vendredi 31 octobre 2008

Un temps de Toussaint



Dans ma Normandie natale, et postnatale, l'expression "un temps de Toussaint" désigne cet état météorologique où les charrois de nuages gris n'en finissent pas de frôler les coqs des clochers, ce qui à la longue pousse une grande partie de la population à chercher une corde pour se pendre.

Car les ruraux de ma Normandie natale n'ont guère plus d'imagination que des détenus de prisons françaises.

Quand on ne trouve pas de corde, on se réfugie au coin de la cheminée, avec un bon livre.

C'est ce que j'ai fait, après avoir relu cet article réjouissant sur LeMonde.fr.

Rétention : le juge administratif oblige le gouvernement à revoir ses critères de sélection des associations.
Le tribunal administratif de Paris a annulé, jeudi 30 octobre, l'appel d'offres lancé par le ministère de l'immigration sur l'aide aux étrangers en centre de rétention. Il a jugé qu'il y avait une mauvaise évaluation du marché et notamment de l'expertise juridique que sont appelées à exercer les associations auprès des étrangers retenus.

Bien sûr, monsieur Hortefeux devra tenir compte, mais:

Dans un communiqué publié aussitôt l'ordonnance du tribunal prononcée, le ministère a pris "acte de la décision" et annoncé qu'il allait engager "immédiatement un nouvel appel d'offres". Il estime que l'annulation prononcée par le juge est fondée sur "un motif de pure forme, tenant aux modalités d'appréciation de la valeur technique des offres, ne mettant nullement en cause, sur le fond, la réforme engagée".

Certes, certes... reste à interpréter correctement ce désaveu.

Pour la Cimade, cette décision du tribunal, "met en évidence l'incompatibilité du texte imposé par le ministère avec la mise en œuvre effective d'une action de défense des droits et de la dignité des étrangers placés en rétention".

En tout cas, ça fait du bien.

Comme de penser à ceci, par un temps de Toussaint:

Zao Wou Ki, Sans titre 1967

jeudi 30 octobre 2008

La tentation du mépris

"Ce cœur qui haïssait la guerre voilà qu'il bat pour le combat et la bataille!"
Robert Desnos, 1943.




Cette phrase du timide rêveur Robert Desnos, qui ouvre l'un des plus beaux poèmes de résistance que je connaisse, m'est revenue il y a quelques jours. Et je ne chercherai pas le chemin qu'il lui a fallu faire pour arriver là. C'est ainsi.

Ce que je sais, c'est qu'alors mon cœur, et tout mon être, étaient envahis d'un fiel que je hais par-dessus tout, mais qui m'étouffait au point d'en oublier le combat.

Ce fiel est le mépris.

L'incommensurable mépris qui m'a envahit à la lecture de cette information, que je copicolle du billet de Flo Py:

« Mme M., femme de ménage, habitait le 12e arrondissement depuis son arrivée en France en 2002. Elle a emménagé avec son fils en mai 2008 dans le 5e arrondissement de Paris. En juillet 2008, elle se rend à la Mairie du 5e pour inscrire son fils à l’école de son quartier. Curieusement, on lui demande alors si elle possède un titre de séjour, document qui n’a pas à être demandé lors d’une inscription scolaire. Elle répond par la négative.

Fin août, elle reçoit une convocation au commissariat du 5e à laquelle elle ne défère pas. Fin octobre, il est déposé dans sa boite aux lettres une nouvelle convocation au commissariat « suite à l’inscription de votre enfant à l’école et votre situation alors irrégulière en France ».
Ce sont donc bien les services de la Mairie du 5e qui ont dénoncé la situation de Mme M. aux services de police.

La politique des quotas, des expulsions programmées, conduit maintenant aux dénonciations qui nous ramènent à de bien tristes souvenirs. »

Mépris absolu pour cette personne qui a cru que c'était là son DEVOIR.

Ici, on fait son devoir: on dénonce

Le mépris est un sale sentiment qui paralyse. Et il n'est aucun besoin de cela pour combattre cet adversaire rampant qu'on ne pourrait nommer sans faire injure (ou outrage, je ne sais) à la petite et grande administration de notre pays.

Ce matin, sans injure, sans outrage, et sans mépris non plus, une centaine de personnes ont fait ce qu'ils pensaient devoir faire; ils ont accompagné madame M. au commissariat où elle était convoquée.

Madame M. est ressortie libre au terme d'une "simple audition" qui a semblé bien longue à ses soutiens. Le soulagement se lit dans les messages qu'ils ont envoyé ici ou là...

Est-ce le poids des citoyens présents, ou le poids d'une presse qui se réveille un peu ?...


La "Une" d'un quotidien parfois méprisable...

Qu'importe.

Peut-être le début d'un rêve: pouvoir un jour conclure conclure comme Robert Desnos, sans rien y changer, car de la liberté découle l'égalité, et de l'égalité découle la fraternité.

"Car ces cœurs qui haïssaient la guerre battaient pour la liberté au rythme même des saisons et des marées, du jour et de la nuit."
Robert Desnos, 1943.

mercredi 29 octobre 2008

Un bien beau métier

Mon amour immodéré pour l'humanité me pousse à m'enquérir le plus souvent possible de ceux qui exercent le bien beau métier de sauver des vies.

Aussi, vais-je souvent consulter avec ravissement le site de la société Taser France qui, pour mon plus grand bonheur, s'ouvre sur la rubrique "Dernières nouvelles" qui regroupe des "coupures de presse", façon site ouaibe, où sont mises en évidence les grandes qualités biosalvatrices du fameux Taser X26, l'arme du troisième millénaire.

Récemment, il m'est venu un doute, et ce doute ne cesse, évidemment, de me tarauder aux alentours de la circonvolution pré-centrale ou post-centrale de mon cerveau avachi.

En bref, je me demande si la modestie n'étoufferait pas quelque peu les ouaibemasteurs de chez Taser France, ou leur commanditaire. Car je ne trouve que trois vies sauvées pour le mois d'octobre: la vie d'un menuisier de Saint-Agil, celle d'un forcené ébroïcien et enfin celle d'un bagarreur à Saint-Claude dans le Jura. C'est assez peu, si l'on y songe...

Pourquoi ne pas signaler le cas de ce jeune homme qui a été immobilisé par une décharge de Taser, le 21 octobre, à Marseille ?

Je trouve parfaitement digne de figurer dans cette revue de presse, cet article du journal La Provence qui s'ouvre par cette interrogation: "Le Taser a-t-il sauvé une vie mardi, à Marseille, en venant se substituer à une arme de service ? " et qui continue par: "C'est ce que soutiennent d'une même voix les syndicats policiers Alliance (plutôt de droite) et Unsa (plutôt de gauche), pour commenter l'usage d'un pistolet à impulsion électrique sur un adolescent de 15 ans. "

A moins que cette affaire, à la réflexion, et à la lumière de ses développements ultérieurs, ne puisse sembler un peu confuse.

Un article de Rémi Leroux sur Rue89, daté du 27 octobre, révèle d'abord:

Dans un premier temps présenté comme mineur dans la presse, le garçon victime de la décharge de 50000 volts serait en fait majeur, tout comme d'ailleurs le deuxième jeune homme arrêté. "Ils ont fait l'objet d'examens radiologiques et osseux confirmant leur majorité", précise le procureur de la République de Marseille, Jacques Dallest. Tous les deux sont sans-papiers.

Je n'ironiserai pas, ce n'est pas mon genre, en disant que c'est fou ce que les sans-papiers ont du mal à faire leur âge...

Jeudi dernier, les deux jeunes hommes interpellés ont été jugés en comparution immédiate et s'ils ont été condamnés à deux mois de prison avec sursis et interdiction du territoire national de un an pour infraction à la législation sur le séjour des étrangers, ils ont en revanche été relaxés du chef de "violence en réunion sur personne dépositaire de l'autorité publique".

La Justice a estimé que rien ne permettait de dire, en l'espèce et jusqu'à preuve du contraire, que les deux jeunes sans-papiers avaient représenté une menace pour les CRS en service.

Je comprends mieux maintenant pourquoi ce cas ne figure pas parmi les "vies sauvées". Si les jeunes gens ne présentaient aucune menace grave pour les CRS, ceux-ci n'avaient pas à user de leur arme, et par conséquent la vie des deux jeunes gens n'a pas pu être sauvée par le Taser puisqu'elle n'était pas en danger...

Ou alors, c'eut été une bavure...

Mais je ne vais pas me mettre à utiliser des gros mots.

D'ailleurs, le Parquet a fait appel.

Et toc!

Armes d'estoc, non disponibles chez Taser France

Ce qui manque cruellement sur le site très intéressant de la société Taser France, ce sont des nouvelles, mises à jour assez régulièrement, des divers procès intentés par la société à des associations, des personnalités...

Pour avoir quelques renseignements là-dessus, on peut aller sur le site du Réseau d'Alerte et d'Intervention pour les Droits de l'Homme (RAIDH), qui est bien fait aussi. On y trouve un communiqué dont voici le "chapeau":

L’entreprise SMP Technologies Taser France a été déboutée de l’ensemble de ses demandes et condamnée aux dépens contre le Réseau d’Alerte et d’Intervention pour les Droits de l’Homme le 27 octobre 2008. RAIDH entend intensifier sa campagne « Non au Taser » auprès des maires et parlementaires et lancer une initiative afin de dénoncer l’instrumentalisation de la justice par des entreprises privées visant à tuer tout débat public menaçant leurs intérêts.

Le communiqué est accompagné d'un petit clip qui est presque aussi bien fait que l'animation de chez Taser... et que je trouve moins menaçant.


Vous me direz: c'est un site partisan, ça!

Oui, mais c'est le parti que j'ai pris.


PS: Pour ceux qui en rêvent, on trouve tout sur le ouaibe.

Ne cliquez pas dessus, vous allez prendre tout dans l'œil

mardi 28 octobre 2008

Brad Will encore présent aujourd'hui


Cette photographie de Brad Will, anarchiste étasunien, journaliste d'Indymedia New York, réalisateur de documentaires, a été prise deux jours avant son assassinat le 27 octobre 2006, à Santa Lucia del Camino, dans la banlieue de la ville d'Oaxaca, au Mexique. La fusillade fit trois morts, Brad Will, Esteban Zurita López et Emilio Alonso Fabián.

Brad a filmé jusqu'au bout. Voici sa dernière vidéo (avec des sous-titres en anglais):







Ces images, et les témoignages de ceux qui l'entouraient, semblent désigner clairement les auteurs des coups de feu, aussi clairement que sur ce montage photographique trouvé sur le blog du gamin blanc en colère: Angry White Kid.

La police mexicaine prétend avoir exploré en vain cette piste et assure désormais, près de deux ans après les faits, que les assassins de Brad Will sont des membres de l'APPO (Assemblée Populaire des Peuples de l'Oaxaca), dont il était solidaire.

Cela peut paraître scandaleusement ridicule, et ça l'est pour quiconque a suivi de près ou de loin ce qui s'est passé à Oaxaca et continue de s'y passer; mais le ridicule du pouvoir mexicain est un ridicule trop sanglant pour qu'on puisse en rire.

Selon le gamin blanc en colère, qui vit à Oaxaca, et qui met régulièrement à jour les informations sur son blog, la police avance cette hypothèse au moment où s'annonce une vaste campagne d'arrestations dans les milieux activistes: entre 250 et 300 mandats d'arrestations auraient été émis. La première arrestation connue, a été, le 16 octobre, celle de Juan Manuel Martínez Moreno, accusé du meurtre de Brad Will et incarcéré au Pénitencier Central de Santa Maria Ixcotel.

Juan Manuel Martínez est probablement toujours en prison et son sort inquiète Amnesty International qui a publié, le 20 octobre, un appel, indiquant qu'il fallait craindre qu'il ne soit soumis à de mauvais traitements et des tortures afin de lui faire avouer sa participation au meurtre de Brad Will.

Le blog de Kristin Bricker, de son côté, signale un appel à des actions, le lundi 27 octobre, pour obtenir la libération de Juan Manuel Martínez, l'annulation des mandats d'arrêts contre les compañeros du mouvement et l'arrestation des véritables assassins.

Manifestation au consulat du Mexique 30 octobre 2006
Photo Piratejenny

Que ce soit au Mexique ou aux Etats-Unis, ceux pour qui Brad Will est encore présent ne réclament pas seulement justice...

A New-York, devant les bureaux de la sénatrice Hillary Clinton, le collectif Friends of Brad Will a organisé une veille de quatre jours, accompagnée d'une grève de la faim et de la soif, pour dénoncer, entre autres choses, le soutien de la sénatrice à l'Initiative de Mérida (qu'ils nomment aussi Plan Mexico).

Vous pourrez trouver sur leur site les détails de l'action prévue (en anglais).

De ce côté de l'Atlantique, nous ne pouvons pas nous plaindre d'avoir eu les oreilles lessivées sur cette Initiative de Mérida, projet de coopération en matière de sécurité concernant les États-Unis, le Mexique et l’Amérique centrale. Le congrès étasunien en a discuté au mois de juin dernier.

L'objectif avoué de cette coopération renforcée est de combattre plus efficacement le trafic de stupéfiants et le crime organisé au Mexique et en Amérique Centrale. Si j'ai bien compris, cela prévoit une aide de 1,6 milliard de dollars en trois ans au Mexique, à l'Amérique centrale et aux Caraïbes.

Au moment des discussions au Congrès étasunien, Amnesty International a publié un communiqué où je découvre ceci:

Amnesty International a exhorté ce mercredi 4 juin le Congrès des États-Unis à préserver les garanties relatives aux droits humains dans le projet de coopération en matière de sécurité qui, sous le nom d’Initiative de Mérida, concerne les États-Unis, le Mexique et l’Amérique centrale.

L’organisation fait cette demande au moment où le Congrès des États-Unis est soumis à des pressions croissantes pour que les garanties en matière de droits humains ne figurent pas dans le projet. Le gouvernement mexicain a déclaré qu’il ne poursuivrait pas les négociations sur cet accord si les dispositions relatives aux droits humains n’étaient pas retirées.

Les choses ont dû avancer, car on peut trouver dans le compte rendu de la rencontre, le 23 octobre, à Puerto Vallarta station balnéaire mexicaine, entre Condoleezza Rice et son homologue mexicaine Patricia Espinosa:

«L'Initiative de Merida est une démonstration de la maturité de notre coopération bilatérale fondée sur la responsabilité partagée (...) La première réunion du groupe bilatéral de haut niveau de l'Initiative se tiendra fin novembre à Washington», a souligné pour sa part la ministre mexicaine.

(...)

Cette aide au Mexique approuvée en juin par le Congrès américain, doit se traduire surtout par la fourniture d'avions, hélicoptères et autres moyens de surveillance, dont la livraison connaît quelque retard.

A cet égard, Mme Rice a assuré que leur expédition était imminente ajoutant que cette Initiative conduisait l'«effort commun à un niveau supérieur. Pour les Etats-Unis il s'agit d'une initiative très importante, un objectif urgent (...) car il va améliorer la sécurité du Mexique et des Etats-Unis».

(...)

Les deux gouvernements préparent les documents à signer pour déclencher la livraison de l'aide technique prévue par «l'Initiative de Merida». Elle devrait intervenir dans un délai «inférieur à plusieurs semaines», avait indiqué pour sa part Tom Shannon, vice-secrétaire d'Etat pour les questions de l'hémisphère occidental, qui accompagne Mme Rice.

Si la police dispose d'avions et d'hélicoptères, il faudrait que les meurtriers de Brad Will courent très vite pour arriver à s'échapper...

A moins qu'ils ne soient dans l'avion ou l'hélicoptère.


PS: Un autre éclairage sur ladite Initiative: un article du blog Changement de Société.

lundi 27 octobre 2008

Vingt six centimètres. Respect !



Une dame qui fut épouse, ou compagne, ou partenaire, d'un réalisateur plus connu pour ses conquêtes d'actrices vedettes que pour ses films, répondit un jour, à un journaliste indiscret qui s'enquerrait du secret de la séduction de cet homme, ces quelques mots:

"Vingt-six centimètres..."

Précisons pour nos lecteurs en bas âge qui auraient franchi par miracle les barrières du contrôle parental, que la dame indiquait laconiquement que le secret du monsieur était de posséder un membre viril dont la longueur, lorsque le monsieur était en de bonnes dispositions, atteignait 26 cm.

Soit une taille respectable...

Utile pour la mesure de la respectabilité de ces messieurs:
Mètre étalon, 13 place Vendôme, Paris.

S'il m'est parfois arrivé d'envoyer à des supérieurs hiérarchiques mes salutations respectueuses, c'était toujours avec un demi sourire ironique. Car le mot "respect" me semble assez marginal dans mon lexique courant, et en est quasiment absent sous les espèces communes de l'interjection "Respect!", qui me fait immanquablement penser à "Couché!"

Les ambiguïtés du mot, et de l'attitude qu'il dénote, me paraissent trop envahissantes. Outre l'emploi de "respectable" dans mon "petit" exemple, considérez le sens second du mot "respectabilité", où j'entends trop bien toute la bienséance hypocrite à laquelle est attachée une bonne partie de notre société.

J'avais pu constater que monsieur Sarkozy, lors de sa campagne victorieuse, avait un faible pour ce mot qu'il répétait et martelait face à son adversaire... A l'entendre, monsieur Sarkozy respectait alors tout le monde et toute chose.

Ce faisant, il sous-entendait qu'il réclamait une certaine réciprocité du respect.

Si j'en crois le titre-résumé d'un article paru sur 20minutes.fr, que j'avais favorisé la semaine dernière et n'ai lu qu'il y a une heure, désormais "Nicolas Sarkozy veut du respect".

Il est assez difficile de parler de réciprocité comme le montrent les multiples actions en justice qui actuellement tournent autour des notions d'outrage et d'injure. Exemplaire et symptomatique est le cas de monsieur Hervé Éon, qui risque 1000 euros d'amende pour avoir tenu sur le passage de monsieur Sarkozy un carton portant ces simples mots "casse toi pov'con". Ce n'était pourtant qu'une tentative de mise en œuvre de la réciprocité, si ma mémoire est bonne.

Par ailleurs, on peut noter une certaine insistance sur le respect qui serait dû aux symboles républicains (drapeau, hymne national) et, dans le cadre d'une laïcité ouverte, aux symboles religieux...

REUTERS/Francois Mori/Poo
Nicolas Sarkozy et Carla Bruni-Sarkozy,
durant la cérémonie à la mémoire de Sœur Emmanuelle,
le 22 octobre 2008 à la cathédrale Notre-Dame, à Paris.

A vrai dire, j'avais mis cet article dans mes favoris temporaires à cause de cette photographie, dont j'ai soigneusement conservé la légende.

On y voit un couple durant une cérémonie religieuse. Le visage de monsieur est plissé d'un rictus qui n'est pas sans rappeler la mimique d'un content de lui qui vient d'en sortir une "bien bonne" et qui rit de sa propre blague en ajustant son veston. Bien sûr, mon coup d'œil d'ancien prof peut se leurrer; il peut s'agir d'une agitation faciale incontrôlée, due par exemple à une remontée gastrique inopinée, mais, connaissant le régime alimentaire de monsieur, j'ai des doutes... Madame sourit assez largement, mais baisse les yeux vers le recueil de cantiques (ou de je ne sais quoi) qu'elle a en main. L'expression de son visage, en général très contrôlée, semble s'éclairer d'un "ah! toi alors, t'en rates pas une..."

Sauf votre respect, m'sieur-dame, bien entendu...

samedi 25 octobre 2008

Récits voyageurs



Durant les deux années que je passai au Zaïre (actuellement République Démocratique du Congo), je me livrai à un très grand nombre d'exploits aventureux dont je réserve le récit à mes mémoires posthumes.

L'un des plus éclatants reste d'avoir pu supporter la durée d'un dîner au restaurant dos à dos avec monsieur Gérard de Villiers qui pérorait à la table voisine, et ceci sans l'étrangler sauvagement.

Bel exemple de maîtrise de soi, ou de self-control, comme on dit en franglosaxon.

Les remous de la rébellion dans la région du Shaba s'étaient apaisés après l'intervention de la Légion à Kolwézi. Et cette heureuse idée de monsieur Valéry Giscard d'Estaing avait sauvé le régime du président Mobutu...

La rumeur nous avait appris que le grand écrivain avait été vu aux abords de l'ambassade de France, du Centre culturel français et du bar de l'hôtel Intercontinental. Sa présence en chair et en verbe nous la confirmait.

Mais moi, je l'avais dans le dos.

J'étais jeune alors, pas encore trente ans, et ma surdité inexistante, et je pus profiter, sans vergogne, des propos du créateur de l'immortel prince Malko Linge... et les transmettre à mes commensaux et commenselles.

Pas trop classieux, le monsieur insista pour qu'on lui servît des frites pour accompagner le filet de perche du Nil à l'oseille... Ayant ainsi imposé son mauvais goût, il monopolisa ensuite la parole en dressant pour ses interlocuteurs consentants un tableau définitif de la situation du pays, agrémenté, il est vrai, d'une demi-douzaine d'anecdotes ramassées sur le trottoir de l'ambassade (de France) ou pas trop loin.

Ces anecdotes, je les retrouvai toutes dans le SAS tiré de ce séjour de grand voyageur. Je crois que c'était Panique au Zaïre... Je ne vais pas le relire pour vérifier, ça non!
Canon à fantasmes bidochons

Lorsque Lieve Joris est venue à Kinshasa, six ou sept ans plus tard, ce n'était pas pour faire provision de couleur locale afin d'agrémenter de quelques effets de réel un récit d'espionnage alternant avec une certaine monotonie les scènes de violence et de torture où les natifs révèlent un naturel bien sadique et les scènes de sexe où les femmes sont des tigresses en chaleur feulant de plaisir en labourant de leurs ongles le dos de l'irrésistible altesse sérénissime...

Non, cette jeune journaliste belge de trente deux ans, travaillant aux Pays-Bas, était venue pour y chercher les traces d'un oncle parti comme missionnaire au Congo dans les années 1920. Elle avait fait comme lui le voyage en bateau en compagnie de vieux coloniaux nostalgiques - ce qui en soi est déjà une preuve de grand courage - et allait passer plusieurs mois au Zaïre, prenant le temps de découvrir les lieux et de créer des liens avec les gens qu'elle rencontrait.

De son séjour, elle rapportera assez de matière pour construire ce beau livre intitulé Mon oncle du Congo, qui est paru en néerlandais en 1987, et qui a été traduit en français par Marie Hooghe, en 1990 aux éditions Actes Sud (maintenant en poche Babel).

Son récit est celui d'une voyageuse peu commune, qui s'immerge dans la réalité du pays qu'elle parcourt sans jamais se départir d'elle-même, mais sans jamais non plus réduire son propos à ses seules impressions: elle est là pour retrouver, voir, écouter, comprendre, et retranscrire. Et cela, elle le fait avec beaucoup de talent, et avec également une indépendance d'esprit qui pourra choquer les lecteurs qui l'aborderaient avec des idées un peu tranchées. Mais ce qu'elle a pris le temps de découvrir et de mettre en livre, il faut aussi que nous prenions le temps de le lire et de le comprendre. Avec Lieve Joris, nous sommes bien loin du prêt à penser...


Lieve Joris (assise au premier plan)
tenant salon
et y signant son dernier livre.

Après ce premier voyage au Congo-Kinshasa, qui s'est terminé de façon confuse au regard des autorités du pays, Lieve Joris ne pensait pas pouvoir y retourner...

Elle y reviendra pourtant au moment de la chute du régime de Mobutu, et y passera seize mois. Elle tirera de ce voyage Danse du léopard, paru en 2001 et traduit par Danielle Losman, en 2002, pour les éditions Actes Sud.

Un dernier livre sur la RDC, L’Heure des rebelles, a été publié en 2006 et traduit par Marie Hooghe en 2007 ( on peut en lire le début sur le site d'Actes Sud).

A l'occasion de la sortie en France de ce livre, Mona Chollet a eu un entretien avec Lieve Joris et en a tiré un article que l'on trouve sur le site Phériphéries, dans la rubrique "Gens de bien".

Lieve Joris y a bien sa place.

Toutes les larmes du monde

« Je sais que vous croyez comprendre ce que vous pensez que j'ai dit, mais je ne suis pas sûr que vous réalisiez que ce que vous avez entendu n'est pas ce que je pense. »
Alan Greenspan, cité dans Le nouvel Observateur, n° 1892 du 8 au 14 février 2001, p. 70





Certain(e)s de mes ami(e)s m'ont confié ne plus lire ce blogue depuis longtemps, parce qu'il était trop déprimant pour eux (ou elles). "Ton blogue, là, t'vois, c'est toute la misère du monde".

Vous m'en voyez moi-même fort déprimé... ou du moins, fort affecté.

Mais pas au point de manquer de tenue. A ceux ou celles qui m'ont demandé à quoi cela pouvait bien servir tout ça, je n'ai pas demandé en retour: "Et toi, tu sers à quoi?"


Encore un truc qui ne sert à rien:
Lithographie d'Antoni Tápies

Je continuerai donc à accueillir ici tous les désarrois du monde dont j'aurai connaissance. Ou presque.

Ainsi, mon petit cœur compatissant est actuellement tout plein de la peine affichée tout récemment par monsieur Alan Greenspan.

Monsieur Alan Greenspan est l'ancien président du conseil de la Federal Reserve Bank of the United States, la Banque centrale des États-Unis. Son mandat a pris fin le 31 Janvier 2007, après un règne de dix-neuf ans. Vous voyez que ce n'est pas n'importe qui. Pour le mieux connaître, vous pouvez consulter en ligne la retranscription de l'entrevue qu'il a accordée à Pierre-Yves Dugua, du Figaro, sous le titre: Alan Greenspan: ''Il faut pouvoir licencier sans coûts élevés''. Vous pourrez y découvrir les bons conseils qu'il croit utile de prodiguer avec prodigalité à la France...

Et de fines remarques destinées aux vieux saxophonistes:

Question: Avez-vous gardé des contacts avec le monde du jazz dans lequel vous avez vécu dans votre jeunesse? Jouez-vous encore?

Réponse: Non, je n’ai pas le temps de faire de la musique. Je joue encore un peu de piano, à l’oreille. Les muscles des lèvres faiblissent dès qu’un saxophoniste ou un clarinettiste cesse de jouer.

Vous verrez, Alan est un "jolly good fellow".

Alan Greenspan et Gordon Brown
amusant leurs petits camarades lors d'un goûter
à la N.Y. University

C'est évidemment dans le domaine financier que les talents de monsieur Greenspan se sont épanouis. Ardent partisan de la dérégulation des marchés financiers, il a professé toute sa vie une confiance inébranlable dans le Marché.

En juillet 2007, débuts de la crise aux Zétats, beaucoup de regards se sont tournés vers lui, des critiques se sont fait entendre...

Selon mes sources, sa vie fut menacée...

Tentative d'assassinat au lacet
perpétrée par un terroriste
dont la tête me dit quelque chose


Les derniers développements de ladite crise ont profondément affecté monsieur Greenspan... peut-être même déprimé.

En tout cas, selon les titres de nos journaux, il serait quasiment en "état de choc".

On peut trouver dans le blogue "Les cordons de la Bourse" tenu par Nicolas Cori, journaliste à Libération, les propos tenus par ce cher Alan jeudi dernier:

"J'ai fait une erreur en comptant sur l'intérêt privé des organisations, principalement des banquiers, pour protéger leurs actionnaires."

"Ceux d'entre nous qui comptaient sur l'intérêt des établissements de crédit pour protéger les actionnaires (en particulier moi-même) sont dans un état de choc et d'incrédulité".

"J'ai trouvé une faille dans l'idéologie capitaliste. Je ne sais pas à quel point elle est significative ou durable, mais cela m'a plongé dans un grand désarroi."


"La raison pour laquelle j'ai été choqué, c'est que l'idéologie du libre marché a fonctionné pendant 40 ans, et même exceptionnellement bien".


"Le modèle de gestion des risques tenait depuis des décennies. Mais l'ensemble de cet édifice intellectuel s'est effondré l'été dernier."


C'est poignant!

Pov'ti père, l'en a gros sur la patate

Les pleurnicheries de monsieur Alan Greenspan ne me consolent pas beaucoup, à vrai dire.

Si le capitalisme était soluble dans les larmes, il y a longtemps qu'il serait réduit à un misérable petit tas de sels toxiques

vendredi 24 octobre 2008

Procureur et solidarité



Durant l'audience de mercredi dernier, lors du procès en appel de Romain Dunand, madame le procureur s'est étonnée de la mobilisation qui s'était faite autour deFlorimond Guimard (aujourd'hui acquitté), un individu que personne ne connaissait et qui habitait bien loin, à Marseille...

Il y a de quoi s'étonner, anéfé, qu'un Jurassien, parce qu'il partage, en gros, les mêmes idées qu'un Marseillais, veuille prendre sa défense et adresse un beau courriel au ministre de l'Intérieur, en utilisant des mots percutants, certes, mais dans la bonne tradition du pamphlet à la française.

Et pas si faux que cela.

Un procureur qui repasse son code

Je suis pas juriste et je fréquente assez peu les tribunaux. L'idée que je me fais d'un procureur me vient, hélas, d'une trop longue fréquentation des chroniques judiciaires de François Foucart, sur France Inter. Ce cher homme, bien oublié maintenant (il ne figure même pas dans ouiquipédia!) avait le chic pour raconter les audiences des grands procès criminels. Il aimait particulièrement les réquisitoires, et dans les réquisitoires ce grand moment du "portrait psychologique" de l'accusé. On sentait qu'il prenait un grand plaisir (approchant souvent l'orgasme glottique) à détailler les discours du procureur traitant, comme il est d'usage, l'accusé de rebut dégénéré et nocif d'une société qu'il fallait protéger...

Ainsi ai-je du procureur cette image fausse d'un monsieur se permettant de traiter comme un excrément social un pauvre type qui ne peut même pas lui dire merde (c'est une injure, et paf! à l'amende!)

Mais je dois me tromper...

Car en regard, la remarque de madame le procureur du procès de Romain Dunand me semble d'une grande candeur, d'une délicate fraîcheur et d'une délicieuse spontanéité.

Cependant, je me demande si cette remarque ne trahit pas un certain manque de finition...

Avant d'être une valeur, cette chose simple, claire et limpide qu'ont appelle fraternité ou solidarité, est d'abord un sentiment assez répandu. N'est-ce pas un peu inquiétant de s'en étonner ?

Maison des Etudiants de Côte d'Ivoire
en août 2005

Il est vrai que l'humanité la plus élémentaire est peut-être en train de disparaître petit à petit.

Un seul exemple: il vous faudra, une fois de plus, vous rendre sur le site de RESF, c'est le seul endroit où j'ai trouvé cette information. Gougueule reste muet...

Les derniers occupants de l'ancienne maison des étudiants de Côte d'Ivoire (MECI), située 148/150 boulevard Vincent Auriol à Paris 13e, ont été évacués le jeudi 23 octobre, à 7h du matin.

Un arrêté d'évacuation avait été pris, le 19 septembre 2008, par le préfet de police "en raison de la nécessité d'assurer la sécurité des personnes".

Je lis ceci, dans ce témoignage de Marius qui était sur place:

Cette évacuation s’est passée dans un climat de violence policière inouïe : une enfant de 1 an souffrant d’asthme a été gazée par un CRS. Elle a dû aller à l’hôpital après une intervention tardive des pompiers.

Franchement, monsieur le CRS, vous étiez obligé ?


Ajouté le 25/10/2008: vidéo de l'évacuation de la MECI, jeudi matin.




PS1: Les expulsions sont dans l'air du temps, et peu relayées dans les médias. Sur LibéLille, voyez ce témoignage sur l'évacuation du squat des migrants de Calais.

PS2: Accompagnant le témoignage de Marius, sur le site de RESF, vous trouverez un lien vers un autre témoignage portant cette fois sur l'expulsion, le 17 septembre 2008, des Roms qui habitaient sur le parking de la gare de Massy-Palaiseau.

Ce récit, très sobre mais très fort, accompagné de photos, est signé de José Vieira, réalisateur de documentaires. Qu'il ait demandé à un CRS "Des policiers, des gens avec des valises et une gare, ça vous rappelle rien ?" fait que je ressens une profonde fraternité avec ce monsieur.

jeudi 23 octobre 2008

Sang froid dans les médias

Allumer un briquet alors qu'on vient de s'arroser d'essence, devant la porte d'une maison d'arrêt, pour empêcher l'expulsion de votre compagnon, c'est pour le moins faire preuve d'un manque de sang froid regrettable.

Mais madame Nardi n'avait pas eu droit à des informations bien compréhensibles de la part des autorités et dans sa vie elle n'avait pas souvent recours aux attentions des cellules d'aide psychologique; et elle a jeté son corps dans un geste où la grandiloquence se mêle à l'amour et au désespoir: se laisser brûler vive devant une porte de prison qui malgré les cris restera obstinément fermée.

Cet acte, qui s'écarte si radicalement des lois consenties du spectacle médiatique, aurait pu nous réveiller, comme on est réveillé par un cauchemar insensé...

Non.

Personne n'a vraiment perdu son sang froid.

Certes, monsieur Julien Dray s'est fendu d'un communiqué, pour le Parti Socialiste, où il dénonce la banalisation de l'inhumanité due à "la politique actuellement menée par le gouvernement"; mais heureusement, monsieur Luc Chatel, porte-parole du gouvernement, a appelé à ne pas "caricaturer" (sic) ce suicide et, critiquant la réaction "stéréotypée et politicienne" du PS, a bien enfoncé le clou en affirmant que ce n'était pas "une affaire de double peine, pas une affaire de sans-papiers, mais une affaire de droit commun, aussi tragique soit-elle".

Après cela, on n'a plus tellement entendu les gens du PS: ils devaient parler du drame de ce pauvre Dominique Strauss-Kahn, très affecté par ses crises de priapisme récurrentes...

Crac boum huhuhue!

Monsieur Luc Chatel est bourré de talents; il a trouvé à coup sûr le mot clé: "droit commun".

Cela n'évacue pas nécessairement la réflexion sur la notion de "double peine"... (Vous pourrez vous en convaincre en vous reportant à ce billet, très complet, que l'on trouve sur le blog Combats pour les droits de l'homme.)

Cela n'évacue pas non plus la réflexion sur les drames de plus en plus fréquents qui accompagnent les expulsions de sans papiers.

Non, mais cela fournit un contexte à l'événement, et j'ai l'impression que nos commentateurs avisés ont bien tenu compte des indications de monsieur Chatel, qui ne s'est pas privé de rappeler les diverses condamnations de Henrik Orujyan, le compagnon de Josiane Nardi. Les médias ont donc replacé l'affaire dans la catégorie des faits divers un peu saignants.

Avec une exquise délicatesse d'approche, Le Parisien/Aujourd'hui en France est allé recueillir les confidences de la fille de Josiane Nardi.

"Cette histoire lui est montée à la tête, c'est devenu une galère pour elle. Entre eux, ça allait deux jours, et le lendemain ça se gâtait. (...) Cet homme la frappait, il a d'ailleurs été condamné pour ses violences."

"Ma mère était malheureuse, dépressive, et pourtant elle aurait fait n'importe quoi pour lui."

"Elle était, comme on dit, sous son influence. Je n'arrive pas à comprendre son geste. Je tiens Henrik pour responsable de ce qui est arrivé à ma mère."


"J'ai mal, et j'ai la haine contre lui."

Ces propos, je les ai retrouvés, sans aucune mise en perspective, sur le site d'un hebdomadaire de gauche, fondé en des temps troublés par un grand humaniste, reconnu par ses pairs, qui a passé des années à porter le même imper qu'Albert Camus, en croyant lui ressembler...


Un quotidien régional, Ouest-France, n'a pas vraiment compris ce que l'on pouvait attendre d'une presse responsable... Il continue à publier des articles sur la mort de Josiane Nardi.

Dans son édition de mardi, un article relate la réunion d'environ 250 personnes au Mans, en hommage à madame Nardi.

"Pourquoi cette porte ne s'est-elle pas ouverte ?" La question est posée en grand sur le portique gris de la prison du Mans. Une banderole collée, ce lundi soir, par des associations de défense de l'homme. 250 personnes assistent à la scène, rassemblées à l'appel du collectif Unis contre une immigration jetable.

(...)

Silencieusement, des dizaines de personnes déposent des fleurs devant la porte. Le cortège se dirige vers la préfecture. Lentement. En forçant le tramway à rouler à allure réduite.

Sur la place Aristide-Briand, Bernard Lebrun, porte-parole du collectif, interroge. Pourquoi personne n'est sorti de la prison ? Pourquoi, et par qui, la décision d'expulsion d'Henrik Orujyan a-t-elle été prise ?

Dans la même édition, un second article examine cette dernière question. Il est intitulé "Expulsion de l'Arménien sans-papiers : les salades du préfet"

D'après Michel Camux (lire nos éditions de dimanche et de lundi), ce serait en vertu d'une réquisition judiciaire du Parquet de Bobigny, tribunal devant lequel l'Arménien a été condamné à une interdiction de territoire français de 5 ans, que le préfet de la République en Sarthe aurait agi.

Contactés hier matin, les services du procureur de Seine-Saint-Denis ont apporté un démenti formel à cette version des faits. « La préfecture de la Sarthe nous a appelés en fin de semaine pour savoir si la situation de cet Arménien n'avait pas changé. Notamment en ce qui concerne son interdiction de séjour, indique le secrétaire général du Parquet de Bobigny. Comme on l'avait fait à l'époque de la condamnation de ce Monsieur, on a transmis la décision judiciaire par fax. Le reste est de la responsabilité du préfet. »

Mais alors, pourquoi le préfet a-t-il nié être à l'origine de cette mesure de reconduction à la frontière ? En tant qu'autorité administrative, il est le seul compétent pour faire appliquer cette interdiction de territoire décrétée par le tribunal de Bobigny. Cette stratégie de faux-fuyant est un mystère. À moins qu'il y ait des lois de la République que le représentant de l'État a du mal à assumer ? (signé Igor BONNET)

A cet article, monsieur le préfet apporte une réponse dans l'édition suivante, en commençant par un joli morceau de rhétorique sarkozienne:

N'en déplaise à ceux qui se délecteraient du contraire, il n'y a ni mystère ni salade ! Et que ne diraient-ils, les mêmes, si l'Administration se mettait à ne plus respecter les décisions de justice ?

Il convient de rappeler que c'est bien une juridiction, le TGI de Bobigny, qui a condamné M. Orujyan, le 22 septembre 2005, à une peine d'interdiction du territoire français. Celui-ci n'a jamais fait appel de cette condamnation.

M. Orujyan arrivait à la fin d'une détention de plusieurs mois en application de trois peines de prison auxquelles il avait été condamné par ailleurs. Après un échange avec les services du procureur de Bobigny pour vérifier la situation pénale applicable, c'est bien le parquet du TGI de Bobigny qui, par un document daté du 17 octobre et faxé le même jour, m'a demandé de mettre à exécution la sanction judiciaire d'ITF qui n'avait pas été appliquée notamment du fait de l'incarcération de M. Orujyan.

On n'est pas plus avancé, notez bien...

Mais on voit bien que les moules à fabriquer les préfets n'ont pas été notablement modifiés depuis... un certain temps...



En post-scriptum au démenti préfectoral, on trouve ceci:

NDLR : la rédaction Ouest-France assume les informations parues dans son édition du mardi 21 octobre.

Je me demande si je ne vais pas m'abonner à Ouest-France, à condition qu'ils fassent une "offre" avec une montre et un poste de radio comme au Nouvelobse.


PS: Puisque j'ai signalé le blogLeMonde.fr Combats pour les droits de l'homme, on y trouve aussi un article fort intéressant: "Rétention: un chargé de mission UMP du ministère de l’Immigration serait à la tête du collectif “Respect” ayant répondu à l’appel d’offres"

Etonnant, non ?

mercredi 22 octobre 2008

Fil d'espoir

Ce matin, j'ai trouvé dans ma boîte à courriel deux messages donnant des nouvelles de Karine Matabiwasaka, cette jeune congolaise, dont j'ai parlé dimanche, apprenant qu'elle avait été embarquée dans un avion à destination de Kinshasa.

Ce que j'ai appris renoue un brin le fil de l'espoir.

Et peut-être le fil d'une vie.

Lundi 20 octobre fin de journée :

Contre toute attente, Karine a refusé d'embarquer. Nous ne l'avons su que grâce au concours du MRAP et de la Cimade, ce lundi en fin de journée.

Son audience suite à ce refus devant le TGI de Bobigny est renvoyée au 17
novembre à 13h. Elle est actuellement dans la prison de Fleury-Mérogis; nous essayons de la faire libérer ou du moins la faire soigner ailleurs qu'en prison.

Nous ne manquerons pas de vous informer des suites de la mobilisation en préparation.

Les soutiens de Karine à Rennes, Nantes et Paris.

(Vous pouvez retrouver les informations sur le site de RESF.)

Je n'aurai pas l'audace de me poser la question de savoir dans quel régime de gouvernement des humains on peut être amené à se réjouir du fait que quelqu'un n'est pas "parti" mais est "seulement" en prison... Certains esprits mal tournés pourraient y renifler un outrage*.

Fleury-Mérogis, c'est mieux quadrillé

Dans le cas de Karine, beaucoup de choses sont peuvent paraître curieuses, pour donner dans l'euphémisme.

Je ne retiendrai que cette impression de course poursuite entre la police-justice (je fais un lot!) et les associations d'aide, qui fait que les soutiens de RESF n'ont pas vraiment eu le temps d'organiser la protection de Karine, et ont même perdu sa trace pendant près de 48 heures...

Consolation, et aussi espoir: c'est grâce à d'autres associations (le MRAP et la CIMADE) que sont parvenues les nouvelles...

On comprend que monsieur Hortefeux, qui tire les ficelles de tout cela au sommet, veuille se débarrasser de ces associations empêcheuses d'expulser en silence. Et on comprend aussi qu'il est essentiel, pour tout le monde, de lui faire barrage. (Voir ce billet, par exemple)


Cliquez sur l'image pour signer la pétition

Vous pouvez aussi réfléchir sur le clip vidéo qui ouvre le site C'était pire demain.


* C'est un beau mot que celui d'outrage. Apparu en 1080, dans la Chanson de Roland, sous la forme "ultrage", il y désignait une parole contraire à l'honneur d'un chevalier. Le sens actuel est bien sûr une extrapolation de ce sens originel: il n'y a plus tellement de chevaliers et ceux qui s'y croient ont perdu leur honneur depuis longtemps.

mardi 21 octobre 2008

Les outrageurs résistent...



Romain Dunand a adressé, le 19 décembre 2006, un courriel au ministre de l'Intérieur, monsieur Nicolas Sarkozy, pour protester contre l'arrestation de Florimond Guimard, à la suite d'une manifestation à l’aéroport de Marignane.

“Objet : Bas les pattes sur Florimond Guimard ! De : ‘cnt-jura’
Date : Mar, décembre 19, 2006 13 : 26
A : sec.gueant@interieur.gouv.fr

Au ministère de l'Intérieur

Monsieur le ministre,

Nous venons d'apprendre que notre camarade Florimond Guimard, instituteur à Marseille, convoqué au commissariat, a été placé en garde suite aux manifestations anti-expulsions à l'aéroport.

Voilà donc Vichy qui revient : Pétain avait donc oublié ses chiens ! RésoluEs à défendre les dernières libertés qui nous restent - à commencer par la liberté d'exprimer notre solidarité active avec les victimes de votre politique qu'il faut bien qualifier de raciste -, nous exigeons la libération immédiate de Florimond Guimard, et l'abandon de toute poursuite à son encontre.

Dans l'attente, en vous rappelant l'exigence de la fermeture des centres de rétention et celle de la régularisation de touTEs les sans papiers, recevez nos salutations antifascistes,

M. Romain Dunand, Cnt-Jura / Resf-Jura.”

En février 2007, monsieur Sarkozy a saisi le ministère de la Justice pour “outrage” et le procureur de la République a attendu le 11 mai 2007 pour lancer la procédure. Monsieur Nicolas Sarkozy était alors parvenu à la Présidence de la République le dimanche précédent.

Pour préciser un peu le contexte juridique, voici ce qu'a déclaré,Me Marianne Lagrue, avocate de Romain Dunand (Article de Rue89 du 23/01/2008):

“Dans la mesure où il ne s'agissait pas d'injure publique mais d'outrage, c'est-à-dire de quelque chose qui relève de la sphère privée, le parquet aurait pu s'abstenir.

Mais c'est surtout Nicolas Sarkozy qui pouvait choisir d'y répondre à titre privé, en argumentant que la comparaison avec Vichy n'était pas valable. Cela aurait peut-être été plus digne que d'aller devant la justice."

Le 14 février 2008, Romain Dunand était condamné par la 10e chambre correctionnelle à 800 euros d'amende ainsi qu'à un euro de dommages et intérêts à verser à Nicolas Sarkozy, partie civile.

RESISTANCE 2008 : illustration Patrick PINON


Romain Dunand a fait appel.

Son procès en appel aura lieu demain, mercredi 22 octobre 2008 à 9 h, devant la 11e chambre - section B de la Cour d’appel de Paris - Palais de Justice, escalier K, 2e étage, 6 bd du Palais 75001 Paris (prévoir au moins une demie heure de queue à l’entrée).

Le Collectif pour une dépénalisation du délit d'outrage (CODEDO), fondé en juillet 2008 à l'initiative de Romain DUNAND, Maria VUILLET, poursuivie pour outrage au sous-préfet d'Ile-de-France, Yves BAUMGARTEN et Jean-Jacques REBOUX, tous deux poursuivis pour outrage à agent de police, appelle à un rassemblement de soutien, à 8h 30, devant le palais de Justice.

4, Villa Compoint 75017 Paris


Aujourd'hui mardi 21 octobre à 16 heures à la librairie Résistances, le CODEDO organise une conférence de presse, au cours de laquelle sera présenté le Manifeste pour une dépénalisation du délit d’outrage.

Avec Héléne FRANCO (Syndicat de la magistrature), Marianne LAGRUE (avocate), Emmanuel TERRAY (anthropologue, auteur de "1942-2006: réflexions sur un parallèle contesté"), Florimond GUIMARD (RESF), Maurice RAJSFUS (Observatoire des libertés publiques), Romain DUNAND et Hervé EON.

Avec la participation des membres fondateurs du CODEDO : Maria VUILLET (outrageuse de sous-préfet), Serge et Sabrina SZMUSZKOWICZ (outrageurs de gendarme), Yves BAUMGARTEN et Jean-Jacques REBOUX (outrageurs de policier).



PS: Pour mémoire (extrait d'un article de Napakatbra à l'adresse Les mots ont un sens):

Jeudi 30 Août 2007, devant une assemblée rieuse du MEDEF, Nicolas Sarkozy, fier comme un coq, annonçait joyeusement «à quoi sert-il d'expliquer à nos enfants que Vichy et la collaboration, c'est une page sombre de notre histoire, et de tolérer des contrôles fiscaux ou des enquêtes sur dénonciation anonyme ? Ce n'est pas la République, cela». Les drilles du MEDEF, les micros, les caméras, il ne s'agit plus de la sphère privée, mais bien de déclarations publiques ! Et si le courriel de Romain est qualifié d'«outrage», alors mécaniquement, le discours de Sarkozy est, lui, qualifiable d'«injure publique» envers les fonctionnaires du FISC ! Au regard de la loi, mais la loi, maintenant... c'est Lui ! Et Sarkozy court toujours...

lundi 20 octobre 2008

Les ponts de Montreuil, suite




Chose promise, voici le communiqué final du sommet citoyen sur les migrations:


Communiqué de Montreuil, le 17 octobre 2008

Nous ne pouvons plus laisser la question des migrations aux seules mains des Etats, qui plus est des Etats du Nord, dans un contexte où la crise économique et financière augmente déjà la pauvreté et risque de renforcer la xénophobie dans les pays d'accueil et de transit des migrants.

Nous ne voulons pas, en réponse à cette situation, d'une politique qui transforme l'Europe en forteresse.


A nous, sociétés civiles du Nord et du Sud, d'inventer ensemble d'autres politiques migratoires et de développement, qui soient fondées sur la justice et le respect des droits et de la dignité humaine.

Nous voulons des ponts, pas des murs !


Nous demandons au gouvernement français qui préside l'Union européenne d'impliquer les sociétés civiles lors de la 2ème Conférence ministérielle Union européenne – Afrique sur "Migrations et Développement" qui aura lieu à Paris fin novembre.

En ce soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, nous lui rappelons l'universalité de ces droits, qui s'appliquent à tous, et donc aux migrants, qu'il aient des papiers ou non.


Nous exigeons :

1. l'application de l'article 13* de la Déclaration universelle des droits de l'Homme en incluant la dépénalisation du franchissement “illégal” des frontières, la ratification de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leurs familles, et le respect effectif de la Convention internationale sur les droits de l'enfant dans les pays de départ, de transit et d'accueil ;


* Art 13 de la DUDH:
“Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.”

2. de permettre à tous les migrants d'avoir accès à une complète citoyenneté et de fonder toutes les réglementations concernant les migrants sur l'égalité des droits entre tous les citoyens. Dans l'immédiat, nous exigeons d'élargir les conditions applicables aux résidents communautaires, notamment le droit de vote, à tous les résidents ;

3. le refus de la subordination entre le droit au séjour et le droit au travail, le respect du droit à la vie privée et familiale et l'autonomie du statut pour chacun des conjoints ;


4. la mise en œuvre du droit au développement tel qu'il est défini par la déclaration sur le droit au développement adoptée par les Nations unies en 1986 et l'annulation immédiate de la dette des pays du Sud, d'autant qu'elle rend les Objectifs du Millénaire pour le Développement inatteignables ;


5. des gouvernements du Sud le refus de la signature d'accords bi ou multilatéraux qui portent atteinte à leur intégrité et à leur dignité et comportent des conditionnalités et notamment des clauses de réadmission ;

6. l'arrêt de la militarisation des frontières africaines imposée par l'Union européenne ;


7. la liberté de choix et d'accès du pays d'accueil pour les demandeurs d'asile et les réfugiés (refus du dispositif dit “de Dublin” et des pays dits “sûrs”) et la suppression de toutes les formes d'externalisation des procédures d'asile ;


8. une interprétation extensive de la notion de réfugié, incluant notamment les victimes d'atteintes aux droits économiques, sociaux et environnementaux et les persécutions collectives ;


9. en attendant la fermeture de tous les lieux d'enfermement, l'interdiction de la détention des demandeurs d'asile et la création de mécanismes indépendants de contrôle de ces lieux ;


10. la protection des femmes victimes de violences de toute nature ;


11. une réelle visibilité des actions concrètes des femmes migrantes dans les pays d'origine, de transit et d'accueil dans les enceintes de discussion nationale et internationale ;


12. la protection sans conditions des migrants mineurs et notamment l'interdiction de leur enfermement et de leur expulsion, le respect effectif de leur droit à la formation et à l'éducation, ainsi que la régularisation des jeunes majeurs.



Et pour le plaisir, car il y avait du plaisir à être ensemble de Bastille à République pour la marche de clôture, voici deux vedettes présentes dans le cortège:

La banderole rouge de RESF...

... et le bleu du ciel.

dimanche 19 octobre 2008

Cette honte qui nous survivra

J'aimerai savoir comment fait monsieur Jean René Daubigny 3,avenue de la préfecture 35 026 Rennes cedex 9, préfet d'Ile-et-Vilaine, pour survivre à la honte de ne pas avoir levé le petit doigt pour freiner, puis suspendre, l'expulsion en urgence de Karine Matabiwasaka vers le Congo Kinshasa.

Moi, j'ai la honte de ne pas avoir signé la lettre-pétition qui lui a été envoyée, et moi, je sais que cette honte me survivra.

Voici cette lettre que je n'ai pas signée:

Monsieur le Préfet,

Nous appelons votre attention sur le cas de Karine Matabiwasaka , du Congo Kinshasa, qui risque d’être expulsée alors qu’elle est visiblement malade mentale et relève de la protection de l’asile psychiatrique et du droit à la santé.

Karine, du Congo Kinshasa est passée devant le JLD, à Rennes, samedi 11 octobre Elle sortait de l’hôpital psychiatrique Guillaume Regnier, à Rennes où elle avait été recueillie et soignée., après une prise en charge par l’ASE où elle avait été reçue comme primo arrivante. Elle a été reconnue majeure sur ses simples dires à l’occasion d’un entretien avec un psychiatre qui n’a pas tenu compte du fait qu’elle venait d’être très perturbée par une prise de sang mal supportée car elle serait témoin de Jéhovah. Elle a été plus que confuse et le juge n’a rien compris à ce qu’elle disait.

Cette jeune femme a donc dit au juge qu’elle voulait retourner chez elle, « chez-elle », c’est-à-dire en un lieu où elle serait protégée et soignée, et ce qui ne signifie en rien évidemment le Kinshasa.

Hospitalisée pour troubles psychologiques, reconnue majeure uniquement sur ses dires, on lui a fait signer des "papiers" à la préfecture. Comme, de surcroît il n’a pas été jugé utile de contester l’APRF, elle est "considérée" comme majeure.

En réalité, elle n’aura personne pour l’attendre à Kinshasa ("papa est mort dans la guerre""maman je ne sais pas où elle est,"..."je ne connais pas Kinshasa")

Karine est de toute évidence « schizophrène non stabilisée" et a tout de même passé 45 jours à l’hôpital psychiatrique avant de se faire interpeller le jour de sa sortie devant l’hôpital.

Karine est totalement désorientée.

Si elle retourne au Kinshasa où elle n’a plus aucun lien, elle est livrée directement à la mort lente des personnes désorientées, sans liens et sans ressources.

Nous vous demandons, Monsieur le Préfet, de bien vouloir tenir compte de l’état mental et de l’isolement de cette jeune fille.

Dans cette mesure, nous vous demandons de bien vouloir suspendre les mesures en cours qui conduiraient à son expulsion du territoire français et de faire en sorte que les services de santé prennent pour elle, en France, les mesures de suivi sanitaire qui s’imposent.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Préfet l’assurance de notre haute considération.

Les dernières nouvelles sont sur le site de RESF:

17h : Nouvelles sommaires entendues au cours de la manifestation "Des Ponts Pas des Murs" de la part de "soutiens" qui revenaient de l’aéroport : Ils ont réussi à expulser Karine ! à l’horreur de cet acte répond cependant et heureusement la solidarité humaine : une passagère a promis de la prendre en charge à l’arrivée. A la dernière personne qui a été en contact avec elle, cette nuit à 4 h 20 au départ de Saint-Jacques de la Lande (35), Karine a avoué comme une confidence et en signe d’au revoir qu’elle n’avait que 16 ans !

La pétition est suspendue - nous vous tiendrons au courant


Des images de Kinshasa me reviennent en désordre, et moi, discret vieux monsieur attablé à une banale terrasse de café, j'ai envie de chialer comme un môme.

Et de cela, après tout, je n'aurais aucune honte.

Ce sont des choses qui arrivent dans le monde que vous administrez, monsieur le Préfet.

samedi 18 octobre 2008

Rouen la catalane



Si vous dites à un rouennais qu'il habite une grande et belle ville, vous risquez fort d'avoir usé en vain de ce poncif de la conversation de trottoir, ou encore d'avoir ouvert les portes du bureau des pleurs intarissables. Le rouennais n'aime pas sa ville.

Et puisqu'il est tout à fait déconseillé, pour d'évidentes raisons météorologiques, de parler de la pluie et du beau temps (quel beau temps?), il faudra vous résoudre à devenir comme les normands: taiseux.

On vous en saura gré.

Cependant je connais un endroit où il est plus qu'agréable de parler de la pluie et du beau temps d'une grande et belle ville, de manière subtilement décalée puisqu'il s'agit de Barcelone.

L'entrée de la librairie Polis, 21 rue Percière.

Et la vitrine...

Vous trouverez dans en rayon un choix de livres, neufs ou d'occasion, centré sur le thème de la ville et sur la littérature policière. Le tout présenté en deux salles qui ont le charme de bibliothèques privées.

Littérature générale

Littérature policière

Le lien évident entre les deux salles est renforcé par l'indéfectible admiration que la propriétaire des lieux voue à l'écrivain barcelonais Manuel Vázquez Montalbán, grand arpenteur de sa ville natale et d'autres villes du monde, et créateur du détective Pepe Carvalho.

Ce soir, à partir de 18h, on se souviendra, au 21 rue Percière, que Manuel Vázquez Montalbán est né à Barcelone, Calle de la Botella, le 14 juin 1939 et est mort le 18 octobre 2003 à l'aéroport de Bangkok.

Je suis sûr que ça ne sera pas triste. Il s'agira d'une tertulia , une réunion d'amis agrémentée du plaisir de la conversation.

vendredi 17 octobre 2008

Les ponts de Montreuil

Avant d'entrer dans la grande salle où devait se tenir la séance d'ouverture du sommet citoyen sur les migrations, "Des ponts... Pas des murs...", j'ai eu tout le temps de naviguer rue de Paris, à Montreuil.

Un parisien intermittent comme moi évalue toujours assez mal la durée des trajets en métro...

Rien de très touristique dans cette partie de la rue, dois-je dire. Toute la tristesse de la proche banlieue au petit matin. La France qui se lève tôt part au travail.

Mon avance était suffisante pour prendre un café-journal, éventuellement avec clope, j'avisai une curieuse échoppe annonçant le négoce de café, de thé, de journaux, de livres et d'artisanat africain.

En fait de café, on pouvait l'avoir en grain ou moulu, ou en dégustation. Et cela embaumait.


C'était plutôt l'heure des journaux. Quand j'entrai, le patron était justement en train de commenter avec un client l'augmentation du tarif de Libération.


J'ai pris plaisir à l'accueil cordial, à la conversation détendue, à l'ambiance générale du lieu...


Je suis sorti avec mon Libération sous le bras en me disant qu'il fallait bien venir du Sénégal pour ouvrir une boutique* où le passant égaré trouve un réel plaisir à acheter ce journal que l'on achète encore, faute de mieux...

Ce ne sont pas des choses arrivent à Neuilly.


La deuxième conférence non gouvernementale euro-africaine sur les migrations et le développement a été ouverte par quelques interventions bien senties.

Il faut voir et entendre Stéphane Hessel, ancien résistant, co-rédacteur de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, ancien ambassadeur, rappeler qu'il faut exiger, avec courage et obstination, l'application de l'article 13 de cette Déclaration (liberté de choisir son pays); et l'on se dit que ce vieux monsieur qui parle sans notes, agrippant son micro des deux mains, est l'incarnation même de ce courage et de cette obstination.

Il faut aussi entendre Aminata Traoré, ancienne ministre malienne, demander aux peuples et gouvernements du Sud de se ressaisir pour regarder le monde tel qu'il est et non tel qu'on le leur raconte, en soulignant que désormais ils n'ont plus rien à perdre, sauf leur dignité; et l'on se dit que la lucidité et la dignité sont bien là, venues d'un pays qui "n'est pas entré dans l'histoire".

Les travaux de cette conférence aboutiront à la publication d'une Charte de Montreuil, dont je ne possède qu'un exemplaire de travail qui reste à amender.

Donc, suite au prochain numéro.


* Teranga, 173 rue de Paris, à Montreuil, ouvert du lundi au vendredi de 6h 30 à 19h, et le samedi de 8h à 19h. Un grand merci à Tidiane pour avoir su créer ce lieu où il fait si bon entrer.