dimanche 31 octobre 2010

Un homme de bon conseil

Monsieur Alain B., que j'ai récemment croisé dans un escalier très pentu, m'a annoncé, en reprenant son souffle, que les trublions d'Article XI, clairement situés à l'ultra-gauche de l'anarcho-gauchisme, allaient bientôt inonder le monde de leurs brûlots inqualifiables imprimés sur du vrai papier.

Voyant que je faisais l'ignorant - je fais ça très bien -, il m'a indiqué que je pouvais m'abonner pour la modique somme de 13 euros pour les six premiers numéros. Il a même tenu à m'indiquer qu'un formulaire d'abonnement était disponible en téléchargement sur le site du futur journal, qu'il me suffirait de l'imprimer, de le remplir et de le réexpédier, avec un timbre de collection, à l'adresse suivante:

Article 11
3, allée Gambetta
92 110 Clichy

Il a enfin tenu à me confier qu'il avait lui-même pris un abonnement et en avait offert un à chacun de ses plus dévoués collaborateurs.

Côté lectures, c'est, en général, un homme de bon conseil...

Un pauvre Zozo tout indigné

"Genant. Déplacé. Amalgames douteux entre périodes qui n'ont rien a voir. Pépés gâteux et journalistes bobos, le tout sur un ton récitatif. Si ce n'est une indignation de voir l'antenne du service public utilisée a des fins politiques, ce ne serait même pas la peine de commenter."

Cela ne s'invente pas, et je vous livre la chose sans rectifications.

C'est un certain Zozo, qui a posté ce commentaire aux accents douteux sur le site de France Inter, à propos de l'émission "Nous autres", de Zoé Varier, diffusée la veille. Cette émission était annoncée en des termes qui ont dû bien agacer notre pauvre Zozo:

Résister

Colère, indignation, révolte, depuis le mois de Septembre, des anciens résistants refusent le «diplôme d'honneur aux combattants de la deuxième guerre» que le ministère de la défense veut leur remettre. Ils dénoncent une opération démagogique, un enfumage de l'Élysée, une instrumentalisation de la mémoire, ils dénoncent l'inutilité de ses fausses distinctions.


Mr René Heitz, Mr Charles Paperon, Mr Pierre Moriau ont été des résistants de la seconde guerre mondiale. Aujourd'hui ce sont de vieux messieurs de plus de 80 ans et ils n'ont rien perdu de leur indignation et de leur conviction. C'est en toute conscience, qu'ils ont décidé de ne pas accepter cet hommage d'un gouvernement qui chaque jour démantèle un par un les acquis de la résistance. Fidèles à ce qu'ils ont été, à ce qu'ils sont, à ce qu'ils ont combattu et défendu, René, Charles et Pierre sont des résistant d'hier, des résistants d'aujourd'hui.


Jusqu'à 21h, une émission pour se regonfler et se donner du courage pour les combats à venir.


Il y a là, évidemment, de quoi déplaire à tous les drôles de zozos, grands défenseurs d'une certaine idée du "service public" à la radio. Paradoxalement, cette idée, ils pourront l'entendre réalisée sur certaines chaînes privées où ils devraient trouver leur bonheur d'auditeurs. Pas de "journalistes bobos" dialoguant "sur un ton récitatif" avec des "pépés gâteux", rien que des jeunes boutonneux accumulant futilités apolitiques et inanités sonores sur un ton speedé... C'est le paradis des zozos: nul besoin d'écouter, nul besoin d'entendre. Heu-reux, nos zozos.

Il faut dire que Zoé Varier pratique, dans ses émissions, un art de l'écoute qui est devenu assez rare sur les ondes. L'attention qu'elle porte à ceux qu'elle nous donne à entendre est immédiatement perceptible dans sa voix. Elle a le ton de quelqu'un qui sait écouter, et c'est peut-être cela que notre commentateur indigné qualifie, pour le disqualifier, de "ton récitatif".

L'émission qu'elle a consacrée à René Heitz, Charles Paperon et Pierre Moriau, ces "vieux messieurs de plus de 80 ans", restera disponible en écoute à la carte sur le site de France Inter. On y entend l'éternelle jeunesse de l'indignation vraie des ces résistants d'hier qui parlent d'aujourd'hui.

Et tant pis si nos pauvres zozos restent sourds à ces voix et s'indignent de les entendre sur "l'antenne du service public". L'indignation de ces "pépés gâteux" est aussi la nôtre.

Comme elle est celle de Stéphane Hessel dont on vient de publier ce tout petit livre:

32 pages, 3€, Indigène éditions, diffusion Harmonia Mundi.


J'ai bien envie d'en commander une bonne quantité pour les offrir à quelques zozos de ma connaissance...

samedi 30 octobre 2010

Une lettre modèle du genre

Monsieur le procureur Philippe Courroye est un fort bel esprit - d'ailleurs, il cite René Char -, mais est probablement dénué de tout humour - la preuve, il cite aussi Charles de Gaulle.

Quand il estime, dans l'entretien qu'il a accordé à Stéphane Durand-Souffland, journaliste au Figaro, que son enquête sur les "dossiers Woerth-Bettencourt" est "un modèle du genre", il ne faut pas y voir un clin d'œil adressé aux lecteurs du Figaro. Drapé en sa morgue magistrale, notre haut magistrat ne peut se permettre un tel trait de malice.

Il faut donc admettre que les manières du procureur sont appelées à devenir "un modèle du genre".

Resterait à préciser de quel "genre"...

Monsieur Courroye, posant dans le genre impérial,
le 2 septembre 2010, à Nanterre. Photo AFP.

La veille, le mercredi 27 octobre, madame Michèle Alliot-Marie, garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés, s'était rendue dans les studios de France Inter pour y faire un peu de "pédagogie" à propos du bon peuple désorienté par cette histoire de "dépaysement". On peut suivre son intervention en vidéo, dans les archives du 7/9.

Ses explications ont suscité une réaction de la part de Clarisse Taron, présidente du Syndicat de la magistrature, qui, au nom dudit syndicat a adressé à madame Alliot-Marie une lettre ouverte qui ne manque ni d'esprit, ni d'humour.

Incipit:

Madame le garde des Sceaux,

Invitée hier matin sur France Inter, vous avez expliqué à votre manière, inimitable, le dépaysement de l’affaire Woerth-Bettencourt.

L’aplomb avec lequel vous leur avez livré ce conte pour enfants sages aura peut-être convaincu certains de nos concitoyens que, décidément, c’est la raison qui l’emporte et l’indépendance de la justice qui triomphe. Nous les invitons pourtant à dévider, avec vous, la pelote de fil blanc dont cette histoire est cousue.

Suit un démontage des propos du garde des Sceaux, qui est un modèle, dans son genre. Sa lecture est exigeante, mais il est bon de lire aussi des textes rédigés sans prendre les futurs lecteurs pour des demeurés.

La conclusion:

Vous le voyez, Madame le ministre, il eût sans doute mieux valu raconter la véritable histoire de ce dépaysement :

* expliquer qu’il devenait impératif de dessaisir Isabelle Prévost-Desprez, non pas à cause de l’inimitié qui l’opposerait à Philippe Courroye et dont la mise en scène ne sert qu’à masquer les enjeux réels de ce dossier, en particulier l’impérieuse nécessité de garantir l’indépendance du ministère public, mais bien parce que ses investigations alarmaient de plus en plus le pouvoir exécutif ;

* expliquer que ce dépaysement devait emporter celui des autres enquêtes et donc (enfin !) la désignation de juges d’instruction, à défaut de quoi l’inégalité de traitement entre les différents volets de l’affaire eût été inexplicable et la ficelle trop visible ;

* expliquer que ce dépaysement général est finalement un moindre mal pour ceux qui ont si longtemps résisté à l’ouverture d’informations judiciaires, compte tenu du temps déjà gagné et de celui qui le sera encore, en attendant que les juridictions désignées, après avoir tout repris « à zéro » et fait face à la guérilla procédurale que le parquet ne manquera pas de continuer à mener, finissent un jour par être en mesure de statuer, idéalement après le printemps 2012...

Terminant en apothéose et bouclant la boucle, vous avez souhaité « que l’on s’abstienne désormais de continuer à vouloir faire de l’ingérence politique dans ces dossiers ».

Plutôt que de relever mesquinement qu’il y a donc bien eu, finalement, « de l’ingérence politique dans ces dossiers », nous vous disons seulement : chiche !

Même la formule de politesse est un modèle:

Nous vous prions d’agréer, Madame le garde des Sceaux, l’expression de la haute considération dans laquelle nous tenons vos fonctions.

vendredi 29 octobre 2010

Les valeureux du terminal Rubis

Bloqué, repris et rebloqué, le dépôt pétrolier de Grand-Quevilly, surnommé le terminal Rubis - car il appartient à la société Rubis Terminal -, a été, ces dernières semaines un des lieux clés de la résistance à la réforme des retraites concoctée par nos courageux dirigeants. Et plus que cela, le piquet de blocage a été un lieu de discussions et d'échanges, où se sont rencontrés des gens venant d'horizons très divers.

Pour en mesurer l'intensité, il aurait fallu y passer plus de cinq minutes, voir y passer la soirée, ou la nuit...

TF1 a diffusé, le 24 octobre, dans l'émission Sept à Huit, un "sujet" intitulé Retraites: le bras de fer, tourné sur place. Le site de la chaîne donne le sobre résumé suivant:

Devant les piquets de grève, dans les cortèges, face aux CRS mais aussi chez eux, en famille : pendant une semaine, les équipes de Sept à Huit ont partagé le quotidien des manifestants contre la réforme des retraites.

Le montage a, bien sûr, été ouvragé avec tout le professionnalisme nécessaire pour un reportage qui doit passer, à une heure de grande écoute, sur une grande chaîne aussi privée que TF1. Mais il n'a pu tout gommer de certaines images, qui sont des images justes, et de certains propos, qui sont des propos justes. C'est pour cette raison que je vous donne le lien, malgré l'inévitable supplément de pub.

Entrée du terminal Rubis
(Photo: Boris Maslard/Paris-Normandie.)

Le 27 octobre, au matin, on pouvait lire, dans le journal local, cette brève, que je copicolle sans corrections:

Ce mercredi, peu après 3 heures du matin, trois-cents manifestants environ (source police) ont tenté de (re)bloqué le terminal pétrolier Rubis à Grand-Quevilly. Une tentative qui s'est soldée par un échec. Une compagnie de CRS, soit 80 hommes, est intervenue en effet pour les empêcher de pénétrer dans l'enceinte du terminal. Des échanges musclés ont eu lieu entre les manifestants et les forces de l'ordre. Les CRS risposté à des jets de cailloux en faisant usage de gaz lacrymogène. Les manifestants ont finalement rebroussé chemin afin de se positionner au niveau du dernier rond-pont situé juste avant l'entrée du Terminal.

On ne peut que se désoler de l'état de sous-équipement de la presse régionale quand on constate que ses journalistes, probablement par manque de ligne téléphonique, ne peuvent recouper leurs informations. Le rédacteur de la note précédente n'a manifestement pu disposer que de renseignements donnés par la police, et n'a pu joindre de véritables témoins ou participants à cette action. Plus que la frappe et l'orthographe, il aurait été nécessaire de corriger le contenu de cette brève. Certains commentateurs, sur le site du journal, s'en sont chargés.

En vérité, plutôt qu'à des "jets de cailloux", les CRS présents ont eu à riposter à l'avancée résolue d'un groupe de personnes décidées à reprendre leur position devant le dépôt de carburant maintenu en état d'occupation par les forces de l'ordre. Et ces manifestants, armés de leur seule détermination, ont bel et bien fait reculer par deux fois nos valeureux robocops avant d'être noyés sous les gaz lacrymogènes.

Une équipe de France 3 était sur place et a filmé ces événements. Un tout petit sujet d'à peine 2 min en a été tiré pour le flash info de midi, le 27 octobre. C'est toujours ça.

On y voit une première charge, assez maladroite, d'une poignée de CRS qui se précipitent sur les manifestants. Ils se font très proprement envoyer valser. L'un des manifestants, particulièrement virtuose, réussit même à s'emparer, dans l'action, du tonfa d'un scarabée bleu-flic. Ce qui est plutôt rigolard.

(Désolé pour la maréchaussée, mais le thème du retour de bâton a gardé, pour mon âme simple, un grand potentiel comique...)

Les manifestants, après cet échange, continuent à avancer, en reformant leurs rangs, et les forces de l'ordre se remettent, elles aussi, en ordre. Malgré tout, les hommes en carapace devront encore reculer en perdant leur bel alignement.

Avant le second face à face.
(Cliquer sur l'image pour voir la vidéo France 3)

Un des participants, rencontré hier non loin de la Préfecture, me disait s'être demandé, après l'action, depuis combien de temps il n'avait pas vu des CRS reculer devant les manifestants...

Malgré ses paupières encore un peu irritées, ça ne lui donnait pas envie de pleurer.


PS: Je vous ai mis le lien trois fois, et si j'avais trouvé un player, je vous aurais mis le player. C'est pour votre bien. Si vous vous sentez un peu déprimé(e) d'entendre que les directions syndicales sont en train de se rapprocher de la "sortie de crise", regardez-la, sans modération, matin, midi et soir. C'est un bon euphorisant.

jeudi 28 octobre 2010

Routine de fin de manif pépère à Rouen

"N'import'comment, tant qu'y s'ront pas passés, nous on est là."

L'accorte petite dame, sur son pas de porte, a pris un air bien rassuré.

Il est vrai que travailler au secrétariat de la permanence de l'UMP rouennaise, un jour de manifestation, ce n'est peut-être pas très rassurant quand on est émotive, mais, après tout, elle aurait pu se mettre en grève.

Son interlocuteur est ensuite parti rejoindre ses collègues, de la variété policière usuellement nommée flic-en-civil, qui s'étaient placés en faction de part et d'autre de l'accès de la place de la Haute-Vieille-Tour par la rue Grand-Pont. La place elle-même était "sécurisée" par un groupe de policiers en tenue, avec boucliers, casques à la ceinture et tout leur barda prétendument défensif.

Tout cela m'a semblé assez disproportionné, car, pour passer par là, le cortège aurait dû se détourner de son itinéraire officiel qui devait le mener du cours Clémenceau (rive gauche) à l'esplanade de la Préfecture (rive droite) après avoir emprunté trois ponts...

J'ai supposé que tous les points stratégiques de la ville de Rouen étaient ainsi placés sous la protection des forces de l'ordre, et que, par manque d'attention, en traversant la ville pour me rendre dans ce quartier, je n'avais remarqué que ce petit groupe de protecteurs de nos libertés. Je suis tellement distrait.

Après avoir abandonné l'escouade de civils à leur faction, j'ai baguenaudé avec 40 000 personnes, selon les organisateurs, et beaucoup moins, selon la préfecture.

On pouvait parfois noter, dans le cortège, la proximité d'allo-ouine.

Photo: Sylvain Fillastre/Paris-Normandie.

Et j'ai cru reconnaître monsieur François Chérèque de passage incognito.

Sylvain Fillastre ne l'a pas raté.

A l'approche de l'esplanade de la Préfecture, j'ai pu constater qu'au moins un autre site stratégique de la ville de Rouen était placé sous protection policière. En suivant la perspective des quais, l'œil pouvait se perdre dans un horizon monochrome, non de ce bleu délicat que l'on nomme bleu-horizon, mais bleu-flic. Un barrage de scarabées avait été mis en place, avec de forts effectifs, pour empêcher l'accès au siège du Médef.

Or une partie des manifestants comptait bien rendre à cet organisme l'hommage qui lui revenait. Un appel au format plutôt réduit avait été diffusé:

Depuis deux jours, le gouvernement et ses alliés annoncent la fin du mouvement pour mieux nous enterrer. Pour leur montrer que l'on [n']en a pas fini et que l'on ne s'arrêtera pas là, retrouvons nous place Pasteur à la fin de la manifestation puis devant le MEDEF pour un grand concours de jets d'œufs pourris.

Comité d'Action Étudiant

Il ne faut pas trop s'étonner de constater que le journal local, dans La mobilisation du 28 octobre en direct , ne parle pas de cet essai de dialogue avec les représentants hauts-normands du Médef. A Paris-Normandie, on doit avoir des horaires stricts.

Après les prises de paroles devant la Préfecture, et, il faut bien le dire, quelques frictions avec le service d'ordre de la CGT - qui désapprouvait ce prolongement de la manifestation -, plusieurs centaines de personnes se dirigèrent en bon ordre en direction de la ligne bleue qui barrait l'avenue. L'horizon s'agrémenta des nuées bleutées des gaz lacrymogènes qu'un vent fripon rabattit sur les forces de l'ordre. Cela ne les gêna pas trop pour montrer leur force...

Pendant ce temps, l'esplanade se vidait et quand le groupe des audacieux se replia, toujours en bon ordre, et la tête haute, il ne restait plus qu'eux et quelques personnes qui étaient restées, mais s'étaient placées à l'écart des lacrymogènes.

Hésitation sur la suite, désir de rester ensemble, le groupe lanterna un moment, en contre-bas de la Préfecture, avant de s'effilocher le long des quais pour rejoindre le boulevard des Belges, à la hauteur du pont Guillaume le Conquérant. De mon côté, je préférai remonter un peu vers la Préfecture pour rejoindre le boulevard à la hauteur du Rectorat.

Tout semblait calme sur le boulevard que je commençai à descendre, sauf l'arrivée soudaine de quelques voitures de police, qui vinrent se placer au départ de la bretelle d'accès au pont Guillaume. Une douzaine ou une quinzaine d'hommes en bleu-nuit, accompagnés de quelques auxiliaires féminines, en descendirent et coincèrent quelques personnes qui rejoignaient le boulevard par la rue Duguay-Trouin, ou plutôt par le passage piétonnier qui la termine à cet endroit. L'action fut rapidement exécutée, puis s'installa dans la durée, pour ce que je pensais, au début, être un simple contrôle. Avec palpation, face au mur, tout de même...

Parmi les personnes ainsi "contrôlées", une femme attendait son tour. Une cinquantaine d'années, peut-être; elle avait décidé de ne pas engraisser les laboratoires L'Oréal, et affichait ses cheveux blancs. Brusquement, elle fut bousculée et jetée à terre par deux policiers. Elle y fut probablement molestée réglementairement, puis relevée et mise contre le mur.

Un curieux qui avait voulu prendre des photos, et s'était approché, s'était fait courser par l'un de ces messieurs; et je me sentais en état d'infériorité numérique, je l'avoue. Je ne pouvais qu'enregistrer dans ma mémoire ce déchaînement de violence, inutile, brute et froide.

Cinq personnes ont été embarquées, dont la femme qui avait été jetée à terre.

J'ai appris ensuite que d'autres manifestants avaient été raflés, après avoir été coincés, sous le pont, par des voitures de police où, leur a-t-on hurlé, il restait des places.

Et aussi, qu'un jeune homme avait été jeté dans une voiture de flics-en-civil en arrivant chez lui, très loin du lieu de la manifestation.

Que va-t-on tenter de reprocher à ces personnes ?

Peut-on leur reprocher, sérieusement, d'avoir voulu lancer des œufs sur la belle façade du Médef ? Mais cela, tout le monde rêve de le faire !

Ou alors va-t-on leur reprocher de n'avoir pu, puisqu'on les tenait éloignés du Médef, atteindre que les représentants de la force publique ?

Peut-être...


PS: Aux dernières nouvelles, 8 personnes ont été interpelées, la plupart du temps loin du lieu de la manifestation. 5 ont avoué des jets d'œufs colorés, et répondront de cette grave atteinte à l'ordre public le 10 janvier. Pour les 3 autres, il est prévu qu'ils passent la nuit à l'hôtel de police.
Quant aux personnes que j'ai vu embarquer, elles ont été libérées sans charge retenue contre elles. Elles auraient fait part aux policiers de leur indignation de manière trop explicite...

mercredi 27 octobre 2010

Un jeune homme bien audacieux

Tout à fait décomplexé, puisque ce sont des choses qui se font, j'avoue que je n'avais guère, jusqu'à présent, accordé d'attention à l'existence parmi nous de monsieur Benjamin Lancar, que l'on présente comme "fraîchement réélu à la présidence des Jeunes Populaires". Et pourtant, représentant exemplaire de cette "jeunesse qui a confiance dans l’avenir, qui sait que pour s’en sortir et réussir il faut prendre son destin en main et entreprendre", cet entreprenant jeune homme ne néglige rien pour se rendre intéressant. Il touitte et il fèce-bouque, il se démène beaucoup sur tous les fronts, et il va même jusqu'à bloguer.

C'est d'ailleurs grâce au succès médiatique obtenu par son dernier billet, intitulé Une autre forme d'engagement pour la jeunesse, l'engagement pour son pays, que j'ai pu faire la connaissance, toute virtuelle, de cet intéressant penseur précoce.

Il s'agit d'un billet assez court - trois quarts de feuillet environ-, composé dans un style élevé, et avançant des idées qui font preuve de la très grande maturité du jeune auteur. Cette maturité touche parfois à la blétitude, lorsque, pour caractériser "l'engagement" de la jeunesse, il énumère ces "valeurs", "le courage, le réalisme, la liberté, une certaine dose de rébellion", qui ne sont que les fantasmes de vieillards décatis évoquant une jeunesse rêvée et jamais vécue.

Le point de départ de ce texte, on pourrait même dire, je crois, son pré-texte, est tiré du contexte calendaire de sa mise en œuvre: la date du 22 octobre qui est désormais celle d'un événement inscrit dans la routine de l'année scolaire, "un classique du premier trimestre dans les écoles françaises : la lecture de la lettre de Guy Môquet à ses parents". Tellement "classique", en effet, que monsieur Lancar semble oublier que le 22 octobre est d'abord, et surtout, la date anniversaire de la mort de Guy Môquet et de ses compagnons... On pourra, avec indulgence, lui pardonner cet oubli, en l'attribuant à un retour chez lui du fantasque juvénile refoulé, mais il est plus difficile de comprendre l'indifférence de ses ainés en sarkozisme, que l'on trouve signalée par ce commentaire de lecteur dans le NouvelObs:

Juste pour info: aucun représentant de l'état n'était présent cette année aux cérémonies à Nantes en l'hommage des 48 otages fusillés par les nazis à Nantes et Chateaubriant, et ce pour la première fois depuis 1943.

(Voir aussi LePost.)

Otage politique post-mortem.

Cela n'est que de peu d'importance, en réalité, pour monsieur Lancar, dont l'objectif semble plutôt de nous livrer une réflexion en flux tendu sur ce que Guy Môquet, émotionnellement remodelé par l'émotion sarkozienne, incarne pour lui: le "courage". Il s'y emploie avec une certaine ténacité obstinée, et l'on peut relever, dans son court développement, sept occurrences de ce mot, ou de l'un de ses dérivés. Je crois qu'il aurait pu, s'il en avait eu l'audace, résumer son méditation par un sonore "du courage, encore du courage et toujours du courage !"

Il ne faut pas croire, cependant, que notre futur candidat à l'élection présidentielle de 2052 manque de fougue. Comparer les Jeunes Populaires de 2010 avec les Guy Môquet de 1940, cela demande, c'est évident, beaucoup d'audace, et une certaine dose d'inconscience.

Cette inconscience va conduire monsieur Lancar à prendre le risque d'écrire:

En 1940, alors qu’une partie de la jeunesse et de la classe politique, autrefois courageuse – redressement économique de la France par Pierre Laval en 1932 – s’est fourvoyée et a trahi les fondements de la République, une autre France s’est révoltée.

On peut se demander ce qui a bien pu pousser cet éclairé jeune homme à nous révéler ainsi, incidemment, son admiration pour le "courage" politique de Pierre Laval en 1932. Rien, dans son texte, ne l'y obligeait, sauf peut-être le besoin de replacer la jeunesse de 1940 dans une continuité du "courage" national. Pour la pensée sarkoziste, les valeurs ne peuvent être que des valeurs transmises par l'histoire nationale; il était donc probablement important, pour notre penseur sarkoziste, que le "courage" de la jeunesse incarnée par Guy Môquet lui ait été légué en héritage, fût-ce par "une autre France", "fourvoyée" certes, mais "autrefois courageuse".

Or, ceux "qui (...) n’ont pas hésité à sacrifier leur jeunesse" en 1940 sont probablement plus héritiers de l'audace de ceux qui ont fait le Front Populaire en 1936 que du "courage" de Pierre Laval en 1932.

C'était alors l'audace de réclamer et de faire promulguer des lois d'avancée sociale, et cela aurait peut-être gêné monsieur Lancar dans son argumentation pour un soutien indéfectible à "la réforme des retraites", "nécessaire pour l’avenir de notre pays et de notre système par répartition"...


PS: Notre courageux jeune homme, de passage hier soir sur Beur FN, s'est "excusé" "pour son allusion flatteuse à Pierre Laval".

mardi 26 octobre 2010

Les casseurs de grève

Si, en France, on n'a pas beaucoup de pétrole, on a quelques raffineries et beaucoup de lois pour y faire travailler les ouvriers de la pétrochimie contre leur gré. Pour cela, on a suffisamment de petit personnel pour interpréter les grimoires juridiques et en faire appliquer, d'autorité, les savantes exégèses.

Ces petites mains administratives manquent parfois de doigté, comme ce préfet venu en personne réquisitionner du personnel en grève à Grandpuits, au prétexte que le "non-fonctionnement" du site "entraînait des difficultés d'approvisionnement en carburant des points de distribution de la région Ile-de-France et en Seine-et-Marne". L'arrêté de réquisition précisait:

"La continuation de la grève est de nature à entraîner des troubles graves à l'ordre public (pénuries, émeutes…)"

Dans la soirée, ce même vendredi, le tribunal administratif de Melun a suspendu cet arrêté préfectoral estimant qu'il portait "une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève et que son exécution à ce titre doit être suspendue". Le juge adressait au préfet de Seine-et-Marne le reproche d'avoir eu la main trop lourde en réquisitionnant "la quasi-totalité du personnel de la raffinerie", ce qui "a eu pour effet d'instaurer un service normal". Cependant, il estimait, comme pour s'excuser de l'avoir prononcée, que "cette décision" ne devait pas faire obstacle aux pouvoirs du préfet, dans les limites prévues par la loi.

Autrement dit, le tribunal administratif de Melun reconnaissait que le préfet avait tenté par son arrêté de casser la grève des salariés de Grandpuits, par "une atteinte grave et manifestement illégale", mais que, somme toute, c'était peut-être bien son droit à lui, préfet, de casser les grèves, à condition qu'il le fasse avec suffisamment de tact.

Dans la nuit, un second arrêté de réquisition était rédigé à la préfecture de Seine-et-Marne, plus soigneusement que le précédent. Il ne requérait que 14 salariés grévistes à placer en situation de travail forcé. Le tribunal administratif n'a pas jugé cela excessif et n'a donc pas cassé cet arrêté.

Le juge des référés a relevé que "la pénurie existe" et que le nombre de 14 salariés qui ont été réquisitionnés ne paraît "pas disproportionné au point de porter atteinte au droit de grève".

Selon maître Gaétane Carlus, avocate de la CGT, le tribunal a estimé:

"Le fait que les points de distribution qui devaient être approvisionnés par les camions sortant de la raffinerie ne soient pas réservés uniquement aux services publics prioritaires n'est pas suffisant pour entacher l'arrêté d'illégalité."

Ce n'est probablement pas aujourd'hui, je le crains, que je vais (enfin) me sentir pénétré par l'esprit de nos lois...

Un sport de voyous, pratiqué par des gentlemen.
Déblocage de Grandpuits, le 22 octobre,
vu par Benoît Tessier (Reuters).


Le très populaire monsieur Jean-Louis Borloo, qui est peut-être en train de faire son stage de futur premier ministre (mais on s'en fiche pas mal), peut se réjouir de tout cela. Cela lui permet de maintenir, face à l'opinion, la douce fiction du "retour à la normale", histoire de casser doucement le moral des grévistes...

Très discret cependant, il a laissé à monsieur Brice Hortefeux le soin d'annoncer les nouvelles de reprise du travail dans les raffineries.

Sept raffineries sont encore en grève ce mardi. Le raffinage a repris à débit réduit à la raffinerie Esso de Fos-sur-mer, tandis que quatre autres assurent désormais l'expédition de carburant sans avoir repris le raffinage: la raffinerie de Reischstett (Bas-Rhin), celle de Port-Jérôme (Seine-Maritime), celle de Lavera (Bouches-du-Rhône) et celle de Grandpuits (Seine-et-Marne), cette dernière ayant été réquisitionnée en fin de semaine dernière.

Le Figaro, qui nous propose cet état des lieux, ne peut que reconnaître que "le redémarrage des opérations de raffinage dépend largement du déblocage de la situation au port de Marseille" et au terminal pétrolier du Havre, qui sont toujours en grève...

Ce qui fait que la fameuse "pénurie" dont il ne faut surtout pas parler - sauf au tribunal administratif -, elle plutôt devant nous...



PS: Aux voisins belges diversement solidaires, un grand merci.


LE TRANSPORT DE CARBURANT EN FRANCE VIA
LES VOIES NAVIGABLES FLAMANDES.

LA CGSP REFUSE DE COLLABORER
AU CONTOURNEMENT DES BLOCAGES.

La CGSP - Overheidsdiensten a reçu le tuyau selon lequel est prise en considération la piste visant à transporter du carburant en France via les vois navigables belges afin de contourner ainsi le blocage des raffineries françaises. La CGSP refuse d’y collaborer.

La CGSP - Overheidsdiensten est solidaire du combat justifié des syndicats français contre les plans de l’Etat français en matière de réforme des pensions.

Le blocage du carburant constitue dans ce cadre une arme importante pour nos camarades français. L’Etat français veut le casser en s’approvisionnant à l’étranger. Et il pense notamment à la Belgique pour le mazout et l’essence.

Si la CGSP - Overheidsdiensten devait constater la moindre collaboration de l’Agentschap Waterwegen en Zeekanaal (Agence des voies navigables et Canal maritime), elle appellera immédiatement à une interruption du travail sur l’Escaut et sur la Lys.

Hilaire Berckmans,
CGSP – Overheidsdiensten.


Ils peuvent toujours passer un soir à la maison, il y aura toujours quelques tartines et, promis, j'achèterai de la bière...

lundi 25 octobre 2010

Les amis de Georges

Comme tout le monde, monsieur Georges Frêche est beaucoup plus respectable mort que vivant.

Lui qui aimait beaucoup sa clientèle de "cons", reçoit aujourd'hui un hommage appuyé, et quasi universel, avec parfois une petite note de "malgré tout" placée en initiale ou en finale, selon goût.

En cherchant bien, on devrait y pouvoir retrouver une grande partie du catalogue...

Normal, puisque ce Georges-là aimait tous les cons,

"cons caduques ou cons débutants,
petits cons de la dernière averse,
vieux cons des neiges d'antan"

et tant d'autres...*

Et tous de reprendre comme un seul con, que notre grand homme voulait mourir en scène, comme Molière.

(En fait de mort glorieuse sur la scène politique, il aurait été emporté par une crise cardiaque alors qu'il était, dans son bureau, devant ces minables accessoires bureaucratiques du pouvoir: des "parapheurs".)

Si les cons respectent les morts, ils se croient autorisés à piétiner l'imaginaire des vivants. Pour moi, la Mort de Molière est majuscule, elle a été mise en scène par Ariane Mnouchkine, il y a plus de trente ans, et pour l'éternité qui me reste, sur l'air chanté par le Génie du Froid dans le King Arthur d'Henry Purcell, avec Philippe Caubère dans le rôle de Molière.**





* Soit: "les cons naissant", "les cons innocents", "les jeunes cons", "les cons âgés", "les cons usagés" et "les vieux cons".

** La musique, dans cette partie du film, est interprétée par le Deller Consort, sous la direction d'Alfred Deller. On y entend la voix du baryton Maurice Bevan.

vendredi 22 octobre 2010

Pris en otage

Pour tenir la cadence, monsieur Éric Woerth a demandé aux sénateurs de recourir à la procédure de "vote unique". Pour ce faire, il s'est appuyé sur "l'article 44-3 de la Constitution [qui] permet au gouvernement de demander aux assemblées de se prononcer par un vote unique sur les amendements qu'il a acceptés". Un spécialiste de Droit constitutionnel, si j'en connaissais un, pourrait sans doute m'expliquer en quoi cet article est indispensable au bon fonctionnement d'une démocratie parlementaire...

Ce matin, au réveil, j'ai pu entendre un journaliste de France Inter parler, non pas de "vote unique", mais de "vote bloqué". Je ne veux pas le dénoncer davantage, mais j'espère que la cellule de veille lexicale de Radio-France aura averti monsieur Philippe Val, et que celui-ci convoquera ce spiqueur pour lui faire savoir qu'il n'a pas été placé à cette heure matinale de la grille pour faire des jeux de mots antigouvernementaux ou antisarkozistes. Actuellement, et pour un certain temps encore, les mots "bloc", "bloqué" et "blocage" doivent renvoyer, dans les médias "propres et honnêtes", aux horreurs perpétrées par les ennemis de la démocratie. Monsieur Val pourra ajouter que, si son subordonné collaborateur tient à ses jeux de langage, il peut toujours faire rimer "blocage" avec "prise d'otage".

L'exemple vient du plus haut qui se puisse imaginer, le chef de l'État lui-même.

Voici ses propos, bruts de décoffrage, tenus hier à Bonneval (Eure-et-Loir), que le très stylé Figaro a transcrit :

Sur un ton ferme, le président a également dénoncé les blocages qui perturbent le pays. «On n'a pas le droit de prendre en otage des gens qui n'y sont pour rien», a vitupéré Nicolas Sarkozy. Et le président d'insister : «En prenant en otage l'économie, les entreprises et la vie quotidienne des Français, on va détruire des emplois. L'entreprise qui n'aura plus de fioul, qui n'aura plus de bitume alors qu'elle travaille dans les travaux publics, qui ne pourra plus avoir ses livraisons, elle va fermer. Et c'est encore une fois les petits qui vont trinquer pour les autres!»

Camion-toupie à colorier, en attendant.
(Vous trouverez d'autres coloriages
sur le site www.jedessine.com)

La thématique de la prise d'otage a toujours été et reste d'une affligeante médiocrité, tout juste digne, en effet, d'émouvoir un entrepreneur du BTP en attente de livraison. Cependant, malgré les nombreux témoignages dont nous disposons sur cette situation très particulière de privation de liberté qui est celle d'un(e) otage, elle est toujours utilisée avec autant de succès.

L'analogie est pourtant très faible.

Il me semble que, s'il y a un parallèle à établir avec notre quiète vie quotidienne, il faudrait plutôt le chercher dans certaines circonstances contraignantes de la routine du travail. Là dessus, nous disposons également de nombreux témoignages...

Que dire alors de la situation du travailleur obligé par la force de se soumettre à une réquisition ?

Qu'il est "otage" d'une certaine idée de la "démocratie" ?

Tiens, un vieux souvenir ou une prémonition...


PS: Avant de partir sur les routes pour une nouvelle tentative d'épuisement des réserves nationales de carburant, j'ai encore le temps de vous indiquer l'adresse de l'Intersyndicale C.G.T. / C.F.D.T de Grandpuits, qui lance un appel à la solidarité.

jeudi 21 octobre 2010

Racaille et caillasse

Par bonheur pour lui, et par malheur pour nous, la langue de monsieur Brice Horfefeux n'a pas trop fourché lors de sa visite triomphale à Lyon. C'est dommage, car son récent lapsus, partout célébré, était plutôt rassurant. L'entendre aborder, de manière si abrupte et si naïve, la délicate question des "empreintes génitales" nous donnait un aperçu inédit de l'encombrement de son inconscient, assez mal contrôlé par un surmoi pas si solide qu'il pouvait sembler. Il faudra songer à exercer une sorte de vidéo-surveillance sur son impensé.

Alors que, pour la troisième journée consécutive, des incidents avaient à nouveau éclaté dans le centre de Lyon, monsieur Brice Hortefeux s'est rendu sur place, accompagné d'un grand renfort de journalistes. Il a tenu, à l'hôtel de police, une réunion de travail sur les violences urbaines. Monsieur Gérard Collomb, maire de la ville, y voyant une simple "opération de communication", a refusé d'y participer. Quand il a le nez dedans, monsieur le maire comprend vite, mais un peu tard, dans quoi il a failli marcher.

Afin de bien montrer qu'il n'avait peur de rien, monsieur Hortefeux est allé se faire tirer le portrait dans la rue Victor Hugo, que je suppose être une voie commerçante visitée les jours précédents par les présumés "casseurs". Pour ce faire, il a, nous dit-on,"quitté l'hôtel de police de Lyon avec deux minibus de journalistes dans son sillage, direction la rue Victor Hugo". Et l'on précise que "Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, Philippe Cochet, député maire de Caluire, président de la fédération UMP du Rhône et le préfet du Rhône, Jacques Gérault l'accompagn[ai]ent".

Une sorte de bain de foule journalistique.
(Photo: Philippe Desmazes/AFP)

Selon Lyon Capitale, le ministre serait arrivé à 15h 20, rue Victor Hugo, et y aurait passé une dizaine de minutes. Ce même média note une présence imposante de forces de l'ordre dans le secteur depuis le début d'après-midi:

Une dizaine de camions de CRS, une voiture de la Brigade anti-criminalité et plusieurs voitures de police tournent actuellement autour de la Place Bellecour. Les jeunes manifestants et casseurs ont déserté le secteur pour se rendre au tribunal. Seuls quelques uns essaient de s'aventurer rue Victor Hugo, ils sont systématiquement fouillés par les gendarmes mobiles.

Ces précautions, qui relativisent le courage du ministre, n'empêcheront pas quelques cris du cœur, les "fasciste", "raciste" et "t'es pas le bienvenu ici !" que la presse a rapportés, les attribuant à une "dizaine de jeunes". Trois d'entre eux auraient été "interpellés sur-le-champ par les forces de police qui entouraient le ministre".

C'est peut-être alors que monsieur Brice Hortefeux a prononcé, sans trébucher, le message qu'il était venu délivrer à la jeunesse de la nation:

"La France n'appartient pas aux casseurs, aux pilleurs et aux caillasseurs. Elle appartient aux honnêtes gens qui veulent travailler paisiblement."

Pas de doute, cet homme-là sait parler aux (présumés) "jeunes".

mercredi 20 octobre 2010

Les recalés de banlieue

Au début de son éditorial du Figaro du 15 ou 16 octobre, monsieur Yves Thréard, journaliste contemporain, livrait généreusement à ses lecteurs cette profonde pensée: "imaginer qu'à 15 ou 16 ans, on pense déjà à l'automne de sa vie relève d'un mensonge soigneusement entretenu par quelques consciences adultes néfastes".

Et il poursuivait:

Cette malhonnêteté voudrait faire passer un chahut d'adolescents, comme il y en aura toujours quand l'occasion se présente et auquel s'agrègent immanquablement des recalés de banlieue en mal de casse, pour l'expression d'un malaise plus profond de la jeunesse française.

Monsieur Yves Thréard a dû relire ce bonheur d'expression, "recalés de banlieue", en se trémoussant sur son siège et en laissant s'épanouir ce sourire qu'il doit trouver aussi voltairien que son ironie...

Monsieur Yves Thréard,
recalé au concours du nœud de cravate.

Espérons pour lui qu'il échappera à la bastonnade...

Car, parmi les "recalés de banlieue", il en est de fort susceptibles.

Ainsi, j'ai appris récemment que, selon toute vraisemblance, un jeune homme très prometteur, originaire de la très proche banlieue ouest de Paris, aurait été "recalé" à ses examens de Droit. Pour en être informé, il m'a fallu lire un compte-rendu des bavardages de monsieur Édouard Balladur sur Canal+. Par bonheur, je suis un admirateur fanatique de l'onctuosité vocale de monsieur Balladur, et je ne manque jamais de lire ses sages propos. Et, sans vouloir me vanter, je les déclame à haute voix, et avec d'admirables flexions de la glotte.

A la question de savoir s'il conseillait au fils du chef de l'Etat d'arrêter ses études, en référence à de récents échecs à des examens rapportés par Le Parisien, Edouard Balladur a répondu "non au contraire!". "Il faut qu'il continue ses études", a-t-il ajouté. "Je le connais depuis qu'il a dix ans, même moins, c'est un garçon très intelligent et capable, et je pense qu'il devrait se concentrer pour terminer ses études et avoir une profession".

Et l'ancien premier ministre termine en élargissant son propos jusqu'à l'universel:

"Le conseil que je donne c'est 'soyez libre' et pour être libre, il faut que vous ayez vos arrières assurés, et une profession que vous puissiez exercer si d'aventure le suffrage ne vous est pas favorable."

On voit que ce jeune homme ne manque pas de judicieux conseils, bien que monsieur Balladur ait omis de dire qu'il fallait commencer à cotiser très jeune pour espérer toucher une retraite complète.

Conseil qu'il avait jadis donné au père du jeune homme.

Pour se faire pardonner ces fâcheuses allusions aux enfants non diplômés de la banlieue, le journal de monsieur Yves Thréard a publié hier des nouvelles bien rassurantes de monsieur Sarkozy junior. L'article de Jim Jarrassé, Jean Sarkozy défié sur ses terres électorales, à Neuilly décrit par le menu les aventures électorales du "jeune étudiant en droit, 24 ans", au sein du groupe UMP. Le grand reporter du Figaro en banlieue ouest semble penser que "le suffrage" lui sera "favorable".

Le Figaro est peut-être consulté par des diplômés des autres banlieues, car on peut trouver, à la suite de cet article quelques commentaires du type "Passe ta licence d'abord !"

Ce qui est bien mesquin, je trouve...

mardi 19 octobre 2010

Démocratie essentielle

Un grand cri d'espoir a salué, dans la journée d'hier, l'annonce de "l'activation du centre interministériel de crise", chargé, sous la houlette du ministre de l'Intérieur, "de coordonner l'action des différents services de l'État visant à assurer la pérennité du ravitaillement en carburant".

Moi aussi, j'ai été rassuré.

Surtout en constatant que le CIC a reçu une mission ambitieuse. Son rôle aurait pu être d'assurer la "continuité" de l'approvisionnement en carburant. Mais non, il doit faire beaucoup plus, et instaurer la "pérennité" de cet approvisionnement. Vue à la modeste échelle d'une vie humaine, "pérennité" sonne un peu comme "éternité", je trouve.

Et ça me rassure beaucoup, car l'éternité, c'est rassurant.

(Et puis, je me demande si monsieur Sarkozy va employer à nouveau, dans sa prochaine déclaration à la nation, ce bel adjectif de "pérain" qu'il avait inventé comme masculin de "pérenne" au cours de sa campagne électorale...)

Hier soir, le CIC prouvait son sérieux en communiquant :

"Sous l'effet d'achats de précaution et de difficultés d'acheminement liés aux mouvements sociaux, des tensions d'approvisionnement sont constatées dans plusieurs départements."

Il annonçait également:

"Parallèlement aux déblocages des dépôts pétroliers, un plan d'acheminement des carburants sera mis en œuvre, dès la journée de demain, en étroite liaison avec les professionnels de la distribution, afin d'approvisionner les départements les plus concernés."

J'espère que le sous-fifre qui a trouvé l'expression "tension d'approvisionnement" peut espérer une promotion...

Image véritablement poignante
d'un automobiliste qui a oublié de faire le plein.


De Deauville, où il s'est exilé pour une rencontre France-Russie-Allemagne, monsieur Nicolas Sarkozy a fait part de sa détermination à mener à bien la réforme des retraites, et il en a profité pour compléter le tableau mirobolant des caractéristiques essentielles de la "démocratie parlementaire", œuvre qu'il peaufine depuis son entrée en candidature:

"Il est parfaitement normal et naturel que ça crée des inquiétudes et des oppositions", a-t-il poursuivi. "Mais c'est normal aussi et naturel qu'un gouvernement démocratique, dans une démocratie parlementaire, s'assure que les automobilistes trouveront de l'essence et qu'il n'y aura pas d'affrontements, parce que dans une démocratie, l'affrontement n'est jamais quelque chose de positif".

L'essence pérenne de la démocratie, c'est le super.

Un gréviste de Grandpuits en train de prendre la France en otage.

Je ne suis pas assuré, dubitatif que je suis par nature, du caractère démocratique de la réquisition qui a été faite, ce dimanche, par le préfet de Seine-et-Marne, de salariés grévistes afin de "servir" des clients (privés) de la raffinerie Total de Grandpuits.

L'arrêté a été pris en vertu du Code général des Collectivités territoriales (CGCT) qui dispose que "lorsque l'atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l'exige", le préfet peut "réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service (...)". (AFP)

Il ne me semble pas si aisé de s'entendre démocratiquement sur les contours de ces notions très vagues de "bon ordre", "salubrité", "tranquillité" et "sécurité" publiques. Je n'en débattrais pas, à l'occasion, avec monsieur le préfet - car j'ai assez à faire avec mon beau-frère -, mais les barrages qui se tiennent, ici ou là, et de manière intermittente, devant les dépôts de carburant ne me paraissent pas vraiment contrevenir à ces quatre exigences... Les syndicalistes qui organisent ces blocages sont des gens raisonnables, et même, cela pourrait rassurer nos politiques, "responsables", et se conduisent en dignes héritiers de la grande tradition ouvrière de respect de l'outil de travail. Quant à réquisitionner du personnel en grève pour faire face aux livraisons des services d'urgence, comme cela a été fait à Grandpuits aujourd'hui, il s'agit d'une mesure quasiment inutile: tant que les cuves peuvent débiter, ces services sont approvisionnés.

Devant les dépôts, on s'installe, puis on s'en va, et on revient... Le terminal Rubis, au Grand-Quevilly, près de Rouen, est un bon exemple de ce petit jeu stérile mené par les autorités - stérile parce les raffineries sont à l'arrêt. Dégagé samedi matin, il a été à rebloqué hier, et débloqué ce matin à l'aube. A 14h 16, Paris-Normandie annonçait brièvement qu'il était "à nouveau bloqué par une trentaine de manifestants", et à 17h 30, que "le boulevard maritime [était] bloqué depuis 16h30 à la hauteur du terminal Rubis à Grand-Quevilly par 200 grévistes qui bloqu[aient] l'accès aux réserves de carburant".

Peut-être y sont-ils encore, peut-être ont-ils été délogés...

S'ils y passent la nuit, il y aura encore, autour des feux de palettes, de larges discussions, de bonnes rigolades et de grandes engueulades, essentiels carburants de la démocratie réelle.

lundi 18 octobre 2010

Du côté des poids lourds

Un peu après 19h, hier soir, comme je rentrais d'une réunion familiale, en poussant au surrégime le moteur de ma quatrelle - car, on me l'a dit, il n'y a aucune risque de pénurie de carburant -, j'ai pu entendre à la radio un bulletin d'information où l'on donnait la vedette aux déclarations d'un de nos plus grands montres sacrés, qui est aussi, selon certains, un sacré "sac à vin".

Depuis Abou Dhabi, monsieur Gérard Depardieu s'exprimait sur le mouvement d'opposition au projet de réforme des retraites.

Sans doute a-t-il préféré nous dispenser son avis depuis un pays où la vente d'alcool est probablement très contingentée, afin que personne ne puisse le soupçonner de n'être pas à jeun...

J'ai pu constater que, si la diction du célèbre acteur était (médiocrement) distincte, les articulations de sa pensées étaient pour le moins flottantes:

"Ce qui se passe aujourd'hui en France est ridicule. Il s'agit d'une manipulation de la part des syndicats."

Ensuite, soulignant qu'à quinze ans, lui, il pensait à vivre et pas à la prendre une retraite, il se glissait, avec un incontestable talent, dans la peau du classique "vieux con", laquelle lui allait comme un gant.


Un autre de ses meilleurs rôles: celui du cochon-truffier.
(Photo: Cyril Combe/SIPA)

Les opinions de monsieur Gérard Depardieu, en quelque domaine que ce soit, ne m'émeuvent pas outre mesure. Comme aurait pu le dire monsieur Jacques Chirac s'il avait eu le moindre intérêt pour la danse de salon, ses avis peuvent toucher l'une de mes valseuses sans empêcher l'autre de continuer à danser le tango.

Mais j'ai tout de même été un peu surpris de trouver, une fois revenu devant mon écran, ses propos en troisième position de la page d'accueil du site d'un quotidien qui se préoccupe beaucoup de la représentativité des manifestants... Or monsieur Depardieu, il me semble, ne peut représenter que lui-même. Certes, il s'agit d'un personnage à l'épaisseur indéniable, mais la légitimité démocratique n'est pas affaire de poids.

Les événements de ce jour, où les chauffeurs routiers "entrent en scène", montrent assez à quel point ce coup de projecteur sur l'ancien rebelle qui a su si mal grossir était d'une pertinence rare dans la "hiérarchie de l'information"...

samedi 16 octobre 2010

Un autre rendez-vous mardi prochain

J'ai déjà consacré six billets de ce blogue à l'expulsion d'Ardi Vrenezi vers le Kosovo. Je le devais, il me semble, en mémoire des rires interminables partagés avec ces "canards boiteux" qui m'ont appris tant de choses sur le handicap.

Malgré l'acharnement administratif auquel il doit faire face (voir ici, et là, et là encore), le comité de soutien local à Ardi et sa famille continue de se battre.

Avec l'appui de l'Association des Paralysés de France (APF), le collectif multi associatif Handas, le Réseau Education sans Frontières (RESF), la Ligue Des Droits de l'Homme (LDH), Handicap International France, la Cimade, l'Observatoire du Droit à la Santé des Etrangers (ODSE), il organisera un rassemblement le mardi 19 octobre, à partir de 10h, place du Président Edouard Herriot à Paris (Métro Assemblée Nationale).

Un reportage, effectué récemment par le journaliste Franck Seuret, sera diffusé pour rendre compte du quotidien d'Ardi et rappeler ses conditions d'expulsion.

Photo de Franck Seuret.

Une invitation a été adressée à messieudames les parlementaires. On peut y lire:

Aujourd'hui, le constat est grave : Ardi ne peut toujours pas bénéficier d'une prise en charge et de soins adéquats au Kosovo. Son état de santé se dégrade chaque jour davantage. Sa vie est en danger !

Les associations sont en désaccord total avec la position de la préfecture de Moselle d'après laquelle Ardi a des soins sur place. Cela a été infirmé par les médecins et des contacts aux Kosovo : les soins et médicaments sont inexistants ou inaccessibles.

Malgré un contact avec Bernard Kouchner en août dernier, et l'apport de médicaments par le gouvernement, l'état de santé d'Ardi s'est aggravé et les médicaments envoyés sont devenus inopérants.

Les associations demandent donc une enquête parlementaire indépendante pour analyser cette situation inacceptable, d'autant que depuis 1998, la loi protège les malades atteints de pathologies graves contre les expulsions et leur permet d'avoir un titre de séjour.

Y aller ne vous empêchera de vous rendre à la nouvelle manifestation prévue pour s'opposer à la réforme des retraites...

vendredi 15 octobre 2010

La grande défonce

Comme le professaient mes bons maîtres, pour éviter les jugements hâtifs, il faut savoir rester dubitatif.

Alors, je suis dubitatif.

Mais il me semble que le cynisme de certains "responsables" politiques n'est pas loin de se satisfaire d'apprendre que deux lycéens ont été sérieusement blessés, ce mardi à Caen, et ce jeudi à Montreuil, présumément par de présumés membres des présumées forces du présumé ordre.

D'abord, comme dit mon boucher quand je lui fais remarquer qu'il me fait la pesée du bourguignon au prix du faux-filet, "y a pas mort d'homme, heu, heu...". Et cela montre bien que nos matraqueurs assermentés sont bien équipés d'armes non létales, qui demeurent non létales même utilisées sous des angles que l'on soupçonne être à peine réglementaires - car le règlement ne prévoit pas, tout de même, qu'elles servent à défoncer des crânes ou défigurer des visages.

Ensuite, ces deux accidents ou incidents, selon l'appréciation du locuteur, pourront servir d'exemples des dangers, maintes fois mis en avant ces derniers jours, qu'il y a pour "la jeunesse de France" à participer à des manifestations sur la voie publique. A défaut de pouvoir convaincre les moins de 25 ans à rester dans les jupes de leur maman, on peut espérer que cela pourra au moins flanquer une bonne trouille à ces petit(e)s salopiaud(e)s. Il ne sera pas inutile d'accompagner ces considérations d'ouvertures d'enquêtes confiées à la "Police des polices", d'une suspension de l'usage des flash-balls en Ile-de-France (sauf cas de "légitime défense") ou de recommandations ministérielle attirant l'attention des forces de l'ordre sur "la nécessité d'être particulièrement vigilant sur les conditions d'intervention et de limiter l'usage de la force au strict nécessaire".

Enfin, les commentateurs vont pouvoir broder avec brio sur la responsabilité des "irresponsables". Il suffit de lire quelques unes des notules qui accompagnent les articles consacrés à ce sujet par d'estimables quotidiens. On y constate que "ça leur apprendra à aller faire les marioles devant les flics au lieu d'aller tranquillement en cours". On s'y interroge sur ce qu'ont dans la tête les parents qui laissent leurs gamins traîner dans les manifestations. On y peste contre ces "profs incapables qui ne savent même pas tenir leurs élèves en classe". On y invective les syndicalistes de tout poil qui poussent les jeunes à les rejoindre, et l'on n'oublie pas de déverser diverses insanités sur mesdames Aubry et Royal, qui, en plus d'être membres de l'opposition, sont également, cela n'échappe pas à nos vomisseurs et cela les inspire, des femmes.

Pas de doute, l'opinion arrive à suivre... Suffit d'être assez simpliste.

Ce casse-tête est probablement autorisé,
mais fort peu utilisé par les forces de l'ordre.

Je n'ai pas vérifié, mais il est possible que madame Voynet en prenne elle aussi "fidèlement sa part". Intervenant hier, vers 15h, au Sénat, elle s'est adressée directement à monsieur Éric Woerth, représentant du pouvoir, à propos des événements survenus le matin même devant le lycée de Montreuil:

Lacrymogènes, fumigènes et puis, en toute incompréhension, des tirs de flashball et un enfant blessé, encore, au visage, ce matin. Un enfant de 16 ans, avec 3 fractures sur le visage... Alors j'ai bien compris que vous cherchiez à faire porter sur la gauche la responsabilité de troubles que votre aveuglement et votre surdité seuls expliquent. J'ai bien compris que vous étiez en difficulté face à la rue, face à la légitimité des manifestations.

Monsieur le ministre, on pourrait comprendre, on pourrait tomber d'accord sur le fait que c'est d'abord aux adultes de lutter pour leurs retraites. on pourrait tomber d'accord sur le fait que ce sont là des préoccupations bien lourdes pour de jeunes adolescents.


Mais je vous pose la question en vous montrant la balle reçue par ce jeune de 16 ans : le pouvoir est-il à ce point fébrile qu'il en soit réduit à ce genre de provocation ? Que vaut donc un pouvoir politique et quelle est sa légitimité quand il en est réduit à tirer sur ses enfants?


La vidéo de cette intervention est disponible sur wat-point-tv. Elle comporte aussi la non-réponse assez simpliste de monsieur Woerth.

(Actuellement, le lycéen blessé est toujours en attente à l'hôpital Lariboisière, où il ne pourra être opéré que lorsque l'œdème de son visage massacré sera suffisamment résorbé... )

Cette arme non-létale n'est pas autorisée,
mais on peut aisément en reproduire les effets.

Le jeune homme de 19 ans qui, mardi, "en marge des manifestations" caennaise, a été blessé à la tête après un tir de grenade lacrymogène, a été opéré durant cinq heures:

Selon le père de la victime, le jeune homme a été "durement touché en plein milieu du front. (...) La boîte crânienne a été enfoncée sous le choc, et les parties osseuses ont déchiré la dure-mère". Selon lui, les chirurgiens ont dû "ouvrir la boîte crânienne, réparer la dure-mère et poser une plaque de substitution".

Thierry Lepaon, délégué régional CGT, le jeune homme aurait été touché à la tête par "une cartouche à la suite d’un tir tendu de bombe lacrymogène".

"Il n'y a pas eu de tir tendu car ceux qui lancent des grenades ont devant eux une rangée de policiers. S'ils tirent tendu, ils touchent des policiers. Il n'y a eu que des tirs en cloche, conformes à la réglementation", a répondu Ilham Montacer, directrice de cabinet du préfet de Basse-Normandie.

On a tous remarqué, lors d'un tir de lacrymogène, que la rangée de policiers placée devant le tireur récitait, en chœur, les points du règlement.

"Vous aviez 2.000 manifestants, dont 400 particulièrement virulents parmi lesquels une cinquantaine de cagoulés. Les 60 policiers mobilisés étaient pris en sandwich", a justifié la directrice de cabinet. Au terme des affrontements, qui ont duré une heure, un gendarme a été "fortement commotionné mais pas blessé" par un pétard qui a explosé au niveau de son visage.

Elle ne précise pas si le policier a tenté de fumer le pétard en question.

Cigarette-pétard de fabrication auvergnate,
peut-être en cours d'interdiction, je ne sais pas.


Il est possible que je me trompe, mais il me semble que, mardi soir et mercredi matin, les médias ont été assez discrets sur cet incident ou accident de tir.

En revanche, on nous a beaucoup parlé des mésaventures de journalistes tabassés au passage par les forces de l'ordre dans les environs de la place de la Bastille, et on nous a fait tourner en boucle le spectacle de monsieur Thierry Vincent, journaliste d'investigation à Canal+, haranguant pathétiquement une rangée de CRS en brandissant sa carte de presse.

Ce monsieur a suffisamment occupé la scène médiatique, tout le monde connaît maintenant son histoire, et il a si bien fait son cinéma que tout en mettant le mot "matraquage" entre guillemets, la préfecture a saisi de son cas la "Police des polices" - qui mérite elle-aussi des guillemets.

Ce qui reste assez curieux de sa part est la volonté de minimiser ses aventures de héros de l'information jeté à terre par des coups de matraque:

"C'est scandaleux ce qui s'est passé, mais je ne veux pas tirer de généralités. Et puis comme événement c'est pas grave non plus... Il se passe des choses bien plus importantes dans le monde. Je ne veux surtout pas devenir le porte-drapeau de je-ne-sais-quelle-cause."

Monsieur Thierry Vincent a décidé de ne pas donner suite...

Les esprits curieux pourront trouver sur la page de JBB - qui n'a probablement plus de carte de presse, mais est un vrai et excellent journaliste - la relation d'une conversation en deux temps entre notre encarté et notre JBB, qui se termine sur cette déclaration d'intention:

"Tu comprends, moi, je fais ça pour protéger les manifestants. C’est pour vous protéger que je brandis ma carte de presse."

Ce que JBB commente avec une remarquable concision:

Mouais... Fin de l’échange.

Quand on est "le porte-drapeau" des faux-culs, il est difficile d'être celui de "je-ne-sais-quelle-cause" qui pourrait être, par exemple, le droit de manifester, avec ou sans carte de presse, sans se faire allègrement défoncer le portrait.


PS: Glané dans le fil du NouvelObs:

18h15 – Paris Alliance, second syndicat de police des gardiens de la paix, évoque des "scènes de guérillas urbaines" lors des dernières manifestations de jeunes, et demande que les autorités leur donnent "des moyens nécessaires" afin de pouvoir maintenir l'ordre.

jeudi 14 octobre 2010

Tarnac et Tarnac

Monsieur Richard Millet, écrivain pour qui, nous dit-on sur sa notice ouiquipédia, le plateau de Millevache est ce qu'était le comté de Yoknapatawpha pour Faulkner, vient de publier un récit intitulé sobrement Tarnac. Son éditeur (Gallimard, L'arpenteur, 2010) livre l'argument de ces 88 pages:

Sous le nom de Tarnac, le village de son père, dans le haut Limousin, un futur comptable devient un expert en matière d'art, à quoi il ne connaît rien mais que son assiduité maladive aux vernissages rend plausible. Il devient célèbre. Il existe sans exister. Il aime la boisson, l'amour et, plus que tout, la netteté des chiffres.

Il est probable qu'en choisissant ce village, notre auteur ait voulu nous rappeler qu'il se souciait fort peu des contingences événementielles de cette époque où la "maudissure" l'a condamné à vivre.

On peut cependant se réjouir en pensant que la cellule de veille littéraire que monsieur Alain Bauer a dû mettre en place au ministère de l'Intérieur, ou dans tout autre lieu plus ou moins ombragé, a pu, à cette occasion, accéder à l'œuvre de cet "héritier de la grande prose française «de Bossuet à Claude Simon»". Cela a dû les changer des notes de service et des brûlots de l'ultra-gauche. (*)

Bonne Fontaine St-Georges, à Tarnac.

Il y a parmi nous des gens pour qui le nom de Tarnac évoque d'abord une affaire symptomatique des errements récents d'un pouvoir aux rêves autoritaires. Ceux-là pourront s'abreuver à d'autres sources que celles de cette littérature. Cela ne manque pas, et les bibliothèques devraient continuer à s'étoffer... Car l'étude de cette affaire ne fait que commencer.

Ainsi, le lundi 18 octobre, à l'Assemblée Nationale, se tiendra un colloque intitulé Lois anti-terroristes 25 ans d'exception / Tarnac, un révélateur du nouvel ordre sécuritaire. En voici la "note de positionnement":

L'affaire dite de Tarnac a fonctionné comme un révélateur du nouvel ordre sécuritaire : au nom de la lutte antiterroriste, l'Etat s'affranchit de principes élémentaires du droit et des zones grises apparaissent au cœur même des institutions régaliennes, dans la justice, dans la police. Des « affaires » sont instrumentalisées comme faire-valoir d'une politique aux objectifs inavoués. Cette construction d'une « terrorisation démocratique » , pour reprendre l'expression d'un essayiste, s'appuie sur un arsenal législatif mis en place progressivement depuis 25 ans. Les attentats du 11 septembre lui ont donné une nouvelle légitimité avec comme matrice le « Patriot Act » qui autorisait les autorités américaines à appliquer sur leur territoire la notion de guerre préventive contre le terrorisme. Les États européens ont suivi peu ou prou ce modèle adoptant des lois successives en se libérant des contraintes de leur propre ordre juridique traditionnel et démocratique.

Le cas de Tarnac a montré comment en utilisant la dramatisation de situations n'ayant pas de liens évidents, la stigmatisation d'une mouvance créée de toute pièce pour l'occasion « la mouvance anarcho-autonome » en disqualifiant les acteurs de cette prétendue mouvance, en multipliant les intimidations, en exigeant des autorités policières et judiciaires une culture du résultat , on pouvait criminaliser durablement non seulement des hommes et des femmes engagés mais qui plus est leur pensée même. Nous sommes tous concernés par ce glissement progressif, sémantique, législatif, policier qui est en train de mettre en place une société de surveillance généralisée. Si la société doit évidemment répondre à la question terroriste, elle ne doit en aucun cas permettre que les outils dont elle se dote ne s'affranchissent des valeurs qui constituent les fondements de la démocratie. Lorsque l'exception devient la règle, la frontière devient ténue entre un régime démocratique et un régime autoritaire. Lorsque l'on vit dans une période de crise globale, le pouvoir, à la recherche de boucs - émissaires, a tendance à utiliser les procédures d'exception pour stigmatiser et condamner médiatiquement et socialement des groupes d'individus.


À la lumière de ce qui s'est passé dans l'affaire de Tarnac, le colloque à l'Assemblée nationale co-organisé deux ans après les faits, par des parlementaires de plusieurs sensibilités, permettra avec des intellectuels, des juristes, des grands témoins, des élus, des avocats, de faire un état des lieux, de recontextualiser l' « affaire » en la replaçant dans l'histoire des lois d'exception, et enfin d'éclairer des pistes pour que nous ne connaissions plus de telles dérives.


Tous les détails sur le programme et les inscriptions sont sur cette page du site Fragments du visible.

Cliquer pour accéder à la page d'accueil du site.



(*) Incise digressive déguisée en note de bas de page:

J'espère que monsieur Alain Bauer a fait étudier de près par sa cellule de veille le très curieux petit ouvrage de Mathias Énard, illustré par Pierre Marquès, paru aux éditions Verticales en 2007 et intitulé Bréviaire des artificiers. Le sous-titre de ce livre aurait dû alerter les services de la lutte anti-terroriste:

manuel de terrorisme à l’usage des débutants
indiquant les conditions de temps et d’argent
pour y parvenir, les études à suivre, les examens
à subir, les aptitudes et les facultés nécessaires pour
réussir, les moyens d’établissement, les chances
d’avancement et de succès dans cette profession,
le tout illustré de planches et de figures, enrichi
d’exemples et d’interludes divertissants, propres
à délasser l’âme dans l’étude.

La duplicité des auteurs allait jusqu'à les inciter "à décliner toute responsabilité quant aux conséquences esthétiques, politiques ou digestives liées à la mise en pratique des conseils ici recueillis", à préciser que "toute ressemblance avec des personnes présentes ou à venir serait certes surprenante, mais pas impossible" et à réserver les droits de leur ouvrage, "y compris pour l'URSS".

Cet utile bréviaire vient d'être réédité dans la collection folio/Gallimard. Bonne occasion de se pencher sur un texte alerte, intelligent et rigolard, joliment accompagné d'illustrations à l'académisme décalé.

Dessin de Pierre Marquès.


mercredi 13 octobre 2010

Une vie sans importance

Hier, au lieu de rejoindre la grève et les cortèges, nos élus ont continué leur sale boulot législatif:

Les députés ont adopté le projet de loi sur l'immigration, mardi 12 octobre, par 294 voix contre 239. Le groupe UMP a globalement voté pour, à l'exception de douze de ses membres, dont le député des Yvelines Etienne Pinte. Le groupe du Nouveau centre (NC) s'est divisé entre votes pour et abstentions. Les groupes de gauche, qui ont mené bataille contre ce projet, ont voté contre.

Monsieur Éric Besson peut être content de lui, et de ceux qui ont soutenu, amendé et durci son projet. Au nom de la loi, et un peu plus aisément, on pourra continuer à broyer des vies sans importance.

Des femmes, des hommes, des enfants, moins importants que du bétail.

Quelle importance peut bien avoir la vie de Skiffter, cet enfant de 6 ou 7 ans séparé de sa mère a été expulsée mercredi dernier vers le Kosovo ?

Aucune, puisque ses parents sont des "clandestins".

D'ailleurs son histoire est si peu intéressante que les médias ne l'ont pas relayée. Je n'ai pu la découvrir que grâce à la vigilance de Napakatbra (Les mots ont un sens) qui signalait, dans sa revue de presse/web de lundi, un article de Lyon Capitale. Restait à consulter la page du RESF 69, pour essayer d'y voir un peu plus clair. LibéLyon n'a pas été informé, ou n'a pas cherché à l'être...

Les parents de Skiffter sont des Albanais du Kosovo, pays qu'ils ont quitté parce qu'ils y risquaient leurs vies. Leur fils est né en Allemagne, peu de temps avant leur arrivée en France en 2003. Il est maintenant scolarisé à l'école Michelet, dans le 2e arrondissement de Lyon. Il ne faut pas cacher qu'il a des difficultés, mais il faut aussi souligner qu'il va à l’école régulièrement et qu'il est suivi en orthophonie.

Le père et la mère ont tous deux besoin de soins médicaux. Monsieur Berisha, notamment, est atteint d'une maladie qui nécessite un traitement lourd et inaccessible au Kosovo. Malgré cela, toutes les demandes de titres de séjour pour raison de santé ont été refusées.

En septembre, Nusrete Berisha a été arrêtée avec son fils, et ils ont passé 48 heures au Centre de rétention de Lyon. Un juge des Libertés, empêcheur d'enfermer en carré, a ordonné leur libération, mais la préfecture a fait appel de cette décision. Cet appel devait être examiné le 7 octobre. Le 22 septembre, la police est venue arrêter Nusrete à son domicile pour la reconduire au CRA, mais, cette fois, sans son fils. Et comme si la préfecture avait voulu prendre de vitesse la cour d'appel administrative, madame Berisha a été expulsée le 6 octobre...

Selon le compte-rendu de RESF:

L’expulsion a eu lieu malgré les conclusions du rapporteur de la République - que l'avocate a pu consulter dès mercredi après l'expulsion et qui sont favorables à Madame Berisha puisqu'elles estiment que la préfecture "a fait une erreur substantielle en rendant une ordonnance illégale et qu'en conséquence, il devait y avoir injonction faite de délivrer des cartes de séjours au couple Berisha".

Le 7 octobre, "Skiffter et son père étaient présents à l'audience, sous la protection de parents d'élèves et de plusieurs personnes de RESF. Le rapporteur de la République a demandé l'annulation des procédures prises à l'encontre des deux parents, l'attribution d'une autorisation provisoire de séjour, et le réexamen du dossier sous deux mois".

(Il faut maintenant attendre la décision du tribunal.)

Parmi les parents d'élèves, était peut-être présente Véronique qui a tenté d'alerter les "journalistes lyonnais" en leur envoyant un mail, et qui a fini par susciter l'article de Lyon Capitale - où l'on peut constater, à lire les commentaires, que le troll lyonnais a le cerveau aussi consistant que la quenelle locale.

Elle y pose cette question:

Que répondre à un enfant qui cherche le soir des montagnes pour cacher son copain ?

A vrai dire, je ne sais pas...

Mais je me vois mal dire à cet enfant que tout cela n'a vraiment aucune importance.