sens attaqué. Il y a quelques semaines, Avraham B. Yehoshua m’a attaqué dans une interview dans Haaretz disant que je ne devrais pas écrire en hébreu mais en arabe. J’ai le sentiment que la majorité des Israéliens veulent vivre à côté de nous, mais séparés.»

BHL nie cette attaque d'A.B Yehoshua sur le droit d’écrire en hébreu.

Sayed Kashua cherche alors à préciser son rapport à l'hébreu et son amour de cette langue; mais BHL conclut rapidement sur un compliment paternaliste et un rappel à l'ordre:

«BHL: Je veux juste ajouter que vous ne parleriez pas l’hébreu, et vous ne le parleriez pas si bien et avec tant de grâce et de talent, si l’Etat d’Israël n’existait pas.»

J'ignorais que l'immense BHL lisait et entendait l'hébreu au point de pouvoir juger de la langue d'un écrivain.

Quant à son interlocuteur, Sayed Kashua, qui était venu parler de littérature, BHL ne l'a pas entendu.



PS: Sur les écrivains du camp dit de la paix, présents au Salon, il est instructif de lire Le nouveau philosémitisme européen de Yitzhak Laor, aux éditions La fabrique.
Les éditions La fabrique sont présentes au Salon du Livre et en marge du Salon. Les informations utiles sont ici.

jeudi 13 mars 2008

Maudite soit la guerre

Quand j'étais gamin, ils étaient déjà vieux. Ils avaient des mains où manquaient souvent quelques doigts. Ils avaient des moustaches comme des brosses métalliques, et je n'aimais pas les embrasser.

On disait qu'ils l'avaient faite, la "guerre de quatorze". Et l'on mettait comme du silence autour d'eux.

Le dernier vieux papy est mort hier.

On va mettre un peu de bruit autour de lui. On va même lui rendre un hommage national.

Il avait dit: "Je refuse ces obsèques nationales. Ce n'est pas juste d'attendre le dernier poilu. C'est un affront fait à tous les autres, morts sans avoir eu les honneurs qu'ils méritaient. On n'a rien fait pour eux. Ils se sont battus comme moi. Ils avaient droit à un geste de leur vivant... Même un petit geste aurait suffi."

On l'aura eu à l'usure. Il s'est rangé à l'avis de sa fille Janine, plus conciliante, qui disait: "Je souhaite pour papa une cérémonie très simple dédiée à tous les poilus et aux femmes qui ont participé à cette guerre. J'exige aussi que son corps nous soit restitué afin qu'il repose dans le caveau familial."

Le Président fera-t-il un discours aux Invalides? Et de quelle plume? La thématique abordée est-elle déjà indiquée dans le Communiqué de M. le Président de la République ?


"J’exprime aujourd’hui la profonde émotion et l’infinie tristesse de l’ensemble de la Nation alors que disparaît Lazare PONTICELLI, dernier survivant des combattants français de la Première Guerre mondiale.

Je salue l’enfant italien venu à Paris pour gagner sa vie et qui choisit de devenir Français. Une première fois en août 1914 lorsque, trichant sur son âge, il s’engagea à 16 ans dans la Légion étrangère pour défendre sa patrie d’adoption. Une deuxième fois en 1921 lorsqu’il décida de s’y établir définitivement.

Je rends hommage à l’entrepreneur qui, la paix revenue, a créé puis développé une entreprise qui emploie aujourd’hui plusieurs milliers de personnes."


Avec ces deux mots clés "Patrie d'adoption" et "Entrepreneur", la plume la plus médiocre peut faire très fort à grand renfort d'anaphores. A titre d'exercice, je vous laisse imaginer.

Une autre thématique possible apparaît dans ce même communiqué, moins lyrique, mais bien plus moderne: la thématique statistique.

"A travers lui, je m’incline devant les millions de «poilus» qui répondirent, avec un courage quotidien admirable, à l’appel de la Patrie envahie. Ils étaient partis pour un été, pour ce qui devait être la «der des der» et se sont battus pendant 52 mois. 1,4 millions d’entre eux y ont laissé la vie.
(…)
Nous avons le devoir de nous souvenir qu’en dépit de la mort de 900 soldats par jour pendant plus de quatre ans, notre pays a tenu jusqu’au bout."


Riche thématique, mais qui impose des choix dans le développement. Est-il plus frappant de souligner un débit létal de 900 morts par jour ? Ou faut-il indiquer que cela donne un mort par minute et demi? Ne serait-il pas utile de donner le tonnage de métaux divers utilisés pour tuer et préciser le rendement de chaque tonne? C'est assez délicat, il ne faut pas ennuyer, et je ne suis pas sûr que le président puisse disposer d'une présentation power-point pour détailler les diagrammes en camembert et toute cette sorte de choses.

Mais je ne suis pas trop inquiet: l'essentiel sera dit et on taira ce dont il ne faut pas parler.


Si un jour je dois me joindre à un hommage public aux hommes et aux femmes qui ont eu à souffrir de la guerre, ce sera avec mes amis anarchistes, pacifistes, libre-penseurs qui se réunissent chaque année, le 11 novembre, devant le monument aux morts de Gentioux.



(photo JC Caron)


On y chante peut-être la chanson de Craonne.

On y lit peut-être ce petit poème:



(trouvé sur www.amnistia.net)

La mémoire et la fidélité peuvent se dire de diverses façons.





PS: Lazare Ponticelli a combattu en France jusqu'à l'entrée en guerre de l'Italie. Il a alors été renvoyé dans son pays natal entre deux gendarmes français… Sous l'uniforme italien, il a été envoyé sur le front du Tyrol. De cette bataille méconnue des français, un grand écrivain italien, Mario Rigoni Stern, s'est fait l'historien littéraire. Ses livres sont édités en France par 10/18 et par La fosse aux ours. Histoire de Tönle, Les saisons de Giacomo et L'année de la victoire sont trois grands récits. On peut commencer par là.
 

mardi 11 mars 2008

Le tortionnaire et sa muse

Le grave magistrat qui a acheté pour quelque argent le droit de faire ces expériences sur son prochain va conter à dîner à sa femme ce qui s'est passé le matin. La première fois, madame en a été révoltée ; à la seconde, elle y a pris goût, parce qu'après tout les femmes sont curieuses ; ensuite, la première chose qu'elle lui dit lorsqu'il rentre en robe chez lui: «Mon petit cœur, n'avez-vous fait donner aujourd'hui la question à personne?»

VOLTAIRE (1694-1778) ARTICLE "TORTURE", DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE (1764)



Il nous arrive d'être d'une naïveté bien touchante quand, par exemple, nous nous demandons si un (ancien) tortionnaire n'éprouve pas quelque difficulté d'ordre gastrique en se rasant la matin.

Mais comment le savoir?

La lecture d'un article de Florence Beaugé, paru dans Le Monde du 4 ou 5 février, nous donne quelques éléments de réponse.

Florence Beaugé est allée à la rencontre du général Paul Aussaresses et de son épouse Elvire et a pu plaisamment bavarder avec eux "dans le salon de leur chaumière alsacienne, proche de Strasbourg". Nous apprenons que le couple possède douze chats, mais que le vieux chien gâteux est mort vers Noël. Si Florence Beaugé ne décrit pas le mobilier et les bibelots du salon, ni la chaumière elle-même et son jardin (ou son parc), c'est qu'elle publie son article dans Le Monde et non dans La Maison de Marie-Chochotte.

Le général Aussaresses, héros de la seconde guerre mondiale, s'est illustré sur beaucoup de champs de bataille et notamment celui de la bataille d'Alger . Le général Jacques Massu l'avait appelé à Alger pour travailler sous ses ordres, ayant remarqué son très beau travail répressif contre les insurrections de Philippeville en 1955.

Chargé de "contrôler" le FLN, il remplit sa mission avec une grande conscience professionnelle. Il fait pendre Larbi Ben M'hidi, un membre important du FLN, en déguisant ce crime en suicide. Il donne l'ordre de défenestrer Ali Boumendjel du 6e étage du bâtiment où il était détenu, prétendant également à un suicide.

Dans la suite de sa carrière, il sera envoyé par l'armée française comme instructeur en Amérique Latine afin de former l'armée argentine à nos techniques éprouvées de guerre contre la subversion. Cette formation sera mise en pratique à la suite du coup d'État des généraux et dans le cadre du Plan Condor (années 1970).

Comme beaucoup de militaires à la retraite, il cède à sa passion des Lettres. Son œuvre littéraire comporte deux ouvrages: Services spéciaux, Algérie 1955-1957: Mon témoignage sur la torture (Perrin, 2001) et Pour la France: Services spéciaux 1942-1954, (Editions du Rocher, 2001). Ces deux livres ont attiré bien des ennuis au vieux général: poursuivi par la Ligue des Droits de l'Homme pour "apologie de crimes de guerre", il a été condamné à 7 500 euros d'amende par la 17e chambre correctionnelle du TGI de Paris. Ce jugement a été confirmé en appel en avril 2003. La cour de cassation a rejeté le pourvoi en décembre 2004.






Mais sa bibliographie est sur le point de s'enrichir et c'est cela qui motive la visite de Florence Beaugé. Le titre de son article est:

"Paul et Elvire Aussaresses, le général et sa muse"


Car le général a une muse, et l'article nous la présente:

«Aussaresses ne se serait peut-être pas lancé dans ce nouveau livre sans les encouragements d'Elvire, épousée en 2002, peu après le décès de sa première femme. Cette ex-antiquaire de 79 ans, médaillée de la Résistance à 17 ans, elle-même veuve et mère d'une fille d'une quarantaine d'années, Martine, a rencontré le général en octobre 2000, quelques semaines avant sa brusque médiatisation. Entre eux deux, le coup de foudre a été “immédiat”. “Paul est l'homme de sa vie. Maman n'a jamais été aussi heureuse”, dit Martine en les couvant du regard.»

Un coup de foudre! Combien de volts, mon général?

«Elvire, la nouvelle muse d'Aussaresses, est à la fois sa tigresse, son aide-soignante et sa groupie. Chaque matin, elle lui lit les journaux - il voit de moins en moins bien - et l'aide à répondre à son abondant courrier. “Il en reçoit autant qu'Alain Delon!”, se réjouit-elle. De temps à autre, elle passe un coup de fil à ceux qui critiquent injustement son mari “pour leur dire leur fait”.

En Aussaresses, Elvire ne voit qu'un héros, l'homme des services spéciaux interalliés sautant en parachute, en uniforme allemand derrière les lignes ennemies en 1945, pour ouvrir les camps de déportés. Peu importe qu'il ait pendu, sans le moindre état d'âme, Larbi Ben M'Hidi, le “Jean Moulin algérien”, en 1957 à Alger, ou fait précipiter du haut d'un immeuble de cinq étages l'avocat Ali Boumendjel parce qu'il apportait son aide aux indépendantistes algériens. Pour elle, “Paul est un gentil garçon”, pas un tortionnaire. “Il a fait ce qu'il devait faire. Il a agi sur ordre”, dit-elle en lui caressant tendrement la main.»


Emouvant, non?

La muse semble s'occuper de tout, mais sur le titre du prochain ouvrage elle n'aura pas le dernier mot:

«Elle aurait bien aimé que le livre s'intitule: Mais pourquoi donc as-tu ouvert ta gueule? Lui aurait préféré quelque chose de plus sobre, qui permette de comprendre, en un éclair, comment un héros de la France libre peut se transformer en tortionnaire et maintenir, cinquante ans plus tard, qu'il n'a fait que son devoir. Circonstances aurait été, selon le général Aussaresses, le titre idéal du livre d'entretiens qu'il est en train d'achever avec un écrivain et réalisateur indépendant, Jean-Charles Deniau. Mais l'éditeur a trouvé que ce ne serait pas assez vendeur. Finalement, ce sera Je n'ai pas tout dit!»

Mais il ne dira pas tout, ce que regrette la muse:

«Elvire aurait aimé que son mari “dise tout”, en particulier sur Maurice Audin, ce jeune mathématicien arrêté par les paras en 1957 à Alger et mystérieusement disparu. Mais le général Massu s'y serait opposé avant sa mort, en 2002.»

Soyons assurés que le vieux général tiendra sa parole: on ne transige pas avec un "point d'honneur".

Cette vérité sur la disparition et la mort de Maurice Audin, voilà plus de cinquante ans qu'une femme la demande. C'est une simple femme, mais avec sa fierté de femme, avec son honneur de femme, elle s'appelle Josette Audin. Elle était l'épouse de ce jeune homme de 25 ans.





PS1 La résistance humaine ayant des limites (n'est-ce pas, mon général) ce billet n'a pu être écrit qu'à l'aide d'un coquetelle de Nux Vomica 5 CH., Ipeca 5 CH., Sepia 5 CH., Tabacum 5CH., Cocculus 5 CH., Borax 5 CH. et Arsenicum Album 5 CH. (liste non exhaustive mais correspondant aux symptômes les plus fréquemment rencontrés).

PS2 L'article du monde n'est plus disponible sur le site du journal, mais il se trouve sur le blog Vivre en rêve .

PS3 J'avais vu ça: Bush met son veto à un texte contre la torture des suspects de terrorisme (signé AFP) et je ne sais pas pourquoi cela m'a rappelé l'article sur Aussaresses…

lundi 10 mars 2008

Les mots d'un président

On discerne bien maintenant quels sont les effets directs de la candidature et de l'élection de Mr Nicolas Sarkozy à la présidence de la République.

Un de ses effets collatéraux me semble être un renouveau marqué de l'intérêt pour les sciences du langage. Renouveau durable ou pas, l'avenir nous le dira.

Il en a des choses à nous dire, l'avenir; il aurait intérêt à se lever tôt, très tôt.

Il peut sembler paradoxal que l'arrivée au pouvoir suprême de Mr Sarkozy coïncide avec une relance d'études de linguistique, voire de poétique, tant le personnage semble éloigné de toute préoccupation des questions de langue. Son niveau de langage est tel que j'ai pu constater, dans ma campagne natale, que l'on préférait envoyer les enfants mener la Blanchette au taureau, plutôt que de les laisser regarder le vingt heures.

Mais, paradoxal ou pas, c'est ainsi. Et je m'en vais de ce pas vous en donner deux exemples.

Le premier nous est offert par les excellents universitaires Louis-Jean Calvet et Jean Véronis, avec leur livre Les Mots de Nicolas Sarkozy, aux éditions du Seuil.

Tout le monde s'est désennuyé un jour à compter les expressions fétiches d'un orateur insipide, cela permet de soutenir son attention. Vous pourriez, je pense, faire un assez bon score actuellement en dénombrant, dans les dialogues mous qu'on nomme débats, les occurrences de "en même temps" ou de "pour autant", ces chevilles qui permettent d'en placer une quand on n'a rien à dire.

Lorsque vous faites porter votre décompte sur des mots significatifs, vous pouvez déjà repérer des "tendances" du discours. Va-t-on plus employer "sanction" ou "avertissement" dans les commentaires des résultats des municipales? Ou aucun des deux?

Si vous voulez vous attaquer à l'ensemble des discours tenus pendant une campagne électorale, vous devrez utiliser des outils plus puissants que votre papier et votre crayon. Des logiciels idoines pourront sasser et ressasser pour vous les milliers de mots prononcés (et faire plus, en vous permettant une étude chronologique, une étude du voisinage des mots…etc.)

Si vous avez un peu mauvais esprit, vous pourrez sortir des résultats de ce genre:


Mais nos auteurs sont des gens sérieux et utilisent avec sérieux leurs ordinateurs pour étudier les discours du candidat Sarkozy (et de sa première plume Henri Guaino). Ils retracent comment s'est imposé un certain profil du candidat, comment sa parole s'est ajustée aux besoins de la campagne et l'a enfin dominée, réagissant aux thèmes de ses adversaire ou en introduisant d'autres pour désamorcer leurs initiatives. Avec le succès que l'on sait.

Est ainsi mise en évidence une part de la stratégie de Sarkozy-Guaino, qui consiste à saturer le discours d'un thème, quasiment réduit à un mot emprunté au lexique privilégié de l'adversaire. Techniquement la saturation est obtenue avec une grande économie de moyens: la répétition, et tout particulièrement, la répétition d'un même segment initial à chaque phrase ou paragraphe (ce que les lettrés nomment "anaphore" et que je préfère appeler "litanie de Saint-Barbant").

Ce procédé sature évidemment, chez les auditeurs, la part de cerveau disponible au discours politique, et va même jusqu'à décerveler les adversaires. Lorsque, le 14 janvier 2007, le candidat Sarkozy lance son OPA sur le nom de Jaurès, c'est un François Hollande sonné qui s'insurge contre une "captation d'héritage"… Et la candidate Royal, tardivement, tente une réplique le 6 avril, à Carmeaux, en répétant "Jaurès" 23 fois. Bel effort! A la parade, Sarkozy prononce 32 fois le nom de Jaurès, le 12 avril, à Toulouse. Et en profite pour répondre sur la question de la "captation d'héritage":


«Voilà donc que je capte un héritage. Voilà donc que l'héritage est possible. Monsieur le premier secrétaire du Parti Socialiste, si l'héritage est possible pour vous, il doit l'être pour chaque Français.

Voilà pourquoi je proposerai la suppression des droits de succession, (…) »



Cette répartie, digne d'une discussion de comptoir où se réanime un gugusse écroulé pour dégoiser "ben, moi, je dis, je dis, les droits de suc-cession, faut les sup-primer", a-t-elle suffit pour que Sarkozy mette Jaurès dans sa poche? Je ne sais. Mais elle semble avoir laissé les socialistes sans voix…

Je pense que certains socialistes, moins crétins que les autres, auraient pu aller voir un peu dans Jaurès… Mais j'ai sans doute tort, car sous la plume de Guaino et dans la bouche de Sarkozy le nom de Jaurès a perdu une grande partie de sa substance. Calvet et Véronis disent avoir songé à un sous-titre pour leur livre: "Histoire d'une vampirisation linguistique". C'est bien ce qui s'est passé avec "Jaurès" devenu simple signifiant un peu vide mais situé "sur la gauche" du candidat, et opérant comme tel. Sans plus.

Tout ceci est bien intéressant et il y aurait encore bien des choses à dire. Je ne regrette qu'une chose, c'est que les auteurs nous aient fait un peu de storytelling (comme on dit maintenant) à propos de la doublette Sarko-Guaino. Evoquer le rôle d'Henri Guaino est inévitable, mais il ne me paraît pas vraiment indispensable d'évoquer (à deux reprises) les destins des deux enfants sans pères et leurs probables égratignures narcissiques. C'est un lot assez commun, avec ou sans père, et on peut s'en remettre sans devenir président de la république ou sa plume…



Mon second exemple de l'influence de la présidence Sarkozy sur les sciences du langage est l'indice d'un renouveau de l'intérêt (ironique) pour la poétique. Je l'ai trouvé dans l'éditorial que Thierry Guichard a écrit pour le numéro 91 du Matricule des Anges (revue littéraire indépendante dont on ne dira jamais assez de bien).

En voici les deux premiers paragraphes:

«Après le succès sur grand écran de La Graine et le Mulet, la fin de février aura consacré un film pour les petits écrans (du téléphone portable à l'ordinateur). On y voit un petit président (grand amateur de stylos et de montres bling-bling) dialoguer avec un "badaud"' du salon de l'agriculture. Le dialogue du film est assez succinct, mais très efficace. On y entend le petit représentant de la France dire "cass'toi alors pauv'con". Pour l'heure, on ignore si ce petit film bénéficiera d'une diffusion internationale avec sous-titrage mais il nous semble qu'il devrait pour le moins figurer au programme, dès la rentrée prochaine, des classes de primaire. Après un cours de civisme et de connaissance des valeurs de notre république (hymne, drapeau), par exemple. Ce petit film pédagogique pourrait introduire également un cours sur les subtilités du français. On commencera par une étude des synonymes. Pour Le Parisien, qui diffuse le clip sur son site internet, l'échange a eu lieu entre un Président et un "visiteur". Pour France Info et France 2 (entre autres), il a eu lieu entre un Président et un "badaud". Si l'homme en question avait été un retraité (ce qu'il est peut-être), il eût été nommé "badaud" tout autant. Les élèves relèveront les différences entre les termes "visiteur", "badaud" et "retraité" et diront pourquoi "badaud" a eu la faveur des grands médias.

Leur maître ensuite, expliquera le rôle de l'élision dans une approche poétique du langage présidentiel. Le français classique (ancien régime autant dire) aurait dit "pauvre con" en trois syllabes, mais la métrique ici en exigeait seulement deux. Le rythme de la phrase imposait une symétrie parfaite: 2-1-2. Le "alors" jouant le rôle de la césure. Le petit président est poète.»


On avait déjà remarqué que le président avait un goût certain pour la poésie. La seul fragment qui nous est parvenu de son Apostrophe à Martinon est un alexandrin d'une grande régularité:

«Je t'ai donné mon fils, je t'ai donné ma ville.»

Le "cass'toi alors pauv'con" pose davantage de problèmes de scansion… Il semble que Mr Thierry Guichard ait tranché en procédant à l'élision de la voyelle initiale du "alors". C'est un point de vue défendable et conforme aux règles d'élision de la prosodie latine (si mes souvenirs sont bons). Mézalors, en chipotant un peu, il me semble qu'il faudrait plutôt entendre le rythme 3-2, et non 2-1-2, d'où une rupture de symétrie.

En abandonnant la symétrie, mais en tenant ferme sur la régularité, on obtient 2-2-2, qui est d'une platitude à marcher au pas…

A ce propos, de nombreux commentateurs ont remarqué que le monostiche "cass'toi alors pauv'con" était un excellent slogan pour rythmer la grande manifestation qui devrait conduire sous peu le souverain à partir en exil. Les difficultés précédentes m'en font douter.


PS: Grand merci à Thierry Guichard, pour son autorisation.