mardi 29 avril 2008

Play it again, guy !

free music





Sur le point de partir en pèlerinage mémoriel à Paris, à l'occasion du quarantenaire de la dernière émergence notable de la chienlit, autrement dit sur le point de me retirer en mon ermitage bellevillois, qui n'est, vous connaissez la campagne, raccordé ni au gaz ni à internet, je suis venu vous dire que je m'en vais et vos commentaires n'y pourront rien changer.

Mais avant de partir, je voudrais vous donner quelques nouvelles et précisions sur le fameux profil "anarcho-autonome" qui semble se dessiner dans les milieux autorisés (à tout ?). Ceci afin de donner une suite à la publication ici de la lettre de Bruno et Ivan, relayée sur Place assise non numérotée, les 17 millions… et les autres, Monsieur Poireau et abcd etc. comme.

Primo, trois articles: les deux premiers expriment les inquiétudes des autorités (par une ironie délectable, je les ai retrouvés sur l'excellent blog Jura Libertaire ! (vive le Jura!)), et le troisième donne le "décryptage" (comme on dit partout pour ne rien dire) d'un expert. Les commentaires qui suivent son article, sur Rue89, ne sont pas à négliger pour réfléchir sur cette "expertise".


 
 

Vous êtes assez grand(e)s pour vous faire une opinion.

Secundo, des informations récentes: tirées du site Indymédia Paris Ile de France, certain(e)s les prendront avec des pincettes, mais je leur trouve un côté authentique (même si les commentaires qui les accompagnent sont aussi peu modérés (à tous les sens) que d'habitude).

 
 

En résumé, au Palais de justice, où Ivan, l'un des auteurs de la lettre passait en appel de sa demande de libération, un rassemblement de soutiens a été évacué en utilisant les méthodes habituelles. Ces méthodes ne sont jamais appréciées des évacués… Leur réaction a provoqué en retour un "serrage" de la part des forces de l'ordre qui ont procédé à un certain nombre d'arrestations. Après vérification d'identité au commissariat du 11ième (une adresse à retenir: métro Ledru-Rollin), tous ont été relâchés, sauf une personne qui a été libérée en fin de matinée.

Compte-rendu aussi neutre que possible d'un fait qui tend à devenir aussi banal que souhaitable, je pense, par les braves gens qui n'ont rien à se reprocher.




PS1: Pendant ma fugue, les commentaires seront bloqués avant d'être publiés, au cas où un abruti aurait l'étrange idée de poster ici ses lubies insanes (J'ai trouvé sur cet inestimable compagnon qu'est Gougueule Analytixe, cette requête "nuits de baise de femmes blanches en Afrique Noire" aboutissant dans l'Escalier… Mais c'est que je tiens à rester le seul malade ici!)

PS2: Les illustrations de ce billet sont empruntées au matériel proposé par le site Mai68-Mai08 (redonnons la parole aux murs).



PS3: Vous avez pu constater que ce blog se place désormais sur le chemin de la modernité, avec du son, comme dans les vrais blogs. J'ai bénéficié pour cela des conseils précieux, quoique un peu condescendants, d'une blogueuse expérimentée. Veuille-t-elle recevoir ici l'expression intimidée de ma gratitude éternelle.

PS4: Le choix que j'ai fait d'un titre d'une extrême ringardise se place résolument, mais de manière très personnelle, dans l'ensemble des scénographies mémorielles du moment.



lundi 28 avril 2008

Jacques Roubaud en alerte

J'ai découvert des tas de choses que j'ignorais encore, hier, en allant consulter l'impressionnante bibliothèque si bien rangée (quasiment "gérée") de mon amie X-(ine).

Je fus noyé dans un discours passablement incohérent, qui me laissa craindre un instant pour la santé mentale de cette très chère amie. Il y était question de Jacques Roubaud, d'alerte à la bombe, de Normale Sup. En fait, en véritable amie, qui sait bien qu'il faut régulièrement flatter mon ego fissuré, sous peine de me voir retomber en d'horribles cauchemars, X-(ine) a tendance à croire que rien de ce qui concerne Jacques Roubaud ne m'est étranger. Il est vrai que ce blog est placé sous le double patronage de Desnos et de Roubaud, mais il ne faut pas exagérer.

Jacques Roubaud

J'appris donc:


Que le superbe livre de Roubaud Quelque chose noir, figurait parmi les œuvres littéraires au programme des classes préparatoires littéraires, les khâgnes, en compagnie de Corneille, La place Royale, Monstesquieu, L'Esprit des lois et Stendhal, La Chartreuse de Parme.

Que, contrairement à tous les pronostics, mais pas à toutes les espérances des amoureux de la littérature vivante, le sujet de l'épreuve du 22 avril au concours de Normale Sup (ENS-LSH de Lyon et ENS-Cachan) portait justement sur Roubaud.

Que, une vingtaine de minutes avant la fin de l'épreuve de cinq heures, à la suite d'un appel téléphonique anonyme, une alerte à la bombe avait vidé le centre d'examen de la Plaine-Saint-Denis.

Que, deux heures plus tard, les candidats étaient autorisés à regagner leurs places et finir leur copie et qu'on leur a laissé entendre que l'épreuve serait validée.

Que, le lendemain, tous recevaient un message du président du jury, annonçant l'annulation de l'épreuve et les convoquant pour remettre ça le samedi suivant.

J'ai suffisamment usé mes djinnes sur les bancs de classes prépa et, par la suite, eu assez de nouvelles de ces endroits, pour imaginer la frustration désespérée qui peut saisir un(e) candidat(e) à peine sorti(e) de ces cinq heures de travail intense, apprenant que tout est à refaire… Et je me demande si l'on aurait le culot de faire le même coup, dans les mêmes délais, pour, le marathon de Paris, par exemple. Mais je peux me tromper, n'ayant qu'un goût modéré pour l'idéologie du sport.

Une pétition, demandant l'annulation du report de l'épreuve, a été lancée. Sans grand espoir, car les décisions du jury sont irrévocables, me semble-t-il, alors que la promesse de valider l'épreuve du 22 avril n'a été faite que par des "examinateurs"…

Pendant ce temps, roulent les rumeurs… Dans certaines grandes prépas parisiennes, les professeurs, étonnés de le voir au programme, auraient estimé que cet intrus de Roubaud n'avait aucune chance de "tomber" au concours. Cela s'appelle "faire l'impasse", et aussi, chers vénérés collègues, faire l'économie d'un travail ingrat et risqué. Un cours sur Montesquieu, Corneille ou Stendhal, cela peut se faire, il est peut-être déjà sur votre disque dur, sinon vous savez disposer d'une riche bibliographie. Mais pour Roubaud, un auteur encore vivant, et bien vivant (c'est tout le mal que je lui souhaite, pour le plus grand bonheur des amateurs de littérature), c'est autre chose. Certains d'entre vous ne l'ont pas lu, habitués que vous êtes à ne fréquenter que des auteurs morts ou en voie de l'être, et son œuvre est considérable, même si vous n'avez qu'un livre au programme (or ce livre "commande" d'une certaine manière le grand ensemble du Grand incendie de Londres). Finalement, tout se termine bien pour vous.

Pas pour les élèves.

Et peut-être pas non plus pour l'idée que l'on peut se faire de la littérature. (voir PS1)



PS1: Quelques liens pour des compléments d'information.

Un récapitulatif sur le blogjournal de François Bon.

Qui a peur de Jacques Roubaud ?, sur Remue.net.

Un court article sur non.fiction.fr.

Le "sujet Roubaud" sur Fabula.org.

La pétition.

NB: Je ne cite pas le blog de Pierre Assouline, qui prétend présenter l'affaire sans faire la moindre allusion à ses collègues (certes moins en vue que lui) et qui laisse traîner dans le grenouillage complaisant qui suit ses billets des commentaires inqualifiables. François Bon fait une remarque analogue.

PS2: Quelque chose noir est édité chez Poésie/Gallimard. C'est un livre de deuil, le retour à la parole de Roubaud après la mort de sa seconde femme, la photographe Alix-Cléo Roubaud. Le titre Quelque chose noir est un rappel d'une série de photographies d'Alix-Cléo intitulée Si quelque chose noir. Pour voir ces photos, je suis allé jusqu'à me procurer la traduction anglaise par Rosemarie Waldrop de Quelque chose noir, où elles sont reproduites.

C'est à propos du couple formé parJacques Roubaud et Alix-Cléo Roubaud que monsieur Assouline laisse à la traîne de son blog des insanités.

PS3: La photo de J. R. a été prélevée sur le blog de François Bon.

PS4: J'ai mis sept liens autoréférentiels, en hommage à Jacques Roubaud.
Les roubaldiens comprendront, les autres: au boulot! vous n'allez pas faire comme les profs de chaires supérieures, non...

dimanche 27 avril 2008

Des nouvelles de l'intolérable

Je relaye, sans commentaire personnel autre que le titre que j'ai choisi, la lettre qui suit. Ivan et Bruno s'expliquent très bien sans moi.

Mon seul espoir est que cette lettre soit relayée par d'autres, plus sérieux et plus lus que moi.

Lettre d’Ivan et Bruno depuis les prisons de Fresnes et Villepinte.

Salut à tous les copains, à tous ceux qui ne sont pas résignés à la situation que nous vivons : occupation policière des rues, des villes, rafles, expulsions, arrestations, difficultés quotidiennes, dépossession de nos vies ; cette situation qui nous pousse à céder une part grandissante de nos vies aux chefs en tout genre, à ceux qui président à nos destinées, au pouvoir. Si nous prenons le parti de la révolte, c’est pour toutes ces raisons, pour retrouver le pouvoir sur nos vies, pour la liberté de vivre.

Nous avons été arrêtés le 19 janvier. Nous sommes deux en prison, le troisième est sous contrôle judiciaire (il passait par là et avait le tort de nous connaître). Nous avions en notre possession un fumigène que nous avions fait en mélangeant du chlorate de soude, du sucre et de la farine. Enflammé, ce mélange produit un fort dégagement de fumée. Nous projetions de l’utiliser à la fin de la manifestation qui allait ce jour-là devant le centre de rétention de Vincennes. Notre idée : se rendre visible auprès des sans-papiers enfermés, sachant que la police tenterait sûrement de nous empêcher d’approcher du centre. Nous avions aussi des pétards pour faire du bruit et des crèves-pneus (clous tordus) qui peuvent être disposés sur la route pour empêcher les voitures de passer.

Pour la police et la justice, le prétexte est tout trouvé, nous avions les éléments pour une bombe à clous. Voilà ce dont nous sommes accusés:

Transport et détention, en bande organisée, de substance ou produit incendiaire ou explosif d’éléments composant un engin incendiaire ou explosif pour préparer une destruction, dégradation ou atteinte aux personnes. Association de malfaiteurs en vue de commettre un crime de destruction volontaire par l’effet d’un incendie, d’une substance explosive ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes, commis en bande organisée.

Refus de se prêter aux prises d’empreintes digitales ou de photographies lors d’une vérification d’identité. Refus de se soumettre au prélèvement biologique destiné à l’identification de son empreinte génétique par personne soupçonnée de crime ou délit.

Ça fait froid dans le dos. Voilà pour les faits, nous allons tenter d’y apporter une réflexion.

Ce n’est évidemment pas au regard de ce que nous détenions ou de ce que nous projetions de faire que nous avons été traités de la sorte. L’État criminalise la révolte et tente d’étouffer toute dissidence «non-autorisée». Ce sont nos idées et notre façon de lutter qui sont visées, en dehors des partis, des syndicats ou autres organisations. Face à cette colère que l’État ne parvient ni à gérer ni à récupérer, il isole et désigne l’ennemi intérieur. Les fichiers de police et des renseignements généraux construisent des «profils-types». La figure utilisée dans notre cas est celle de «l’anarcho-autonome». Le pouvoir assimile cette figure à des terroristes, construisant une menace pour créer un consensus auprès de sa population, renforcer son contrôle et justifier la répression.

C’est pourquoi nous sommes aujourd’hui en prison. C’est la solution choisie par l’État pour la gestion des illégalismes, des «populations à risque». Aujourd’hui il faut enfermer plus pour plus longtemps. Les contrôles, toujours plus efficaces, et les sanctions qui font peur assurent à ceux qui détiennent ou profitent du pouvoir une société où chaque individu reste à sa place, sait qu’il ne peut pas franchir les lignes qu’on a tracé pour lui, qui l’entourent et le compriment, sans en payer le prix. Si nous luttons aux côtés de sans-papiers, c’est que nous savons que c’est la même police qui contrôle, le même patron qui exploite, les mêmes murs qui enferment. En allant à la manifestation, nous voulions crier en écho «Liberté» avec les prisonniers, montrer qu’on était nombreux à entendre la révolte qu’ils ont menée pendant plusieurs mois. Allumer un fumigène, tenter de s’approcher le plus possible des grilles de la prison, crier «fermeture des centres de rétention», avec la détermination de vouloir vivre libre. Cette lutte, dans laquelle on peut se reconnaître, est un terrain de complicités à construire, un lieu possible de l’expression de notre propre révolte.

Nous ne nous considérons pas comme des «victimes de la répression». Il n’y a pas de juste répression, de juste enfermement. Il y a la répression et sa fonction de gestion, son rôle de maintien de l’ordre des choses: le pouvoir des possédants face aux dépossédés.

Quand tout le monde marche en ligne, il est plus facile de frapper ceux qui sortent du rang.

Nous espérons que nous sommes nombreux et nombreuses à vouloir posséder pleinement nos vies, à avoir cette rage au cœur pour construire et tisser les solidarités qui feront les révoltes.

Bruno et Ivan, avril 2008



PS: Cette lettre a été publiée sur le site Rap Conscient, et relayée par l'En Dehors.

… et la tête dans les nuages.

Si cette chère Lulu, du Cantal, était encore là, elle m'aurait harcelé par courriel pour savoir à quoi donc j'avais pu perdre cette belle journée d'hier, au lieu de réaliser le second objectif que je m'étais fixé.

Je lui aurais répondu que j'avais entrepris de rechercher un livre dans ma bibliothèque. Et que je ne l'avais point retrouvé.

Il faut dire que chez moi, par bibliothèque, il faut entendre toutes les pièces, à la seule exception des toilettes. Je n'y lis que le journal, car si le poète a dit (à peu près): "L'acte d'amour, comme l'acte de poésie, est incompatible avec la lecture du journal à haute voix"*, j'estime que l'incompatibilité n'a pas à être étendue à d'autres actes vitaux.

Cela indique l'ampleur de la tâche.

Cette tâche me paraissait indispensable, car la matinale contemplation de mon pommier en fleur m'avait encore propulsé dans des nuages poétiques (c'est compulsif).


Au lieu de songer à quelque haïku d'Issa, il m'était revenu le début de ce fragment de Senancour que Philippe Jaccottet aime à citer et commente dans Paysages avec figures absentes (Gallimard 1970,1976):

«Si les fleurs n'étaient que belles sous nos yeux, elles séduiraient encore; mais quelquefois leur parfum entraîne, comme une heureuse condition de l'existence, comme un appel subit, un retour à la vie plus intime. Soit que j'aie cherché ces émanations invisibles, soit surtout qu'elles s'offrent, qu'elles surprennent, je les reçois comme une expression forte, mais précaire, d'une pensée dont le monde matériel renferme et voile le secret» Senancour, Oberman, fragment sans date tiré du supplément de 1833.




Voici la fin du commentaire de Jaccottet:

«Mon émotion, mon bonheur, l'éveil de mon attention, mon "retour à une vie plus intime", en particulier à certains moments et dans certains lieux, il était impossible, il eût été incompréhensible, la profondeur de ces réactions m'en assurait, qu'elles ne fussent pas "liées à une pensée dont le monde matériel renferme et voile le secret". Ces lieux, ces moments, quelquefois j'ai tenté de les laisser rayonner dans leur puissance immédiate, plus souvent j'ai cru devoir m'enfoncer en eux pour les comprendre; et il me semblait en même temps en moi. Peut-être en viendrai-je à reconnaître que c'est là le seul langage, avec celui des poètes qui le parlent, auquel spontanément j'aie ajouté foi.» Paysage avec figures absentes.


Il ne faudrait pas, je pense, lire ces réflexion en étant prêt à tomber dans l'impasse irrespirable de je ne sais quel "sentiment océanique" de la divinité. C'est ici affaire d'émotion et de langage, ce langage poétique, qui permet de creuser encore, malgré tout ce qu'il faut taire, dans l'indicible.

Je ne vous dirai pas que toute l'œuvre de Jaccottet est là, mais une grande part, écrite avec une très grande retenue et une très grande modestie. Malgré son travail indispensable de traducteur (il nous a permis de lire Musil, Rilke… et beaucoup d'autres), malgré la grandeur de sa poésie, il écrit:

                                                          Tant d'années,
                                                           et vraiment si maigre savoir,
                                                           cœur si défaillant ?

                                                          Pas la plus fruste obole dont payer
                                                          le passeur, s'il approche ?

                                                          - J'ai fait provision d'herbe et d'eau rapide,
                                                          je me suis gardé léger
                                                          pour que la barque enfonce moins.


Pensées sous les nuages (Gallimard, 1983)






* Cette citation est de: Paul Claudel, André Breton, Jean-Marie Bigard…?…
Question subsidiaire: Quel est le point commun entre les trois auteurs proposés ?
Le gagnant (mais je m'arrangerai pour que ce soit une gagnante) recevra, poste restante, deux photos de moi, dédicacées et signées "Alain Delon" pour la première (j'y serai glabre), et "Laurent Joffrin" pour la seconde (j'y serai barbichu).


PS1: Grand merci à mon amie X, dont la bibliothèque est un modèle d'ordre et ne comporte, en attente indéterminée, aucun des livres que je lui ai prêtés, pour m'avoir autorisé à feuilleter son exemplaire de Pensées sous les nuages.

PS2: L'aquarelle d'Anne-Marie Haesler-Jaccottet qui illustre ce billet provient de cette très belle page.

PS3: De Philippe Jaccottet viennent de paraître: Un calme feu (Editions Fata Morgana, 2007), notes d'un voyage au Liban et en Syrie, et Ce peu de bruits (Gallimard, 2008), notes du voyage immobile du vieux poète

PS4: Quatre liens internes, une note contenant un jeu richement doté et trois PS, ça ne vous suffit pas ?

samedi 26 avril 2008

Les pieds dans la rosée

Au réveil, je me suis dit: "Guy M. va se secouer!"

Au réveil, mon côté "Alain Delon" reprend souvent le dessus: je m'interpelle par mon nom (mon pseudo depuis que je blogue) et parle de moi à la troisième personne. Ma ressemblance avec Alain Delon m'a pourrit la vie dès la naissance; l'âge venant, notre commune et simultanée décrépitude n'a fait que l'accentuer, cette ressemblance. Et être obligé de perpétuellement répondre "Alain Delon va vous signer un autographe" à chaque demande qu'on me faisait dans la rue, m'a lentement conduit à laisser pousser cette célèbre barbiche qui me donne un faux air de Laurent Joffrin, qui lui a l'air faux, ce qui évite les malentendus. Et puis on demande beaucoup moins d'autographes à Laurent Joffrin qu'à Alain Delon.

Mais comment savoir si Laurent Joffrin, au réveil, ne se prend pas pour Alain Delon, d'où cette persistance matinale de la troisième personne chez moi, qui disparaît avec le premier café.

Alors, comme tout le monde, je me tutoie et nous (moi-je et moi-tu) établissons de manière constructive le programme de la journée.

Aujourd'hui, deux projets à mener à bien.

Premier projet: adresser un signe amical aux tenanciers du blog La Fleur au Fusil, qui ont eu la gentillesse de me placer dans leurs références (m'a-t-on récemment appris).

La Fleur au Fusil est un très beau blog de photos où interviennent Claude Rayon, Fleurose, Michel Boisnard, Pedro Rodriguez, Tilu et Vanessa Caradant. Cela faisait un certain temps que je n'avais pas été batifoler dans leurs pages, j'y suis retourné et c'est toujours aussi bien.

Impossible de leur adresser une bonne photo. Un(e) photographe est quelqu'un(e) qui VOIT, moi je ne fais que regarder et je ne vois rien: ni les caresses de la lumière, ni les alliances ou oppositions des couleurs, ni les contrastes du moment, ni les angles révélateurs, ni les cadrages possibles… Alors, me suis-je dit, je vais leur faire un truc second degré, genre souvenir de Normandie de très bon goût, carte postale avec pommiers en fleurs.

Je me suis approché, à peine caféiné, les pieds dans la rosée, du pommier qui commence sa floraison dans le fond du jardin. Pour le prendre en entier avec une vache devant, il me manquait une vache. Pour le prendre en entier sans vache, c'était possible, mais l'arrière plan ne me convenait pas, et il était trop tôt pour demander à mes calamiteux voisins de détruire leurs horreurs de maison ou de couper à ras leurs affreuses haies de thuyas. J'en fus réduit à une pauvre petite fleur, mais de pommier normand bien de chez moi. J'ai bien mis le truc anti-yeux-rouges (il paraît que ça se fait), alors le rose, il est, comme qui dirait, naturel.



Une fleur pour La Fleur au Fusil

Voilà entre leurs photos et la mienne, il y a la différence que l'on peut déceler entre un Monet et un calendrier des Postes.

Mais c'est du second degré, hein!



PS: A part ça, il y avait un deuxième projet (il faut toujours avoir deux choses importante à faire dans une journée), eh bien, il a été remis (c'est à cela que sert ce second projet indispensable).

vendredi 25 avril 2008

Et crachons dans la bétonnière


Ce n'est pas parce que j'ai une affection particulière
pour les patrons de l'hôtellerie qu'il faut oublier
ces autres entrepreneurs emblématiques du
"Ta gueule, hé, j'travaille!"
Guy M. , Aphorismes pré-posthumes (à paraître)



Je me demande si les bredouillis de monsieur Brice Hortefeux ne sont pas partie intégrante et structurante de sa personnalité un peu falote et lunaire. Il a toujours l'air de débarquer de la lune rousse; et à force d'avoir cet air de débarquer, il s'est laissé entraîner dans ces histoires d'embarquements immédiats de clandestins, dont il aimerait peut-être se laver les mains.

Aux dires de certains, ce serait un homme fort affable, d'un humour charmant et même capable de se présenter sur le plateau de Laurent Rucquier, sans préparation intensive, et d'y faire bonne figure. Sur ce dernier point, je ne peux confirmer, je ne regarde pas Laurent Rucquier. Dans mon village je suis connu comme un monsieur honnét' et prop': effectivement, cela fait des décennies que je n'ai pas acheté une revue porno, et je n'ai jamais mis les pieds dans un boxon.


En fait, tout va bien…

 

Monsieur Hortefeux n'a pas à être embarrassé et peut maintenir le cap: le coup de main du patronat et l'accompagnement des syndicats dans l'affaire des 600 grévistes sans-papiers, dont une grosse centaine seront vraiment régularisés (et non pas "naturalisés", c'est très différent, monsieur le Président!) provoque certes "un petit souci" pour tenir les objectifs chiffrés, mais renforce, ô combien! le dogme rather couillu (comme disent certains de mes amis anglo-saxons) de l'immigration par et pour le TRAVAIL (qui rend libre).
  

Avec quelques ajustements de communication, quelques hochements de tête approbateurs de l'opposition, quelques analyses par des spécialistes de la guimauve-langue du consensus, l'idée de la nécessité de maîtriser les "flux migratoires" avec un humanisme économiquement dosé devrait faire son chemin.

Et comme je suis, ce soir, flamboyant d'un optimisme béat, quoiqu'un peu antiphraseux, j'y aperçois un autre avantage à l'horizon. Pas nouveau-nouveau, mais toujours utile: c'est de réveiller un peu la vieille xénophobie populiste de la clientèle d'extrème-droite. Vous pouvez en trouver une amorce particulièrement hypocrite dans cet article de prétendue réflexion: "Vive les sans-papiers, à bas le smic!" La lecture rapide des commentaires qui le suivent donne une idée de la riche utilisation que pourront faire de ce thème les braves gens raisonnables au café de l'Economie et du Commerce.

Il reviendrait aux "forces de gauche" et, par exemple aux syndicats de contrer ce type de dérive. Mais ils sont devenus si raisonnables eux-aussi… Comment leur accorder un quelconque crédit ?
 


(c) D. Delaporte/Cimade

Sous les quolibets du Café du Commerce, des particuliers et des associations poursuivent leur travail.

La Cimade exerce depuis 1985 une mission d’accompagnement des étrangers dans les centres de rétention administrative. D’abord essentiellement sociale, elle est aujourd’hui définie comme une mission d’aide à l’exercice des droits des personnes retenues.

Le rapport 2007 vient d'être publié et a été mis en téléchargement hier à cette adresse. Il faudrait le citer en totalité: c'est le portrait fidèle et documenté de ce qui continuera d'être l'intolérable que les gens bien raisonnables tolèrent.

 


L'extension des centres existants et la construction de nouveaux centres de rétention vont fournir du travail dans l'industrie du bâtiment; réjouissons-nous: quand le bâtiment va, tout va.

Cracher dans la bétonnière, ça soulage.

Mais très peu.

jeudi 24 avril 2008

Crachons dans la soupière

Les quelques ancienNEs élèves qui suivent ce blog avec autant d'attention qu'autrefois mes cours (ce qui leur laisse des loisirs) se souviennent sans doute qu'il m'arrivait à l'occasion de broder brillamment sur quelques aphorismes bien frappés au coin du non sens, tout en me déplaçant en crabe vers le bureau où je pensais trouver, dans mes papiers étalés ou (horresco referens) au fond de ma pouque*, la solution du fichu exercice que j'avais eu la témérité de leur donner.

"Vous ne trouvez pas? Tant pis. Je vous pardonne… Il faut toujours pardonner à la triste humanité…Parce que l'humanité a quand même à son actif trois inventions incontestables... Par ordre d'importance croissante: les mathématiques, la poésie et la sauce au beurre blanc."

Disais-je.

Par exemple.

Et seul le redoublant comprenait que sous le nappage de la sauce au beurre blanc, il fallait identifier métonymiquement la gastronomie.

Je pense que monsieur Sarkozy nous fera la grâce de ne parler ni de mathématiques, ni de poésie… Mais il se trouve que ce sportif buveur d'eau, qui par ailleurs doit exiger un dosage de "ses" plats au pèse-lettre, a imaginé de faire inscrire la gastronomie française au patrimoine mondial immatériel de l'Humanité.




Baba au rhum ambré, crème à la vanille Bourbon, paré pour l'attaque.

Va-t-on "classer" le cassoulet toulousain, la potée auvergnate, le kig ha farz breton, le stofi aveyronnais, etc. et fixer à jamais une norme patrimoniale de ces plats, alors que leur dégustation ne peut s'accompagner que d'une boisson qui ne fasse pas écran et d'une controverse acharnée sur les éléments de la recette qui encourage à se resservir pour vérification? Il paraît que non: monsieur S#### pourra toujours ajouter du "goût ciboulette"(sic) à son "cassoulet" et mon ami Y. du gingembre râpé (sic itou, mais efficace!) au sien.

Va-t-on alors honorer à jamais les prétentions de la plupart des officines où l'on fait dans l'inventivité culinaire ? Vous connaissez sans doute ces "boutiques" où, après une calamiteuse "terrine de lièvre aux vapeurs d'hysope, avec ses noisettes caramélisées au vinaigre de Modène" (pauvre bête, ça doit être douloureux), vous pouvez vous offrir une "longe d'espadon en petit ragoût indien au lait de coco, et son duo de riz safranés en timbales (je peux vous fournir la recette, si vous voulez) et vous pouvez terminer en beauté avec, importé du menu enfant, un "chaud-froid de croque-monsieur à la banane et au chocolat, rafraîchi à la vanille de Madagascar" (merci à la brasserie Flo (Py), pour la recette).

Il me semble bien que personne ne sait trop à quoi va mener cette demande de "classement".

Ce qui est certain, c'est qu'elle a été annoncée avec un grand "smiley" électoral enjôleur en direction des professionnels de la corporation dite des industries de l'hôtellerie et de la restauration. Car il ne faut pas oublier que ce que l'on présente, affublé d'une blouse de dentiste, avec un sympathique accent du sud-ouest, comme un art de la convivialité, où l'on "travaille" de bons "produits" pour le plus plaisir de la clientèle, est aussi et surtout une industrie.

Le patronat de cette industrie est probablement l'un des plus rapide à l'ouvrir dans le style "moi, monsieur, je travaille" ou "nous produisons de la richesse, nous, monsieur". Les conditions de travail dans le secteur ne sont pas optimales et la gestion des ressources humaines peut éventuellement se solder à coups de pieds au cul (ben, quoi, quand on a les mains prises…). Les formations qui mènent là sont remarquables par leurs vertus pédagogiques. Allez, si le cœur vous en dit, dîner dans un restaurant d'application d'un lycée hôtelier**. Vous pourrez y observer ces gamins ou gamines faisant le service en tremblant, sous l'œil implacable d'un prof, maître d'hôtel couperosé, qui va "les noter". A dire vrai, le spectacle de ce dressage à la soumission, à l'obséquiosité et à la servilité, peut expliquer la maigreur des portions proposées. Il est difficile d'en avaler plus.

Il est évident pour tout le monde que ce n'est pas par philanthropie (pure ou impure) que les patrons de la restauration ont soutenu leurs employés sans-papiers dans leur lutte pour une régularisation.

Cela n'empêche pas de se réjouir du succès de ceux qui ont réussi, et des bredouillements consécutifs de monsieur Brice Hortefeux***…


Un pote auvergnat.



Sur tout cela, je délirerai demain****.



*     "Pouque", en vernaculaire normand, signifie "sac", puis par extension "cartable", puis, suite à la disparition du cartable, à nouveau "sac" (mais "à dos").

**    C'est très bon, pas cher, pas copieux (parfois il y a du rab), mais il faut réserver à l'avance.

***  C'est hors de propos, mais tant pis… J'ai entendu ce matin, quasiment au réveil, notre camarade Didier Porte, chroniquant chez le normalien braillard de France-Inter, Nicolas Demorand, s'amuser du fait que monsieur Hortefeux, qui semble affecté du syndrome du raton-laveur, exige une boîte de lingettes dans sa voiture de fonction et se lave les mains vingt fois par jour (comme on dit: ya kékchose là-dessous, non?). Je trouve que vingt poignées de mains par jour, c'est peu, pour un ministre aussi populaire.

**** J'ai décidé que monsieur Sarkozy ne passerait pas à la télé pour moi. (A moins qu'il ne vienne annoncer sa démission).

mercredi 23 avril 2008

Tout, et même n'importe quoi

Y en a, j'vous jure, qui me feraient tomber dans la vulgarité la plus totale.

Mais heureusement, je m'écoute écrire… Cela fait un petit rythme syncopé, avec de profonds silences où l'ange de l'écriture passe et m'abandonne. J'aimerais beaucoup trouver un petit logiciel qui accompagnerait la frappe du bruit de la machine à écrire qu'utilisait l'un des grands auteurs américains de roman noir, tchik keu tchik dong dong tchitchik keu tchik ding. Le plus difficile est bien sûr de bien programmer le "ding" qui prévient de la toute proche fin de ligne et prépare psychologiquement au retour (manuel) du chariot (accompagné d'une lampée de bourbon).

Un qui me gonfle, qui me GONFLE, qui me GONFLE  (je ne trouve pas d'autre mot) sérieusement, depuis longtemps, mais surtout en ce moment, c'est Dany-le-claoune. Vous savez bien, le baratineur surdimensionné pour assemblées générales, devenu démocrate respectable, mais qui ne porte pas le costard-cravate (attention: contestation!) et qui dédicace maintenant son bouquin au Sarko au lieu de lui envoyer par le travers dans la tronche…

Comme cet œdème me semble assez partagé, quoique en une langue dominée, par Denis Perais et Nadine Floury, auteurs d'un très bon article paru sur le site d'Acrimed, je vous y envoie: et hop, c'est là!

Et pour l'anniversaire lui-même, puisqu'il semble impossible d'y échapper, autant aller dans les lieux où quelque chose continue à vivre, bordéliquement, en mélangeant des utopies d'hier, d'avant, de maintenant et d'après (s'il y en a un), en mélangeant la déconnade pure et le dur militantisme, les discussions sérieuses à se flinguer et les bals populaires animés par Riton la Manivelle, Arnaud le facteur & Mana la Manouche, the Fabulous Turtle Brothers, l'orchestre Melodica de la place des Fêtes…



C'est ce que propose le Festival des Résistances et Alternatives de Paris, dans ces quelques lieux où la liberté se vit encore sur le mode libertaire et non pas libéral. Il en reste peu, profitez-en.

Et ce n'est généralement pas loin de chez moi. Je peux vous faire la visite du quartier en passant par tous les escaliers et toutes les bibliothèques.

Vous trouverez le programme à cet endroit.

C'est évidemment un programme provisoire et foutraque, et pour longtemps.

Il y a de tout et du n'importe quoi où je ne mettrai sûrement pas les pieds. Mais c'est comme ça (et d'ailleurs, ex-camarades donneurs de leçons d'histoire, vous savez bien que c'était aussi déjà comme ça).

mardi 22 avril 2008

Réponse publique à une question privée

Les trois fidèles de ce blog connaissent déjà LA quatrième, ma groupie du Cantal qui, ayant trouvé mon adresse, sature ma boîte virtuelle de courriels hystériques et libidineux, d'un volcanisme, un peu ancien certes, mais qui ne laisse point de m'inquiéter. On a vu souvent, n'est-ce pas, rejaillir le feu d'un ancien volcan qu'on croyait trop vieux. Ne me reprochez pas mon absence de courtoisie, j'ai connu Lulu à l'école primaire de Trifouillis-la-campagne, elle ne cachait rien, et surtout pas son âge, qui était double du mien. Il n'y a pas de raison que ce dernier point ait changé.

Or donc voici: Lulu insiste pour que je révèle publiquement les véritables raisons de ma présence à La Rochelle; elle craint, que dis-je, elle redoute que ce ne fût pour de sombres motifs gaudriollesques. Ses menaces étant détaillées, précises et chirurgicalement réalisables avec ses moyens rudimentaires, je me vois contraint de lui donner satisfaction.

En vrai, je me suis rendu à La Rochelle pour me rapprocher de l'île de Ré.

Et pourquoi l'île de Ré ? diras-tu, Lulu.

D'abord, dire Merde à Vauban.*

Et surtout perpétrer un attentat pâtissier suicide sur la personne de monsieur Yonel Jospin, résident intermittent de l'île de Ré (et pas au bagne).

On connaît, car j'en ai déjà parlé ici, mes pulsions gloupières; je comptais innover en utilisant un baba au rhum bien coulant - le sirop parfumé du baba me semble plus pégueux que la crème et mon identité normande se refuse à jeter de la "bonne marchandise".

Mais pourquoi donc Yonel ? dis-tu Lulu.

Parce que.

Parce que Yonel Jospin est pour moi l'icône de l'impuissance du prétendu Parti Socialiste, et plus même que l'icône, il est, fait homme, le Verbe terne, médiocre, décoloré, de ce parti. Il incarne le manque absolu d'imagination d'un second de la classe, qui s'applique à garder sa place sans surtout briller, ni choquer qui que ce soit. Et quand il veut se hausser d'un cran, en y allant comme à reculons, il la perd, cette place, face à deux roublards en goguette. Drapé dans une dignité blessée, il se retire pour mieux revenir, de temps à autre, regarder par dessus l'épaule des autres emplâtres qui lui ont succédé à la tête du parti, et jouer les grands sages qui n'ont rien dit, mais qui n'en pensent pas moins (et qui l'écrivent). Son empreinte demeure sur cette direction du parti, qui se chamaille, avec ce discours atone, sans vie, de recalés du conservatoire d'Art Dramatique**.

A La Rochelle, mon contact, rencontré discrètement au café de la Paix, rue ou place de Verdun, m'informa que Yonel s'était absenté pour "communiquer" de toute sa lumière éteinte dans une émission de radio ou de télé…

Le projet tombait à l'eau et le dieu de la météorologie sait qu'il en tombait aussi, de l'eau. La Rochelle ruisselait de toutes ses gouttières et plus trempé qu'un baba au rhum, je rentrai à l'Hôtel où la petite dame*** m'assura que "ça arrivait même en saison". En plus, j'étais hors-saison!

En cherchant à me perdre dans la vieille ville (entreprise ardue, comme dans toutes les villes à remparts), je finis par arriver dans le quartier Saint-Nicolas, ancien quartier de marins. Pas de rues à arcades, mais pas non plus de ces boutiques de "luxe" qui accompagnent leur vulgarité naturelle et assumée de bouffées de ces parfums entêtants à vous faire regretter les lacrymos de la maréchaussée.

Et puis, sur une petite place (de la Fourche, si ma mémoire est fidèle), j'ai vu une petite galerie, qui s'appelle La Petite Galerie, où un peu de soleil s'était réfugié.

Il y avait là des céramiques de Laurent Dufour****, d'abord des plats et des coupes portant des graphismes sur fond blanc-gris-blanc avec variations, et surtout des plaques de poteries, plus colorées que j'ai bien aimé regarder et que j'ai tenté de photographier*****.







Toutes les pièces sont cuites dans un grand four à bois, donc en présence de la flamme qui "intervient" de manière un peu aléatoire dans le résultat final. Laurent Dufour m'a montré de tels effets sur cette pièce.

Nous avons un peu parloté, j'ai joué aussi sérieusement que possible mon rôle de cuistre parisien désargenté… Quand je suis reparti, le soleil continuait de tomber en morceaux, mais j'avais une petite provision de couleurs dans les yeux.








*   Paroles: Pierre Seghers. Musique: Léo Ferré

                              Bagnard, au bagne de Vauban
                              Dans l'îl' de Ré
                              J'mang' du pain noir et des murs blancs
                              Dans l'îl' de Ré
                              A la vill' m'attend ma mignonn'
                              Mais dans vingt ans
                              Pour ell' je n'serai plus personn'
                              Merde à Vauban
                               (…)

**       Le parti découvre l'idéal et le réel… ai-je lu quelque part. Cela me rappelle Laurent Fabius citant le docteur Lacan à propos du Réel. Feint-il (et les autres avec lui) d'ignorer que pour un socialiste, plus encore que pour un lacanien, le Réel est l'impossible et que justement, être réaliste, c'est exiger l'impossible?

***      Je choisis toujours des hôtels tenus par des petites dames… Est-ce grave, docteur?

****    à Charpenet Prissac (Je suppose que ça doit être dans les Charentes Maritimes).

*****  J'ai honte du résultat, mais je sais que la honte ne me survivra pas (Pardon, Kafka).

lundi 21 avril 2008

Journaux de voyage

Après vous avoir abandonné si longtemps, il me faut vous rendre compte de ce si long temps passé sans vous. Et je me dois de vous relater dans toute sa crudité cette plongée dans la France profonde qui m'a privé pendant six longs jours de l'accès aux Journaux.fr. Pour en supporter le sevrage, j'avais décidé de me rabattre sur la version papier disponible de l'indispensable Libération (d'Edouard de Rothschild).

Lundi 14 avril.
Nous montâmes dans la ouature à l'aube et prîmes dès que possible l'autoroute A quelque chose. Au premier arrêt sur une aire aménagée, après avoir visité l'espace* café, l'espace* détente, l'espace* ouifi, l'espace* table à langer (une erreur), l'espace* toilettes, l'espace* produits régionaux, j'achetai mon Libé à l'espace* journaux. Il fallait y penser, je n'y manquai point.

En première page: "Emeutes de la faim: les raisons de la colère". Avec, en page 2, cette belle déclaration responsable de monsieur Dominique Strauss-Kahn, patron du FMI: "Si les prix de l'alimentation continuent à augmenter, (…) des centaines de milliers de personnes vont mourir de faim. Ce qui entraînera des cassures dans l'environnement économique et parfois la guerre."

J'ai repris le volant avec une rage froide, genre "tais-toi et roule"; à mon approche, aucun camion n'a osé amorcer un dépassement d'un autre camion, on peut dire que je me suis fait de la place avec ma cédeux à décollage vertical.

Tout à ma hargne j'ai composé un billet incendiaire sur ces crétins criminels qui prétendent piloter l'économie mondiale, armés de leur prétendue science née il y a trois siècles en raisonnant sur les famines nationales et incapables de prévoir et surtout d'enrayer la famine mondiale qu'ils ont provoquée.

Mais je n'ai pas noté et j'ai oublié… Peut-être qu'en fixant intensément la photo de DSK, posant en dandy désabusé, cela me reviendrait. Je vous dirai**.

Mardi 15 avril.

Nous voici chez nos hôtes, dans ce recoin du Sud-Ouest où se juxtaposent le terroir de Buzet (ancien "petit vin" qui a maintenant des prétentions), le territoire de l'Armagnac et quelques prémisses de la forêt landaise. Non loin coule une rivière au nom enchanteur, malgré son tréma, la Baïse. A chaque fois, je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée amicale pour Bobby Lapointe:

                           "Et tout en étant Française,
                             L'était tout de même Antibaise :
                             Et bien qu'elle soit Française,
                             Et, malgré ses yeux de braise,
                             Ça ne me mettait pas à l'aise
                             De la savoir Antibaise,
                             Moi qui serais plutôt pour..."


La flore journalistique est assez réduite en cette région, on y trouve du Figaro à foison, ainsi que des espèces endémiques locales (genre Dépêche ou Sud-Ouest) et des espèces d'importation (les britanniques lisent beaucoup les journaux, me confia le professionnel de la profession). J'ai bien cru ne pas trouver ma fleur de Libé. Le pro alla m'en récupérer un, "par derrière". En fait, pour tout vous dire, je le soupçonne d'en cultiver quelques uns pour sa consommation personnelle, en placard, comme on le fait pour certaines herbes aromatiques***.

Le titre du jour était: "Au secours, Berlusconi revient!"

Je jetai un coup d'œil à l'intérieur du journal, inquiet de voir si Laurent Joffrin n'allait pas se mettre tout soudain à critiquer les résultats de l'exercice démocratique. Rassurez-vous, le comité de rédaction a su contenir son gauchisme rampant.

Mercredi 16 avril.

Le même dealer de Libé me fournit en première page: "Y a-t-il vraiment trop de profs?"

Banal.

Ce qui n'est pas banal, c'est de trouver, en page 29, dans la rubrique Culture, sous-rubrique Variétés: "Pas d'évolution pour Aimé Césaire". Je ne suis pas sûr qu'Aimé Césaire aurait apprécié de se trouver dans le même panier éditorial qu'une quelconque artiste de variétés sans voix…

Jeudi 17 avril.

Départ pour La Rochelle, "belle et rebelle" (qu'ils disent) où Libé est en vente libre. Mais où il pleut, il pleut. Sur la une délavée, je distingue à peine une Rachida Dati en train de faire la tronche, mâchoires serrées et bouche en accent circonflexe, aimable comme une porte de prison, et je devine le titre: "Prisons pour les mineurs. La reine du barreau".





Nous avons le temps de profiter des arcades qui bordent les rues et d'admirer enfin des pavés. La rue de l'Escale a conservé des pavages de gros galets noirs qui servaient de lest sur les navires retour du Québec. Ni grès, ni granit, me semble-t-il, mais je ne saurais l'affirmer: la nuit tombait, et je n'ai pu en desceller un.


Vendredi 18 avril.

En première page: "Patrons-sans-papiers. Même combat". J'en connais qui auraient hurlé à la collaboration de classes, il y a quelque temps.

Aimé Césaire est sorti de la rubrique Variétés pour prendre le bandeau de la une. "Aimé Césaire. Le Nègre majuscule". En pages intérieures, un bel hommage et surtout les mots de Césaire:

                              J'habite une blessure sacrée
                               j'habite des ancêtres imaginaires
                               j'habite un vouloir obscur j'habite un long silence
                               j'habite une soif irrémédiable
                               j'habite un voyage de mille ans
                               j'habite une guerre de trois cents ans
                               j'habite un culte désaffecté entre bulbe et caïeu
                               j'habite l'espace inexploité…
                               je m'accommode de mon mieux de cet avatar
                               d'une version du paradis absurdement ratée
                               - c'est bien pire qu'un enfer -
                               J'habite de temps en temps une de mes plaies…
                                je reste avec mes pains de mots et mes minerais secrets
****

                                                                                    Extrait du recueil Moi, laminaire, 1982

Samedi 19 avril.

Retour.

Le titre: "Ouf! Les Français rient encore."

On termine donc sur un scoop.






* Les aires d'autoroute donnent raison à Georges Perec qui soutenait que "vivre, c'est passer d'un espace à un autre, en essayant de ne pas trop se cogner" (cité de mémoire, donc de travers).

** Au retour, j'ai trouvé un écho de cette colère dans le billet de Françoise (dont le très fort dessin mériterait la Une des Unes).

*** Il paraît que ça marche, mais il faut trouver le bon éclairage, et surtout la bonne aération, rapport au terreau enrichi à la bouse de vaches sacrées qu'il faut utiliser pour avoir le label "Agriculture biologique".

**** Puisque Lagarde et Michard ont fait ici une apparition fort remarquée, on peut imaginer une note de nos deux compères:
Quelle figure de style le poète utilise-t-il ici? En quoi souligne-t-elle son propos? Comparez avec l'emploi de la même figure par Henri Guaino.

dimanche 20 avril 2008

Nous irons tous au Panthéon… tralala…

Je m'y connais pas mal en nanisme intellectuel, et je comprends bien la fascination que peuvent exercer sur nous, si petits, les "grands". Et puisqu'ils sont toujours plus grands morts que vivants, quand un cadavre nous dépasse d'une bonne tête, nous ne savons où donner de la nôtre pour nous hausser quelque peu dans l'exercice d'une admiration de convenance.

Il doit y avoir un rédacteur spécial, à l'Elysée, pour mettre au point les lamentables communiqués nécrologiques qui suivent les disparitions de ces "grands". Et ces jours, il (ou elle) a dû faire face, faute à pas de chance, à deux décès sur lesquels "communiquer".

Le décès d'Aimé Césaire, "poète français, homme politique et co-fondateur du mouvement littéraire la négritude" (dixit le plumitif élyséen) donne lieu à un premier hommage .

Nous n'y apprenons pas seulement que la "négritude" est un "mouvement littéraire" (sic, sic et resic). Nous y apprenons qu'Aimé Césaire était "un grand poète qui a acquis sa notoriété par la qualité de son écriture." Comme si ce n'était pas la moindre des choses quand on écrit de la poésie… Quant à ce que cette poésie disait, proclamait, criait, il n'en sera pas dit un seul mot qui en soit digne. Seulement une précision lagardémichardienne* sur la Négritude: "On retiendra de lui qu’il est l’initiateur, avec Léopold Senghor, du concept de la Négritude." Il vaut mieux sans doute en parler comme d'un concept, et non comme d'un "mouvement littéraire"…

Et pour en finir sur l'écrivain, rangeons-le définitivement au rayon littéraire poussiéreux de l'humanisme: "Ce fut un grand humaniste dans lequel se sont reconnus tous ceux qui ont lutté pour l’émancipation des peuples au XXème siècle."

Il faut imaginer le plumitif heureux.

Heureux d'en avoir fini sans avoir lu une seule ligne du poète Aimé Césaire. Car je suis persuadé que cette poésie serait un alcool trop fort pour son estomac de petit blanc, ainsi que pour l'estomac de son patron.

Est-ce pour cela qu'on a songé reléguer Césaire dans les caveaux du Panthéon? Pour qu'il y blanchisse, enfin, et y perde de sa force comme un vieux rhum qui s'évente?

Ou parce que les nains ont tendance à glorifier post mortem les géants qui les ont dominés?


Tentative d'enlèvement d'Aimé Césaire
par un blanc non identifié.


Je retrouve ce "désir de Panthéon" dans certains des commentaires qui suivent l'annonce du décès de Germaine Tillion dans les journaux en ligne. Bel hommage expéditif!

L'hommage de l'Elysée est lui-aussi expéditif, peut-être rédigé par le même plumitif surmené.
"Nicolas Sarkozy a tenu à saluer une femme d'exception dont le courage, l'engagement et l'humanisme ont été les guides de toute une vie. Il rend hommage à la résistante de la première heure, internée à Ravensbrück et qui n'a jamais perdu l'espoir ; à l'ethnologue passionnée par l'Afrique du Nord et le Moyen Orient; à l'auteur prolixe et à la femme engagée dans le combat politique pour l'émancipation des femmes et contre toutes les formes de torture."

Et c'est presque tout. Mais j'aime particulièrement "l'auteur prolixe". Je relève dans le Dictionnaire Culturel en Langue Française sous la direction d'Alain Rey, à "prolixe": Qui est trop long, qui a tendance à s'exprimer longuement, dans ses écrits ou ses discours. --> bavard, diffus, verbeux. Un écrivain prolixe."

Il est bien évident qu'un plumitif surchargé ne prend pas le temps d'ouvrir les livres d'un "auteur prolixe"…

Les lecteurs du Figaro.fr non plus, probablement, mais cela ne les empêche pas de réagir avec vigueur, demandant l'entrée au Panthéon de Germaine Tillion (la trouvant plus "honorable" qu'Aimé Césaire) ou s'y opposant.

Petite sélection, par copié-collé** (orthographe garantie d'origine):

"quasilinear : Le Panthéon
Si quelqu'un mérite le Panthéon, aux cotés de Jean Moulin, c'est bien Germaine Tillon, une grande dame, une conscience de la France. Elle, elle aurait mérité le Prix Nobel de la Paix. Chapeau bas, messieurs et mesdames les politiques !"


"aurelie : le Panthéon, en effet,
Elle, elle faisait vraiment partie des Justes qui honorent ce monde. Une droiture, une force de caractère comme la sienne, aurait même mérité le prix Nobel de la Paix. Mais elle était au-dessus de tout ça.

Une grande âme nous a quitté, et je suis vraiment très triste, cette fois."


"floripes : Assez
Assez d'éloges pour le poète martiniquais et honneurs et réconaissance à Madame Tillion. Voyons! La culpabilisation d'être français est arrivé à tel point que la presse et TV ignorent ce qu'elle a fait pour "notre" pays???"

"sanpaillo : Exemplaire certes , mais...
Resistante oui , déportée oui, méritante, certes. Mais je n'oublie pas qu'elle soutenait le FLN contre la France. Le panthéon ca non."

"citoyen-otage : c'est bizarre quand même
certains voudraient mettre au Panthéon l'un des "chantre de la négritude", qui était dans ses discours violemment anti-blanc (donc pur racisme) et une femme qui non seulement défendait le FLN mais toute la clique communistes, donc totalitariste.

On vit vraiment une époque formidable !!!"


Je trouve aussi.




* Pour mes lecteurs en bas-âge, il faut préciser que Lagarde et Michard sont les auteurs du "manuel" de littérature, avec morceaux choisis, en usage dans les lycées de ma fort lointaine jeunesse.

** Me pardonnerez-vous cette "facilité"? Dans le Cantal, oui, mais ailleurs?

jeudi 10 avril 2008

Départ pour la plage

Comme tous les blogueurs, je suis extrêmement attentif à l'évolution de "mes" statistiques de fréquentation. Aussi me suis-je inscrit pour bénéficier des services éclairants de gougueule analytixe. Je dois dire que je ne suis pas déçu, mais que je n'y comprends rien. La seule chose qui m'amuse est de consulter la répartition géographique des connections et d'imaginer l'ahurissement d'un internaute exotique tombant dans l'escalier.

Cependant, malgré les difficultés de lecture des résultats, j'ai pu constater qu'hier, le nombre de fidèles était tombé à deux, suite à la défection (momentanée, j'espère…) de ma groupie du Cantal.

Ce fait coïncidant avec les vacances scolaires dans ma région, j'ai décidé de suspendre mon activité débordante pendant une dizaine de jours, et de partir à la plage.




Illustration tirée de la page de la société Renov'Mat qui nous apprend que
"Le pavé est un matériau de caractère à la fois brut, esthétique et pratique.
En granit ou en grès, le pavé peut être rustique ou très raffiné, comme le prouve son utilisation
dans les parcs des châteaux ou dans les corps de fermes."
(Bof!)



Pendant mon absence, les commentaires seront modérés. Concrètement, vous pouvez envoyer tous les messages que vous voudrez ("Bon débarras!", "Guy, reviens!", "Ne nous quitte pas!", "Pars, ne te retourne pas!"…) en toute liberté et sans modération jusqu'à l'aube du 11 avril. Après, vous pourrez commenter aussi, mais votre commentaire attendra mon retour dans sa boîte et si vos injures ou flagorneries me déplaisent, je les mettrai à la poubelle . Je vous préviens, car je sais à quel point cela peut être frustrant, voire traumatisant côté narcissisme, de ne pas voir apparaître sur un blog un très beau commentaire…

Nos valises sont prêtes, l'itinéraire minuté, les musettes avec les repas prévues; mais une chose me chagrine encore: vais-je faire la première tonte de ma prétendue pelouse avant de partir?

J'aime beaucoup revêtir la tenue internationale et pittoresque du pousseur de tondeuse: un vieux ticheurte déchiré sous les bras, un chorte d'athlétisme des années soixante, de hautes bottes vertes avec la paille dedans et, bien sûr, à cause du soleil brûlant, mon bob "crédit agricole" (ils me l'ont offert quand ils m'ont accordé l'emprunt pour acheter ma propriété)… Impressionnant!

Le bruit du moteur ne me gêne pas; je suis sourdingue et les voisins préfèrent ça au saxophone...

L'opération est assez rapide; ma "pelouse" a, en gros, la surface d'un appartement pour sous-secrétaire d'état célibataire…

Mais ça m'ennuie de couper inutilement toutes les belles mauvaises herbes qu'il y a chez moi et d'envoyer au compost tous ces trésors pour botanistes.

J'avais bien envisagé de fonder, en espérant de grosses subventions, un Conservatoire National des Mauvaises Herbes de Normandie (le CNMHN), et j'avais rédigé de très beaux projets pour les soumettre à la secrétaire d'Etat à l’Ecologie, madame Nathalie Kosciusko-Morizet, qui me semblait plus facile à atteindre que monsieur Jean-Louis Borloo… Mais je viens d'apprendre que, la pauvre, elle n'est plus en odeur d'UMP-ité…

Adieu les subventions!

Seule consolation, on a eu droit, au sujet de madame Nathalie Kosciusko-Morizet, à une dernière raffarinade, pour la route:

«Elle voulait passer au vert, elle est passée au rouge, on lui enlève quelques points, mais il ne faut pas lui enlever le permis.»

Je verrai au retour si elle est toujours là.

mercredi 9 avril 2008

Rassemblements sur la voie publique

Hier matin, on pensait très fort, dans nos journaux, en hochant une tête méditative (en général, on ne voit effectivement qu'une seule tête dans les rédactions), que la "mobilisation lycéenne" allait "s'essouffler". Et on donnait largement la parole à l'inévitable monsieur Darcos.

«Je respecte les lycéens. J'ai eu 16 ou 18 ans aussi et je comprends qu'ils s'inquiètent de leur avenir, qu'ils soient vigilants, qu'ils soient militants. Je n'ai pas d'hostilité, j'ai même plutôt de la sympathie pour ces jeunes», a déclaré le ministre sur LCI.

«Mais je trouve que tout cela prend des proportions absolument hystériques tout de même: (...) que l'on ait des élèves qui arrivent dans un établissement pour tout casser, qu'ils molestent nos professeurs ou qu'ils volent les portables de leurs camarades ou qu'ils cassent la figure à des proviseurs, tout ça parce qu'à la rentrée prochaine il va y avoir une classe où ils étaient 32 - ils vont être 33 - ou parce qu'il y avait 100 professeurs - ils vont être 98 - je trouve que tout ceci prend des proportions qui ne sont pas raisonnables». «Ce pays n'est pas raisonnable», a-t-il ajouté.


Contrairement à son confrère monsieur Hortefeux, monsieur Darcos, par cette ultime déclaration me rendrait presque fier de mon pays.

De dos, quelques auxiliaires raisonnables de monsieur Darcos.



Boris Horvat AFP Manifestation d'enseignants le 7 avril 2008 à Marseille
pour la venue du ministre de l'Education nationale, Xavier Darcos



Mes trois lecteurs/trices réguliers/lières et fidèles savent bien qu'après la pause consacrée aux arts, ici chorégraphiques, je monte ou descend une marche de l'escalier.*

Hier encore, la presse offrait une abondance déraisonnable de titres relatifs à des dysfonctionnements dans le difficile exercice du maintien de l'ordre républicain. A croire qu'un vent de contestation décoiffait les rédactions.

La police française critiquée par une commission

Détenus privés de soins : un rapport alarmant

Les force de l’ordre épinglées pour l’accès aux soins en détention

"On continue d'abuser du menottage"

Les abus "sécuritaires" sous surveillance

Le rapport de la CNDS dénonce le comportement de la police

Si j'ai bien compris, la CNDS (Commission nationale de déontologie de la sécurité) est chargée, depuis sa création en 2000, de veiller au respect de la déontologie par les personnes chargées d'une mission de sécurité.

Ainsi, nous apprenons que la violence d'Etat s'exerce en respectant une déontologie.**

Il vous est possible d'explorer les liens que j'ai judicieusement sélectionnés ci-dessus pour vous, vous y découvrirez maints exemple de ce que Michel Foucault et ses amis qualifiaient d'intolérable.

Vous pouvez aussi télécharger le rapport de la CNDS en vous rendant à cet endroit (le lien indiqué dans les journaux.fr vous donnent 404-banco!)

Pour vous donner un exemple du travail minutieux de cette commission et des réponses qu'elle reçoit, voici un extrait:

DIFFICULTÉS RELATIVES AUX RASSEMBLEMENTS SUR LA VOIE PUBLIQUE

> VOIR SAISINES 2006-5, 2006-22, 2006-51 et 2006-96.

A titre de précision, la CNDS entend par «rassemblement sur la voie publique» notamment toute manifestation, évacuation de «squats» concert, fête publique ou inauguration.

La Commission a poursuivi le traitement des quatre réclamations relatives aux manifestations dites « anti-CPE » du printemps 2006 qui lui ont été transmises. Néanmoins, saisie très rapidement de faits ayant conduit à l’ouverture d’une information judiciaire après constitution de partie civile, la CNDS n’a pas été en mesure d’achever le traitement de l’une de ces quatre saisines, le magistrat chargé de l’instruction n’ayant pas satisfait la demande de communication des pièces de la procédure, en invoquant le secret de l’instruction.

L’une de ces saisines concernait un jeune homme blessé lors du dispersement d’une manifestation à Toulouse. Elle a mis en évidence le recours injustifié à un tir de grenade lacrymogène qui a percuté le front de ce dernier (SAISINE 2006-22). Au regard de témoignages et de pièces transmises par l’IGPN, la Commission avait pu constater que les personnes présentes n’occasionnaient pas de trouble et ne représentaient pas de danger pour les forces de l’ordre. Elle a estimé, dès lors, que le tir de cette grenade dans la rue où se trouvait le jeune adolescent n’était pas justifié, constituant de ce fait une méconnaissance de l’article 9 du Code de déontologie de la police nationale, qui dispose que «lorsqu’il est autorisé par la loi à utiliser la force et, en particulier, à se servir de ses armes, le fonctionnaire de police ne peut en faire qu’un usage strictement nécessaire et proportionné au but à atteindre».

La Commission a transmis son avis au ministre de l’Intérieur pour qu’il envisage l’opportunité d’engager des poursuites disciplinaires. Celui-ci a, en réponse, informé la CNDS que la «blessure subie par [ce jeune homme] ne paraissait pas imputable à une action délibérée et volontaire, constitutive d’une faute susceptible d’engager des poursuites disciplinaires envers les fonctionnaires intervenants».

S’il est en effet certain qu’il n’y a pas eu volonté de la part des policiers de blesser ce jeune manifestant, il reste que ce tir de grenade n’était ni nécessaire, ni proportionné au but à atteindre, et qu’il s’est agi d’une action délibérée et volontaire qui aurait mérité des poursuites disciplinaires.


Dans deux autres affaires relatives au même motif de manifestation, à Niort, la CNDS a conclu que les conditions d’évacuation des manifestants d’une rocade routière avaient répondu à la nécessité de ménager des «échappatoires» pour éviter tout syndrome de «souricière» (SAISINES 2006-51 et 2006-96).

Cependant, des actes de violence subis par deux adolescentes ont été médicalement confirmés (piétinement, coups à la tête et au cou ; coup ayant cassé deux dents et accompagné d’un arrêt de travail de quatre jours), sans que l’identification des auteurs des coups n’ait été possible, les différents protagonistes se renvoyant réciproquement la responsabilité des gestes de violence. Cependant, la Commission a insisté sur le fait que les forces de l’ordre ne sauraient se soustraire à l’aide qu’il convient d’apporter, même au cours des manifestations, aux éventuelles victimes.

La Commission recommande que la plus grande précaution soit prise lorsque les forces de l’ordre se trouvent dans la nécessité de procéder à l’évacuation de jeunes manifestants sur la voie publique et que la force et/ou les gaz lacrymogènes soient utilisés avec discernement.

En réponse aux avis 2006-51 et 2006-96, le ministre de l’Intérieur a contesté la compétence de la Commission nationale de déontologie de la sécurité en matière de «conduite d’une opération de maintien de l’ordre», arguant que celle-ci ne relevait pas du «respect de la déontologie des personnes» ; il n’a ainsi pas «souhaité commenter [la recommandation de la Commission] sur ce sujet».

Comme elle s’était déjà exprimée par courrier et dans le précédent rapport annuel, la CNDS réaffirme sa position selon laquelle le comportement déontologique des forces de l’ordre (fonctionnaires de police ou gendarmes) est lié de manière étroite aux conditions concrètes dans lesquelles ils sont amenés à exercer leur «activité de sécurité», au sens de la loi du 6 juin 2000. Aussi, les modalités d’intervention de «personnes exerçant des activités de sécurité» lors d’opération de maintien de l’ordre, à la suite de rassemblements sur la voie publique ou de tout autre événement, ne sauraient être écartées de la compétence de la Commission lorsqu’elles sont susceptibles de révéler un manquement à la déontologie.





* Quelle figure vous suggère cette expression: une métonymie? - une allégorie? - une métaphore? - une harmonie imitative? - je ne sais pas.

** Quelle figure vous suggère cette expression: une analogie? - une tautologie? - un oxymore? - une flatulence imitative? - je ne sais pas.





PS: La fédération parisienne de la Ligue des Droits de l'Homme organise les 12 et 13 avril, à l'espace d'animation des Blancs-Manteaux (qui devraient vous rappeler une chanson dont les paroles sont de: François Léotard - Guy Debord - Jean-Paul Sartre - je ne sais pas.), les troisièmes rencontres du livre et de la presse des droits de l'Homme. Tous les renseignements sont sur la page liée.

mardi 8 avril 2008

Les Garçons Ramponeau

La rue Ramponeau est une très ancienne voie qui prolonge, au delà du boulevard de Belleville, la rue de l'Oreillon. C'est rue de l'Oreillon qu'un certain Ramponeau, marchand de piquette à moins cher, avait établi son cabaret au XVIIIème siècle. Là, les plus aisés prirent l'habitude de venir s'encanailler et firent la réputation du quartier et de l'établissement.

Mais je suivrai un autre jour le fil de ces "fraternisations entre classes".

D'après Prosper-Olivier Lissagaray, témoin actif et historien de la Commune de Paris, la barricade de la rue Ramponeau aurait été la dernière à tomber aux mains des Versaillais, le dimanche 28 mai 1871. "Pendant un quart d'heure, un seul fédéré la défend. Trois fois il casse la hampe du drapeau versaillais arboré sur la barricade de la rue de Paris [actuellement rue de Belleville]. Pour prix de son courage, le dernier soldat de la Commune réussit à s'échapper."(P.-O. Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871) La légende dit que ce "dernier soldat" était Lissagaray lui-même.

Louise Michel, autre témoin et non des moindres, parle bien de la barricade de la rue Ramponeau, mais donne celle de la rue de la Fontaine-au-Roi pour dernière à être prise.

Peu importe, on n'est pas aux jeux olympiques…

Je pensais à ces événements, vendredi soir, en descendant la rue de Belleville [anciennement rue de Paris], et en mastiquant un sandwich hallal, poulet, œuf dur, salade, mayonnaise, pour rejoindre le centre social Elisabeth, sur le boulevard, où l'association Canal Marche présentait ses productions.

Canal Marches, qui est une association créée par des professionnels de l'audiovisuel, des chômeurs, des précaires et des militants de mouvements sociaux, se donne pour but de contribuer à l'expression des "Sans voix". Parmi ses projets figure celui des "Paroles et Mémoires populaires" qui a abouti, entre autres choses, à la réalisation d'entretiens filmés avec des "anciens".

Parmi les films présentés, j'ai vu celui de Patrice Spadoni "Les Garçons Ramponneau" qui tresse par le montage trois entretiens avec des "anciens" qui se sont connus à l'école Ramponeau.





L'école primaire de garçons de la rue Ramponeau, dans les années 1920-1930, avait la réputation la plus déplorable du quartier: on y évitait notamment d'y nommer des institutrices. Plus de la moitié des élèves étaient immigrés, plus ou moins légalement, et les petits "gaulois" étaient, disons, bien "intégrés"…

Au moment des entretiens, les "vieux" ont "dans les quatre-vingts", et des masses de souvenirs dans lesquels, manifestement, ils ont déjà fait un tri. Ils parlent avec sérénité, un brin d'humour et une grande sagesse. Ils ne semblent pas vouloir donner de leçon à une époque devenue décevante, ils racontent simplement, en sachant que cela pourrait servir. Ils sont filmés avec beaucoup d'attention et de discrétion, et le montage est efficace sans esbrouffe: pas de plans de coupe "à l'estomac", pas de musique envahissante, quelques insertions de documents d'époque…

Il y a donc Etienne Raczymow, Jacob Szmulewicz et Gaston Largeault. Les deux premiers sont fils de juifs polonais immigrés et le dernier est un petit "gaulois".

Leurs témoignages entrelacés commencent avec les années 1920: la vie de leurs parents, l'enfance, l'école, les bandes de gamins ("Pas méchants, mais… bien voyous", comme le dit Etienne), passent par les secousses de l'histoire: les manifestations et les combats de 1934, l'espoir et les grèves de 1936, la déclaration de guerre, les rafles, la résistance, la libération, et se terminent avec les doutes sur le rêve communiste…

Dans l'une des dernières séquences, Etienne, qui est malade et décédera quelques mois après le tournage (il ne pourra voir terminé le film, qui lui sera dédié), demande qu'on lui apporte sa Légion d'Honneur (obtenue pour actes de résistance, dans la troupe des "noirs de barbe, hirsutes, menaçants", les FTP-MOI).



Tenant d'une main qui tremble un peu sa croix au ruban rouge devant la caméra, donc devant nous, il nous prend à notre tour à témoin, avec beaucoup de silences, mais d'une voix qui ne tremble pas:



Ça c'est la Légion d'honneur au titre de la Résistance
alors justement je voudrais dire quelque chose sur la Légion d'honneur
la police française a arrêté tellement d'enfants juifs
des milliers d'enfants juifs qui sont pas revenus gazés
à Auschwitz
quinze jours avant la libération de Paris
la police
en partie de la police parisienne
sont rentrés en résistance
en partie
quinze jours avant que la deuxième DB rentre à Paris
on leur a donné la Légion d'honneur
De Gaulle leur a donné la Légion d'honneur
c'est vrai qu'il y avait des problèmes politiques
j'comprends qu'il puisse y avoir des problèmes politiques
mais ça m'ennuie beaucoup qu'entre ma Légion d'honneur à moi
et la leur
ça soye pareil
ils portent la fourragère rouge dans les cérémonies officielles
et ça m'ennuie beaucoup
parce que pour quinze jours de résistance
nous qui avons tellement perdu de garçons et de filles
qu'ils aient la Légion d'honneur
voilà le pourquoi qu'ça m'ennuie.





PS: Canal Marches propose un coffret de quatre DVD, contenant le film de Patrice Spadoni et les trois témoignages complets de nos trois compères. Vous pouvez aussi trouver des sections de ces témoignages sur le site spécifique de Paroles et Mémoires.

Par ailleurs Canal Marches participera au printemps de Belleville en vue(s).
 

lundi 7 avril 2008

Les profanateurs de vies

Sur ceux qui profanent les tombes des morts pour se sentir vivants, je ne dirai rien.

Je suppose que seuls des déjà-morts ont besoin de cela pour que les pics de haine réveillent leurs électroencéphalogrammes déjà plats.

Ce n'est pas que cela soit bien réjouissant, mais les presque-morts ou presque-vivants qui profanent des vies à coups de textes réglementaires, cela m'attriste plus encore.

Voici un simple exemple.

Il s'est trouvé un préfet, le préfet d'Indre-et-Loire, Monsieur Patrick Subrémon (il a bien droit à la notoriété) pour considérer que l'administration de l'état, dont il est un fidèle commis, ne pouvait pas, absolument pas, renouveler le titre de séjour en France de l'épouse Guérin (on doit dire comme ça, je suppose, dans l'administration), au motif de la rupture de la communauté de vie avec monsieur Guérin.

Madame Guérin est Béninoise. Elle connaissait Claude Guérin depuis des années. Elle raconte: "Il venait très souvent au Bénin, et puis un jour il m'a demandée en mariage. Amoureuse, j'ai abandonné les deux salons de coiffure que j'avais, pour faire ma vie avec lui ici". Elle est arrivée en France, légalement, le 16 octobre 2005 pour se marier. Elle a bénéficié d'un titre de séjour temporaire, dont elle a demandé le renouvellement en septembre 2007.

Claude Guérin était déjà très malade, atteint d'un cancer, et il devait décéder le 3 octobre 2007. Honnête, madame Guérin est allée prévenir la préfecture du décès de son mari.

Trois semaines plus tard, elle reçoit un refus de titre de séjour accompagné d'une mesure d'éloignement.

Pour que vous suiviez bien, je me contente de citer l'article du Monde.

«Depuis la loi de 2006, les conjoints de Français doivent attendre trois ans pour faire la demande d'une carte de résident. Avant cela, un titre de séjour temporaire leur est délivré de plein droit, mais "à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé".

Le préfet d'Indre-et-Loire a considéré que l'administration ne pouvait renouveler le titre de séjour de Mme Guérin, "même si cette rupture de communauté de vie résulte malheureusement du décès du conjoint français" comme il l'indique dans son courrier.»


Le 6 mars, le tribunal administratif a rejeté le recours déposé contre la décision du préfet. Madame Guérin a saisi la cour d'appel.

Mais le mardi 1er avril (elle est bien bonne, n'est-ce pas?), elle est interpellée à son domicile et conduite en centre de rétention à Tours. Le 3 avril, le juge des libertés et de la détention (JLD) prononce sa libération, tout en l'assignant à résidence, avec contrôle quotidien à la gendarmerie de sa commune.

Madame Guérin a été soutenue par une association locale et l'association Amoureux au Ban Public a lancé une pétition nationale qui a recueilli 8500 signatures en 72 heures.





Ce matin, un courriel de l'association m'informait: ELISABETH VA ETRE REGULARISEE!

Et j'ai trouvé dans LeMonde.fr:

«Le ministre de l'immigration et de l'identité nationale, Brice Hortefeux, qui a "pris connaissance des faits samedi après-midi à la lecture du journal Le Monde, a immédiatement demandé au préfet de régulariser la situation d'Isabelle Guérin", a indiqué le ministère. "Le ministre a estimé que le préfet avait commis une erreur manifeste d'appréciation, le décès de M. Claude Guérin, ressortissant français, ne saurait justifier le non-renouvellement d'une autorisation de séjour de son conjoint étranger en situation régulière", est-il ajouté dans le communiqué.»

N'ironisons pas sur les vertus de la lecture postprandiale du journal Le Monde le samedi (au cas où les ministres se mettraient en tête de suivre les éclairants conseils de Eric Le Boucher…) Ne remarquons même pas que le temps de cette lecture coïncide avec la présence non loin du ministère de l'ignominie nationale de 15 000 vivants réclamant la fin de la politique de xénophobie d'état.

Non, réjouissons nous, simplement. Les occasions ne sont pas si fréquentes.

Mais recommandons à monsieur Hortefeux de ne pas trop se faire d'illusions. Ce n'est pas parce qu'il a fait un petit geste qu'il lui sera beaucoup pardonné. Il en faudrait beaucoup de gestes de ce genre, de l'ordre de vingt-sept mille, pour qu'il lui soit un tout petit peu pardonné.

Quant au préfet qui a "commis une erreur manifeste d'appréciation", je n'en dirai rien de plus.

Mais on pourrait peut-être le muter à un poste de direction au service de la surveillance des cimetières nationaux. Violeur de vies, il devrait savoir parlementer et négocier avec les violeurs de sépultures.

vendredi 4 avril 2008

Exercice de communication

Le Canard Enchaîné en son n°4511 du mercredi 11 avril 2007, révélait, en page 4, que le Quai d'Orsay avait réglé à une société de communication une note de 122 000 euros pour financer la formation accélérée de monsieur Xavier Darcos, alors ministre délégué à la Coopération et au développement. Cette information est reprise par un article du site politique.net.

Monsieur Darcos a donc appris à gérer son image avec toute l'efficacité requise. Il ne devrait donc plus renvoyer l'image vieillote (que je lui attribuais) de l'inspecteur en visite détaillant avec componction, et en regardant sa montre, les passionnants articles de la dernière circulaire de l'Inspection Générale, devant un parterre d'enseignants somnolents, et qui regardent leurs montres. En général, on pouvait me trouver au pénultième rang échangeant quelques remarques laconiques mais pertinentes avec ma voisine (comme me l'a fait remarquer un collègue mathématicien, compte tenu de l'irrémédiable féminisation du métier, dans ces réunions, la probabilité est beaucoup plus forte, pour un monsieur, d'avoir une voisine pour voisin que d'avoir un voisin pour voisine).

Cela n'empêche que la bonne vieille technique, qui consiste à faire suivre une (non) réponse à une question gênante d'une attaque biaisée sur un autre sujet, semble toujours utilisée par notre spécialiste en communication.

Sur les suppressions de postes, elles ont été "largement discutées depuis août" et votées par le Parlement en novembre. Pas question de revenir là-dessus, on ne critique pas la démocratie parlementaire (surtout quand elle aboutit à n'importe quoi). Monsieur Darcos recommande aux lycéens de "ne pas poser tout ça en termes mathématiques". Effectivement, ce n'est pas de la mathématique, c'est de la cuisine (et pas gastronomique): les rectorats moulinent en "temps réel" toutes les données récoltées à l'aide de coefficients, de seuils d'ouverture, de seuils de fermeture, taux de ceci et taux de cela, et j'en passe, pour "ajuster" les suppressions de la manière la plus "scientifique" possible. (voir quelques aperçus ici*)

Sur l'ampleur du mouvement, il faut minimiser. Dire haut et fort que moins de 2% des lycées du territoire sont touchés, mais laisser Liberation.fr préciser que 20% des lycées d'Ile-de-France le sont.

Pour communiquer, il faut savoir poser "un geste fort". Rencontrer les lycéens? La semaine prochaine. Ce qui est beaucoup plus efficace, c'est de se déplacer. Par exemple au rectorat de Créteil, où ont eu lieu des incidents. On en profitera pour condamner fermement les agissements de 150 ou 200 personnes, que l'on distinguera (avec assez peu de conviction) des milliers de lycéens qui expriment leur inquiétude (il fallait que ça vienne, l'inquiétude des jeunes…)

Et pendant que nous y sommes, fronçons les sourcils en direction des enseignants. Après tout, c'est auprès des enseignants que monsieur le ministre a le plus d'autorité, non? Monsieur Darcos a donc profité de son déplacement à Créteil, bien en situation, devant les fenêtres brisées, je suppose, pour s'adresser "à certains professeurs extrémistes" et leur faire la leçon: Réfléchissez "au risque qu’il y a à jeter des élèves dans la rue", réfléchissez bien!

Des professeurs extrémistes, je n'en ai jamais rencontré beaucoup, pas assez pour "jeter" 6.700 lycéens dans la rue (à la manifestation parisienne selon la police, de 17.000 à 20.000 d'après les organisateurs).
 
Monsieur Darcos veut peut-être parler des syndicats enseignants (on ne sait jamais, le langage évolue, on redira sans doute bientôt "les rouges"). En ce cas, il devrait se renseigner auprès de ses services sur le taux de syndicalisation dans l'éducation nationale, sur l'influence des syndicats présents et sur leur "extrémisme"…

A moins que monsieur Darcos ne dise cela comme ça, parce laisser entendre à ses futurs interlocuteurs que l'on considère qu'ils sont manipulés, ça détend l'atmosphère…


* Merci à Françoise de m'avoir signalé ce lien.


PS1: Avec un à-propos étonnant, le ministère a publié il y quelques jours le palmarès des lycées qui a permis au Figaro.fr de placer à sa une: "Résultats au bac: les lycées privés devancent le public."
Ça n'a aucun rapport.

PS2: Puisque j'ai décidé d'aller promener mon marsupilami brodé à la machine (meunon, Flo Py, pas à la main…) sur le boulevard de l'Hôpital, derrière un drapeau noir (ou mieux noir et mauve, si je le trouve), il n'y aura aucun bruit dans l'escalier ce ouiquennede.

PS3: Ce soir, chez mes voisins: Centre social Élisabeth, 124-126 Bld de Belleville, métro Belleville.
"LES VOIX DE BELLEVILLE 2008" et "PAROLES DE SANS PAPIERS". En ouverture de l’initiative régionale "Paroles et mémoires des Quartiers Populaires 2008": Projections et installation vidéo de rue.
Programme détaillé en suivant le lien.

jeudi 3 avril 2008

Xénophobie d'état

A mon oreille la langue grecque chante comme l'une des plus belles du monde. Pourtant je ne la comprends pas, hormis quelques mots de la vie courante. Mais je ne suis jamais tout à fait perdu dans la foule grecque, car dans la mélodie de la langue moderne, j'entends aussi les mots de l'une des langues originaires de ma pensée.

Lors de notre premier séjour en Crête, nous* avons passé quelques jours dans le petit village de Kératocampos, mal desservi par les autocars, pauvre en vestiges archéologiques, peu fréquenté par les touristes étrangers, mais lieu de villégiature pour les crétois ou les grecs du continent. Nous y avions rencontré une dame crétoise, Kyria Panaghiota, qui aimait retrouver avec nous la langue française qu'elle avait étudiée dans sa jeunesse pas trop lointaine.

Un soir qu'elle voulait nous expliquer l'origine des traditions de l'hospitalité que pratiquent les crétois et dont ils sont assez fiers, ne trouvant plus les mots en français, elle ne put que prononcer "xénophilia" en espérant que nous comprendrions.

"Xénophilia", attirance vers l'étranger. Nous avons assez bénéficié de cette "xénophilia" dans cette île dont l'histoire semble faite d'une longue suite d'invasions, d'occupations, de révoltes, de résistances, de massacres et où malgré cela le voyageur étranger (qui se distingue du touriste cependant) est accueilli avec prévenance, à la seule condition de payer le tribut de son récit: Raconte! Qui es-tu? D'où viens-tu? Que cherches-tu ici? Pourquoi aimes-tu être ici?

Alors que cette xénophilie, qui se nourrit d'une curiosité pour l'étranger, est une pulsion qui peut déboucher sur les sentiments nobles d'amitié ou d'amour, la xénophobie est une répulsion qui s'alimente d'une peur irraisonnée et qui peut conduire à la haine. Il ne faut pas se faire d'illusions: ces deux pulsions coexistent en chacun d'entre nous et, de même que nous sommes capables d'amour et de haine, nous pouvons nous laisser aller à l'une comme à l'autre.

Je trouve bien choisi le titre de l'appel au rassemblement** du 5 avril:




Le président Sarkozy a voulu créer un ministère de l'identité nationale (et d'autres choses). J'en attendais beaucoup: qu'on me dise enfin ce qu'est l'identité française! Après une dizaine de mois d'exercice, ce ministère ne m'a toujours pas éclairé. Ce n'était pas son but, sans doute, et le ministre lui-même serait en peine de faire cette définition en toute clarté. On peut même supposer que l'idée qu'il s'en fait est assez éloignée d'une idée politiquement acceptable au vu de cette anecdote qu'il colporte comme un "grand beunaye"*** (ainsi que l'on disait dans mon village): sur une aire d'autoroute, il se sent reconnu par deux ou trois noirs, qu'il salue et à qui il demande d'où ils viennent; de Caen, répondent-ils… Et il trouve ça drôle!

Mais cette notion, même vague, d'identité nationale nous constitue en un tout plus que politique, plus qu'organique puisqu'elle nous dote d'un esprit, d'une personnalité, et peut-être même d'une âme… Elle n'est pas loin de nous obliger à penser la nation comme individu.

Et elle permet d'asseoir la politique d'immigration du ministère de l'identité nationale en faisant ignoblement appel à la pulsion xénophobe de l'individu-nation.

Face à cela, je ne peux que récuser l'identité nationale à laquelle on veut me faire adhérer, et pourtant je dois satisfaire à tous les critères que l'on avance: né français de parents français nés sur le sol français, parlant couramment le français, connaisseur des habitudes culturelles française… tout ce que vous voudrez de français, je vous le fais! Mais pas l'identité nationale de messieurs Sarkozy et Hortefeux!



* Ce "nous" n'est pas un "nous" de majesté. Il est là parce que c'est comme ça…

** Rassemblement auquel je me joindrai vers 14h 45, après m'être prélassé à la terrasse du café qui se trouve à l'angle de la place avec le boulevard de l'Hôpital. J'y aurai relu avec attention A quoi sert "l'identité nationale", de Gérard Noiriel (éditions Agone), emmitouflé dans mon écharpe noire portant un "marsupilami" brodé.

*** "Grand benêt".


Addendum:

Trouvé sur le blog L'air de Paris, de Sylvain Besson, correspondant du «Temps» en France, cette courte note:



"Sans son ministère de l'Identité nationale, Nicolas Sarkozy n'aurait peut-être pas été élu président. Mais aujourd'hui, Brice Hortefeux préfère éviter le sujet. Je lui ai posé la question ce matin à l'Assemblée nationale: «La promotion de l'Identité nationale, ça avance?» Réponse du ministre: «Vous définissez ça comment, vous?»

Brice Hortefeux précise qu'en 10 mois d'activité, son ministère n'a pas pondu un seul document expliquant ce qu'est l'Identité nationale de la France. «On pourrait mener une réflexion à ce sujet», hasarde-t-il. Et il ajoute comme pour se défendre: «Partout où je vais en Europe, les gens me parlent de leur identité.» Alors pourquoi est-il si réticent à en parler? Peut-être parce que l'identité nationale, ça n'existe pas? Allons donc..."