mercredi 29 juin 2011

A l'Alcazar, ils n'iront pas

Depuis 1998, le groupe Échelle Inconnue, fondé par l'architecte et scénographe Stany Cambot, mène un travail plutôt singulier :

Le travail, qui se définit avant tout contre les architectes, les urbanistes, les sociologues, et tous les faiseurs de ville, se met en place sous la forme d’expériences longues (un an et demi en moyenne) avec différents groupes de population. Il vise à interroger, ou mettre en doute, les mots et concepts carrés, que le pouvoir utilise pour « penser la ville », à travers la pratique et la parole de ceux qui n’y trouvent visiblement pas leur place (sans-abri, gens du voyage, jeunes adultes des cités périphériques ou encore alter mondialistes...)

(...)

Ces travaux au long court, qui empruntent la méthodologie de l’université populaire, consistent en l’installation d’atelier dans des lieux de vie (foyer, terrain d’accueil, mètres carrés sociaux, village de contre sommet). Les moments de visibilité de ce travail prennent la forme d’interventions dans l’espace public et constituent une volonté de réinjection du travail dans le «problème» (...).

Actuellement, et depuis à peu près cinq ans, les interventions d’Échelle Inconnue s'articulent essentiellement autour du projet Smala, élaboré par Stany Cambot dans le prolongement de travaux sur les "urbanismes combattants". Centré sur le plan de la capitale nomade conçue par l’Émir Abd el Kader "pour et dans la guerre contre la colonisation française de l'Algérie au XIXe siècle", le projet en cours entend le redessiner pour interroger la/les ville(s), en commençant par celles "où son «architecte» Abd el Kader fut emprisonné". Des résidences se sont ainsi déroulées à Pau, Bordeaux, Lyon et celle de Toulon/La Seyne sur Mer est en cours.

La résidence de Marseille, qui s'est tenue de janvier à septembre 2010, devait se prolonger par une exposition et un cycle de conférences à la bibliothèque de l'Alcazar à Marseille. Pour les annoncer, Échelle Inconnue avait conçu une affichette sobre et clairement informative :


Ce matin encore, le site du réseau des bibliothèques de Marseille annonçait exposition et conférences.

On pouvait y apprendre que l'exposition serait installée "du 28 juin au 2 juillet dans l'allée centrale", et les deux conférences prévues étaient laconiquement introduites :

Récit d'expériences
Comment le projet Re-dessiner le plan de la Smala d'Abd el Kader a-t-il résonné dans une ville comme Marseille ? Ce que chercher un possible schéma exotérique musulman d'une ville construite au XIXe révèle d'une ville d'aujourd'hui.

Par Stany Cambot, initiateur du projet et fondateur d’Échelle inconnue.


Et

L'islam au prisme de la République
Les rapports de l'Islam et de la République se révèlent souvent à nous comme une tension permanente entre le principe du libre exercice du culte et la tendance à vouloir rendre la religion plus compatible avec l'idéal républicain.

Une conférence par Franck Frégosi.


Ce soir, on n'y trouve qu'un court avis d'annulation, quelques excuses et aucune explication...

L'explication, la voici, ainsi que les dispositions qui ont été prises par le groupe Échelle Inconnue :

En réponse à la censure, le groupe Échelle Inconnue quitte la bibliothèque et installe son exposition dans les rues de Marseille

En réaction à la censure de l'un de ses supports de communication par les services de la mairie de Marseille, le groupe Echelle Inconnue annonce l'annulation de l'exposition « Marseille, schéma exotérique musulman », et des conférences associées prévues du 28 juin au 2 juillet 2011 à la bibliothèque de l'Alcazar.

A la tentative de limiter la visibilité de notre travail dans l'espace public, nous répondons par une visibilité encore plus grande et déplaçons notre tente/exposition dans les rues marseillaises, à compter du 1er juillet. Nous renouons ainsi avec une des questions centrales de ce travail : celle de la tente, du nomadisme comme forme d'intervention urbaine et politique.

Depuis 2006, nous, Échelle Inconnue, laboratoire d'art urbain, menons un projet prenant pour centre la Smala (capitale de tentes de l'Algérie au XIXe siècle) pour interroger les urbanités contemporaines.

Depuis plus d'un an, nous interrogeons la place de l'islam dans la ville avec des habitants de Marseille et des chercheurs. A chaque entretien ou presque, est revenue la question du rejet hors de l'espace public des signes visibles de l'islam, celle du nomadisme imposé à ces derniers, ainsi que celle du jeu de visibilité/invisibilité produit par la relation plus qu'ambivalente des autorités à cette question.

Tout est normal donc quand, à quelques jours de l'exposition et des conférences sur ce thème, nous découvrons que la direction de l'Alcazar, censée nous accueillir, a remplacé l'affiche originale représentant le pictogramme d'une mosquée (que l'on serait bien en peine de trouver sur un plan de Marseille) par une « affichette » proche du menu de cantine. Tout est normal donc, la même crispation esthétique maintes fois entendue au cours des entretiens, conduit au même refus d'une possible visibilité de cette question, fut-elle artistique, dans l'espace public.

Dans ces conditions, annuler notre exposition pour la transporter dans l'espace public, là où elle pourra donner à entendre les paroles que nous avons recueillies, s'est imposé comme une évidence. Seul ce nomadisme urbain et choisi peut rendre à ces témoignages la liberté et la visibilité que l'espace censé les accueillir voulait leur retirer. Notre tente sonorisée présentant les conclusions de cette recherche participative (créations sonores et cartes manquantes de Marseille) s'affichera et se déplacera donc dans la ville même, du vendredi 1er au mardi 5 juillet.

Nous invitons, journalistes, chercheurs, militants et citoyens, que la question de la place de l'islam dans la République en général - et de son invisibilité à Marseille en particulier - intéresse à nous retrouver dans les lieux suivants : le 1er juillet de 10h à 14h face à l'Hôtel de ville, puis, de 13h30 à 18h, le 2 juillet place du Colonel Edon (au pied de Notre dame de la Garde), le 4 juillet place des abattoirs (face au site de la future grande mosquée), le 5 juillet face à la bibliothèque de l'Alcazar. Les conférences de Stany Cambot (Echelle Inconnue) et de Franck Frégosi (CNRS) seront retransmises par Radio Grenouille (88.8 FM ) le 16 juillet à 10h.

Un point presse est organisé le 1er juillet à 11h en face de l'hôtel de ville. L'exposition « Marseille, schéma exotérique musulman » s'inscrit dans le cycle de travail sur la Smala d'Abd el Kader, initié en 2006 par Echelle Inconnue et qui s'est déjà déroulé dans plusieurs villes de France, la Seyne sur mer, Pau, Bordeaux, Lyon et Marseille où il a donné lieu à une intervention urbaine au plan d'Aou en 2010. « Smala » est un projet pluridisciplinaire, alliant l’architecture et la création numérique, fondé sur une démarche participative, qui interroge les urbanités contemporaines.

Pour en savoir plus sur le projet et suivre l'itinéraire de la tente « Smala » rendez-vous sur : www.journal-smala.org

PS : Le site de Radio Grenouille est à l'adresse http://www.radiogrenouille.com, comme ça se prononce...

mardi 28 juin 2011

Sacrés mensonges et statistiques

Parmi les lieux communs que l'on profère ici ou là sur les statistiques, histoire de bien montrer que l'on n'est pas dupe, figure cette phrase attribuée à Benjamin Disraeli :

"There are three kinds of lies : lies, damned lies, and statistics."

(Il y a trois sortes de mensonges : des mensonges, de sacrés mensonges, et les statistiques.)

Introuvable, à ce que l'on dit, dans les œuvres complètes de l'ancien premier ministre de la gracieuse reine Victoria, cette phrase a été popularisée par Mark Twain dans Chapters from My Autobiography (1906). Elle a peut-être trouvé là sa forme ternaire définitive, encore que l'expression "damned lies", qui frappe par son recours au registre familier - je me demande si l'on ne pourrait pas traduire par "foutus mensonges" -, ait déjà figuré dans de précédentes ébauches, parfois même typographiée pudiquement "d---d lies".

Illustration empruntée à une page sur l'origine de cette citation.
(Département de Mathématiques de l’Université de York.)

Quand une statistique est déclarée erronée, on ne sait trop comment la qualifier. Simple mensonge ou bien foutu mensonge ?

Il faudrait peut-être faire un sondage d'opinion là-dessus...

Le 22 mai, invité du "Grand rendez-vous", sur Europe 1, monsieur Claude Guéant affirmait :

"Contrairement à ce qu’on dit, l’intégration ne va pas si bien que ça : le quart des étrangers qui ne sont pas d’origine européenne sont au chômage, les deux tiers des échecs scolaires, c’est l’échec d’enfants d’immigrés."

D'où venait cette statistique balancée comme une de ces fameuses vérités qui dérangent ? Aux légitimes interrogations de la presse, il fut répondu :

"Tout simplement du rapport de 2010 du Haut Conseil à l’intégration (HCI) sur les défis de l’intégration à l’école."

La lecture de ce rapport, faite par Cédric Mathiot pour la rubrique "Désintox" de Libération, ne permettait pas de confirmer le chiffre avancé par le ministre, mais, citant le texte lui-même, attirait l'attention sur les précautions à prendre dans l'analyse des données, pour tenir compte de "la prégnance des facteurs sociaux dans l’échec scolaire des enfants d’origine immigrée". La conclusion de l'article donnait une piètre image de la déontologie du HCI :

Hélas, le Haut Conseil à l’intégration n’a pas jugé utile de rappeler ces évidences, hier. Contraint de réagir à la polémique, le conseil (qui dépend de Matignon) a volé au secours du ministre de l’Intérieur dans un communiqué. Choisissant avec soin certains passages de son rapport, le HCI a confirmé les difficultés scolaires des enfants d’immigrés, mais a oublié de reprendre les paragraphes expliquant largement ce décrochage statistique par la surreprésentation de familles modestes dans la population immigrés. De l’art de caviarder ses propres travaux pour ne pas brouiller le message du gouvernement.

Alors que ce type de polémique médiatique dure assez peu, celle-ci allait s'installer dans la durée grâce à la ténacité de monsieur Claude Guéant, qui allait l'alimenter en faisant usage d'un droit de réponse se référant, cette fois, à une étude de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) datant de 2005. Il y détaillait, avec le bagout d'un cancre indécrottable qui tient à se justifier en le prenant d'aussi haut qu'il le peut, son "raisonnement" :

"L’étude de l’Insee […] précise que les enfants de familles immigrées sortent presque deux fois plus souvent du système éducatif sans qualifications que les autres. […] Cette conclusion vient forcément soit de chiffres exhaustifs, soit d’un échantillon qui se divise en trois tiers. Par conséquent, j’ai correctement cité l’étude en déclarant que les 2/3 des enfants qui sortent de l’école sans qualification sont des enfants de familles immigrées."

Cédric Mathiot parle de "méthode exotique", et il est bien gentil.

Par ailleurs, il cite "un chercheur qui a travaillé sur le panel", qui, d'une manière plus fondée scientifiquement, évoque une "ânerie sans nom".

Contrairement au HCI, l'Insee ne se précipita pas au secours du ministre de l'Intérieur, le service de presse de l'Institut se contentant de répéter que l'Insee "n’avait pas vocation à intervenir dans ce débat"... Cette réserve était sans doute la conséquence de discussions internes déjà en cours dans cette grande maison entre direction et personnels.

Lors du comité technique paritaire du 22 juin, les représentants du personnel (CGT, CFDT, CGT-FO, CGC, SUD) ont transmis au directeur général de l’Institut, monsieur Jean-Philippe Cotis, une déclaration demandant à la direction de sortir de son silence et invoquant "l'indicateur n° 7 du principe n° 1 (indépendance professionnelle) du code de bonnes pratiques de la statistique européenne : «L'Autorité statistique, s'il y a lieu, s'exprime publiquement sur les questions statistiques, y compris sur les critiques et les utilisations abusives des statistiques publiques. »"

Cette demande devait aboutir à la publication par l'Insee d'un communiqué plutôt technique, rappelant les résultats de l'enquête de 2005 et indiquant aux services de monsieur Guéant comment, à partir de ces données, faire un calcul qui se tienne :

Compte tenu de ces éléments, la proportion d’enfants d’immigrés parmi les élèves sortis sans qualification de l’enseignement secondaire peut être estimée à environ 16 % pour les enfants de familles immigrées. Si on y ajoute les enfants de familles « mixtes », cette proportion passe à environ 22 %.

Très aimablement, le communiqué donne l'adresse où peuvent être consultées "les statistiques sur lesquelles s’appuie cette estimation".

On suppose que, calculette en main, monsieur Guéant s'y est à nouveau plongé pour préparer son droit de réponse...

Il ne doit pas aimer ravaler ses arguments.

On peut saluer cette initiative de l'intersyndicale de l'Insee, et le résultat obtenu sous la forme de ce démenti un peu sec, rédigé dans le style qu'affectionne le principal destinataire. Mais on sait très bien que tout cela n'empêchera pas monsieur Guéant de n'en penser pas moins...

Mais puisqu'on l'a imaginé avec sa calculette, on ne saurait trop lui conseiller de la garder à proximité pour consulter un document que le ministère de l’Éducation maintient en ligne depuis le mois de septembre. Il s'agit de la "note d'information" numéro 10.13, intitulée Les bacheliers du panel 1995 : évolution et analyse des parcours. On y trouve décortiquées les données concernant les élèves entrés en sixième en 1995, et s'étant trouvés à la hauteur du baccalauréat vers 2002...

A la page 5, les rédacteurs de cette note écrivent :

À caractéristiques comparables, les enfants d’immigrés obtiennent plus souvent le baccalauréat que les autres jeunes.

Comme tout ce qui émane des services de l’Éducation nationale n'est pas toujours d'une pédagogie exemplaire, notre statisticien autodidacte sera peut-être rebuté par le complexité des tableaux qui étayent cette affirmation.

Qu'à cela ne tienne, il pourra se reporter à l'étude plus restreinte que vient de publier Louis Maurin, le directeur de l’Observatoire des inégalités. Intitulée Pourquoi les enfants d’immigrés réussissent mieux à l’école que les autres, cette analyse reprend les données de la note 10.13, complétée d'une étude de Jean-Paule Caille et Sylvie Lemaire, Les bacheliers de "première génération" : des trajectoires scolaires et des parcours dans l’enseignement supérieur "bridés" par de moindres ambitions ?, publiée par l'Insee en novembre 2009.

Cette analyse de Louis Maurin est, à part peut-être une présentation un peu rapide du dernier tableau, un modèle de l'éclairage* que peuvent donner des statistiques exploitées de manière intelligente...



* Et, bien sûr, je songe ici à cet autre lieu commun si souvent cité sur les statistiques :

"He uses statistics as a drunken man uses lampposts for support rather than illumination."

(Il utilise les statistiques comme l'ivrogne les lampadaires : pour s'appuyer plutôt que pour s'éclairer.)

Andrew Lang (1844 – 1912), polygraphe écossais méconnu.

dimanche 26 juin 2011

Tragédie grecque et piano bar

Franchement, j'ai beau mettre ma mémoire à la question, je ne sais plus qui a dit qu'avec Ahmad Jamal c'était l'intrusion de la tragédie grecque dans l'art du piano bar.

Je suis à peu près sûr que ce n'est pas moi, et j'en suis fort peiné.

Ce n'est pas Miles Davis non plus, qui s'est contenté, en 1958, de dire :

"Toute mon inspiration vient d'Ahmad Jamal, le pianiste de Chicago."

Ce qui, de sa part, était déjà beaucoup...

En 1959, le trio d'Ahmad Jamal, cela donnait ceci :



Ahmad Jamal, piano ; Israel Crosby, contrebasse ; Vernel Fournier, batterie.
Émission inconnue, mais en présence de Ben Webster, Jo et Hank Jones
et, fumeur de pipe au faux air de Fidel Castro, le critique Nat Hentoff...

Côté piano bar, Ahmad Jamal, né Frederick Russell Jones, le 2 juillet 1930 à Pittsburgh, ne dédaignait pas interpréter les rengaines à la mode. L'une d'entre elles, Poinciana, devait devenir pour lui une manière d'indicatif.

Cette chanson, composée par Nat Simon sur une pôhaisie de Buddy Bernier, avait commencé sa carrière de scie musicale en 1952 dans le film Dreamboat.

Ses paroles célèbrent, sans surprise mais avec un lyrisme très années cinquante, la splendeur de ces grands arbres sentimentaux que sont les flamboyants (Poinciana Regia).

Poinciana, your branches speak to me of love
Pale moon is casting shadows from above


Poinciana, somehow I feel the jungle heat
Within me, there grows a rhythmic, savage beat.


Love is everywhere, it’s magic perfume fills the air

To and fro you sway, my heart’s in time, I’ve learned to care !


Poinciana, from now until the dawning day,
Our love will live forever and a day
.

...

Blow tropic wind
Sing a song through the tree

Tree sigh to me

Soon my love I will see.

:



The Four Freshmen en charmante compagnie,
dans une ambiance résolument non-fumeur.

Le premier enregistrement de Poinciana par Ahmad Jamal est peut-être celui d'octobre 1955, avec Ray Cawford à la guitare, et Israel Crosby à la contrebasse, mais celui qui allait remporter le plus grand succès a été réalisé le 16 janvier 1958, au Pershing Lounge de Chicago, en compagnie d'Israel Crosby, toujours à la contrebasse, et de Vernell Fournier à la batterie.

C'est cette version que l'on entend ci après, avec des illustrations que l'on n'est pas vraiment obligé de regarder.



Ahmad Jamal n'a jamais abandonné ce thème, et il le joue encore.

Voici, et cette fois sur des images soignées, une interprétation de 2005, dans un théâtre qui fut peut-être jadis consacré à la tragédie :




Ahmad Jamal, piano ; James Cammack, contrebasse ; Idriss Muhammad, batterie.


Le tragique de tout cela, c'est peut-être que celles ou ceux qui auront tout écouté ne vont pas pouvoir se débarrasser de cette rengaine avant quelques jours...

vendredi 24 juin 2011

Vigilance renforcée gare du Nord

On peut trouver à Keziah Jones une certaine élégance dans la dégaine, mais il avoue tout de même ceci :

"Je suis musicien, je porte un chapeau, des lunettes noires, alors peut-être que j’ai l’air suspect."

A Stéphanie Binet, de Libération, il raconte ce que l'on nommera sa "mésaventure" de la Gare du Nord, où il était de passage, entre un concert à Cologne et un autre à Constantine.

J’étais sur le quai avec mon manager et nous faisions signe à mon assistante qui était à l’autre bout. Trois policiers nous ont alors barré le chemin et m’ont demandé, à moi seul, mes papiers. Je leur explique que je vais à l’autre bout du quai et me répondent : «Vous allez nulle part. Où est votre passeport ?» Du coup, je leur ai dit : «Vous savez quoi ? Je n’ai pas mon passeport sur moi, il est chez moi. Venez à mon appartement.» Et tout de suite, ils ont commencé à me bousculer. Je leur demandais : «Mais qu’est ce que j’ai fait de mal ? Si vous pensez que j’ai fait quelque chose de mal, emmenez- moi au poste.» Ce qu’ils ont fait, et j’ai passé une heure là-bas.

(...)

Au bout d’une heure, ils m’ont laissé partir sans aucune explication, sans excuse, rien. Il aurait presque fallu que ce soit moi qui m’excuse de ne pas avoir le bon look.

Deux images publiées par Keziah Jones sur son "mur".

Pour le moment, les journaux spécialisés dans ce genre de communication n'ont pas encore publié la version estampillée "selon les sources policières"...

Qui devrait indiquer que, comme tous les artistes, Keziah Jones est sûrement trop susceptible.

Mais son aventure est reprise sur le Big Browser du Monde, et même dans Gala.

Je vous rassure, ce n'est pas mieux qu'ici.

Et tout le monde conclut en soulignant de le chanteur n'est pas rancunier :

Le chanteur, "qui a débuté en chantant dans les couloirs du métro parisien", et qui croit peut-être encore que la musique adoucit les mœurs, invite les policiers de la gare du Nord à ses concerts parisiens, à la Défense samedi, et aux Solidays dimanche.

C'est un brin provocateur, on dirait, et on ne saurait trop lui conseiller de se munir de son passeport.

Au cas où...



Million Miles from Home et Rythm is Love.

jeudi 23 juin 2011

Chute verticale d'un boulet

Pendant des années, j'ai été correcteur de l'épreuve de mathématiques du baccalauréat, et généralement pour la section S.

Cette épreuve qui a "fuité" cette année, voyez...

Et chaque année, j'ai vu surgir au tournant, toujours au même tournant, "la" question, toujours la même question :

cher monsieur, vous qui êtes de la maison, pensez-vous que l'on puisse encore longtemps maintenir notre cher, très cher, trop cher, baccalauréat sous sa forme actuelle d'examen national ?

Sachant que mon opinion sur ce point n'avait aucune importance - je n'étais pas encore l'un des 3 256 5879 652 blogueurs les plus influents de l'hexagone mondial -, je me contentais de faire état de la suspension de jugement que j'avais adoptée sur le sujet.

Je n'ai toujours pas abandonné cet agnosticisme, mais quand j'entends monsieur Luc Chatel affirmer avec le plus grand sérieux :

"Vous savez, les Français sont très attachés au Baccalauréat, qui est l'examen qui incarne sans doute le mieux l'école de la République, qui est l'aboutissement de quinze années d'étude, et puis qui est un peu un rite initiatique de passage à l'âge adulte pour tous les Français.",

je me demande s'il ne prépare pas déjà l'oraison funèbre qu'il prononcera prochainement sur le champ de ruines de ce "monument national que l'on doit préserver", pour reprendre l'expression passe-partout de monsieur Jack Lang...

Et je me demande aussi s'il n'y avait pas quelque chose de prémonitoire dans cette bribe du sujet de Sciences Physiques qui, elle aussi, aurait "fuité" :

Les physicien(ne)s n'ont jamais manqué d'humour.
(Document RTL.)

On pouvait faire confiance à monsieur Chatel pour prendre, face à cette situation de fuite avérée, la plus mauvaise décision possible, mais la plus économique en deniers publics - et pour cela, il sera soutenu.

Disons qu'il n'a pas déçu.

Il a expliqué ce matin, sur RTL, comment serait accommodé le barème de l'épreuve de mathématiques. On a pu constater que la recette de cette cuisine était fort simple, et que les conseillers experts de monsieur Chatel avaient bien pris soin de ne faire usage d'aucune règle de trois, lui économisant par là un effort intellectuel trop intense en pleine "gestion de crise". Mais on a pu surtout constater que, de quelque manière que l'on prenne les indications données par le ministre, ces aménagements ne compensaient en rien le déséquilibre introduit entre les candidat(e)s par le suppression pure et simple d'un exercice.

Quant aux justifications données à cette "deuxième décision" - la première étant de déposer plainte auprès du Parquet de Paris -, elles font apparaître que l'expression du jour étaient "rupture d'égalité" :

La deuxième décision que j'ai prise, et je réponds précisément à votre question. J'ai pris la décision ; il fallait réagir puisque comme vous l'avez très bien dit : il y avait rupture d'égalité entre les candidats. Je suis le garant de l'égalité de tous les candidats face à cet examen. Il y avait rupture d'égalité et j'ai pris la décision qui permettait de léser le moins possible les candidats, c'est-à-dire que la fraude porte sur un des quatre exercices qui était noté sur quatre points. Il y avait trois autres exercices dans cette épreuve de mathématiques. J'ai donc décidé de noter l'épreuve sur les trois exercices restants.

(La transcription de RTL a tenté de reconstituer des phrases, mais ce n'était pas gagné...)

Pour ceux qui n'auraient pas vraiment suivi la pensée de monsieur Chatel, le Monde commente le document qu'il a paraphrasé sur RTL, intitulé Mesures prises suite aux soupçons de fuite et destiné aux membres des jurys...

En principe, si mes souvenirs sont bons, ces "recommandations" suggestives sont de nature confidentielle. Mais au point où nous en sommes, les publier ne peut pas faire grand mal, et pourrait même, tant la plus grande mansuétude y est conseillée, dissuader les parents ou les lycéen(ne)s de déposer des recours*.

Monsieur Luc Chatel face aux technologies nouvelles.
(Photo Telecom-point-gouv-point-fr.)

Face à d'autres fuites sur la toile, au mois de janvier, monsieur Luc Chatel avait trouvé la parade idéale en refusant déjà d'annuler les épreuves, et en décidant de ne se soucier de rien...

On se souvient que les cahiers d’évaluation des élèves de CM2, comprenant 100 questions de français et de mathématiques, étaient disponibles au téléchargement sur le site "Evaluator" et sur un site syndical. Les évaluations s'étaient déroulées dans la plus grande confusion, des parents d'élèves ayant pris le relais pour la diffusion des cahiers et/ou des corrigés...

Monsieur Luc Chatel avait vigoureusement dénoncé "un comportement inadmissible et irresponsable", lancé un vibrant appel "à la responsabilité et à l'éthique" des enseignants et parents d'élèves, et annoncé :

"J'ai saisi la direction des affaires juridiques et je me réserve le droit d'engager les poursuites qui s'imposent."

J'ignore où en sont les poursuites, si poursuites il y a eu...

Mais je sais que les résultats de ces prétendues "évaluations des acquis des élèves en CM2" ont été publiés, et sont, bien sûr, encore disponibles. Ils ont fait l'objet de doctes commentaires de la part de monsieur Chatel :

"Les derniers résultats portant sur l'examen de CM2 datant de janvier montrent un léger frémissement en mathématiques. 38% des enfants ont des acquis «très solides» dans cette matière, contre 35% l'an dernier. Et ils ne sont plus que 7% à avoir des acquis «très fragiles» contre 10% l'année dernière. Les académies de Lille, la Réunion ou Créteil, plutôt en dessous de la moyenne nationale il y a un an, ont chacune progressé de plus de deux points. C'est bien la preuve que notre recentrage sur les fondamentaux, français et mathématiques, à l'école primaire est en train de payer."

Le Café Pédagogique, où j'ai retrouvé cette fine analyse d'abord livrée au Figaro, ajoute :

Ainsi le ministre n'a pas tardé à trouver une utilisation à ces évaluations en leur faisant dire ce que chaque administration productrice de données souhaite entendre...
Lien
Et il importe peu que les données produites soient biaisées, puisque l'administration les lira également en biais et de travers.

Ce schéma montre à l'évidence que,
dans l'académie de Rouen, tout va bien.
(Copie d'écran, détail.)

Au fond, malgré ses précautions oratoires oiseuses sur le "rite initiatique de passage à l'âge adulte" et sa volonté affirmée de "léser le moins possible les candidats" face à cette "rupture d'égalité entre" eux, monsieur Chatel persiste aujourd'hui dans la même attitude gestionnaire qui lui permettra, éventuellement, commentant les statistiques bien lissées du bac 2011, de parler de "léger frémissement en mathématiques"...

(Et pourquoi pas ?)

Tout cela, on l'a peut-être compris, dans le mépris le plus total de ces individus qu'on appelle des élèves.



* Inattention de ma part ou blaquahoute ? Il me semble qu'à part l'APMEP (Association des Professeurs de Mathématiques de l'Enseignement Public) et la SMF (Société Mathématique de France), qui ont co-signé une lettre au ministre, les professionnel(le)s de la profession sont étrangement discret(e)s... Déjà plongé(e)s dans leurs paquets de copies ?

mercredi 22 juin 2011

Nouvelle manifestation contre la Nuit Sécuritaire

Au moment où était "définitivement" adopté le "le projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge", le Figaro, ainsi que d'autres organes de presse, commentait le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) sur les hôpitaux psychiatriques français, qui venait justement - le monde est petit et le hasard fait bien les choses - de tomber. Ce rapport pointait, très opportunément, semble-t-il, "de vrais dysfonctionnements en matière de sécurité au sein des hôpitaux où sont soignés les internés d'office", et le titre de cet article avait de quoi faire frissonner le lecteur figaresque :

Psychiatrie : 10.000 internés d'office fuguent chaque année

Le lecteur de Libération, lui, pouvait lire un court résumé des innovations de cette nouvelle loi. Et cet article, signé d’Éric Favereau, avait pour titre :

Psychiatrie: plus de loi, moins de droits

Il concluait, avec une certaine amertume :

Reste que cette loi n’a guère suscité de remous dans la société. Les murs pour se protéger de la folie ont pris la couleur de l’indifférence.

Des remous, il y a eu, et cela continue, chez les professionnels conscients. On en trouvera un aperçu assez complet dans un document à télécharger sur le site du Collectif des 39 contre la Nuit Sécuritaire.

Matériel militant en différentes couleurs non-indifférentes.

Comme l'exercice le plus élémentaire de la démocratie ne consiste pas à répéter, jusqu'au décervelage le plus total, que "la loi, c'est la loi", quand cette loi menace nos libertés, à commencer par celles des moins libres d'entre nous, le Collectif des 39 appelle à une nouvelle manifestation, samedi prochain, sur la place de la République, à 14 h.

Appel du Collectif des 39 Contre la Nuit Sécuritaire

Depuis plusieurs mois, la majorité des professionnels et les citoyens ont dénoncé le vote du projet de loi « relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et, aux modalités de leur prise en charge ».

Malgré nos propositions, cette loi désorganisera gravement la majorité des services de psychiatrie publique dès le 1er août 2011, fera pression sur des administrations prises de court (ARS, préfectures, justice) et n’améliorera pas la possibilité des recours garantissant les libertés.

Ethiquement, nous ne pouvons accepter cet ensemble de mesures qui n’a plus vocation à soigner mais à créer l’illusion que les psychiatres, les juges, les directeurs d’hôpitaux et les préfets pourraient garantir l’ordre social au moyen de recettes gestionnaires et sécuritaires qui n’ont jamais fait leurs preuves.

Afin de maintenir une possibilité de soin relationnel nécessaire à toute personne en grande souffrance psychique, qu’elle puisse ou non consentir aux soins, nous appelons tous les soignants en psychiatrie, les patients, les familles et tous les citoyens à refuser solennellement cette loi et à résister à cette indignité.

Nous nous engageons à rechercher les modalités précises et pratiques pour soutenir une hospitalité à la folie, garantir la dignité des patients, et maintenir vivant notre métier, nous appuyer sur notre éthique de soignant et refuser toutes les entraves à la rencontre, à la relation thérapeutique, et à la continuité des soins.

Nous refusons la « liberté » sous contrôle qui va s’exercer par webcam interposées lors des « vidéo-audiences », et risque de perturber les patients les plus fragiles en aggravant leurs difficultés psychiques.

Nous affirmons que nous poursuivrons des soins en rapport avec notre éthique en refusant de dénoncer les patients aux autorités de tutelles, pour ne pas trahir les liens de confiance souvent difficiles à instaurer avec ceux qui vivent une catastrophe psychique.

Nous nous opposerons à tout ce qui peut conduire à la levée du secret professionnel et de l’indépendance professionnelle.

Nous refuserons donc à chaque fois que nous le pourrons le recours aux soins obligatoires en ambulatoire qui sont au cœur de cette loi, et nous ferons tout pour lever ces mesures.

Nous refuserons l’application des « programmes de soins » imposés à tous les professionnels.

Nous n’abandonnerons pas la continuité des soins pour les patients suivis régulièrement au nom d’une priorité qui nous serait imposée pour les patients mis en « soins » sans consentement en ambulatoire ou hospitalisés.

Nous refuserons de rendre des avis médicaux sur simple lecture du dossier du patient, comme le prévoit la loi.

Enfin nous appelons les artistes, intellectuels et tous les citoyens qui sont révoltés par le lien social ségrégatif qui nous est proposé à rejoindre notre combat pour refuser cette nouvelle discrimination de la Folie.

Nous vous appelons tous à manifester votre refus de cette loi indigne, avant l’été et la mise en route au 1er août des nouveaux dispositifs de cette loi.

Le 25 JUIN à 14 H Place de la République

mardi 21 juin 2011

Incapacité d'accueil

Avec sa bonhomie habituelle, qui nous le rend si sympathique, monsieur Claude Guéant a fait répondre à monsieur Pierre Henry, directeur général de France terre d'asile (FTDA), que

concernant l'accueil des réfugiés en provenance de Libye,

ça n'allait pas être possible

"compte tenu de la crise actuelle de notre dispositif d'asile, et notamment de la saturation de nos capacités d'accueil",

et qu'il était désolé, et tout, et tout, mais qu'il l'assurait quand même d'une certaine considération...

(Ce n'est pas à monsieur Guéant qu'on va apprendre la politesse.)

Notre ministre de l'Intérieur et des expulsions vers l'Extérieur a dû être très soulagé d'apprendre que le gouvernement italien et le CNT (Conseil national de transition libyen) avaient signé, vendredi dernier, un texte "confirm[ant] l'engagement à une gestion partagée du phénomène migratoire à travers l'application de l'accord italo-libyen pour la collaboration dans la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée, le trafic de drogue et l'immigration clandestine" - ce sont les termes mêmes du document officiel. Cet accord a été signé par monsieur Franco Frattini, ministre italien des Affaires étrangères, et monsieur Mahmoud Djebril, responsable des relations extérieures du CNT libyen. Il prévoit, cela va sans dire, mais cela est dit, une étroite coopération du CNT avec l'Italie pour organiser le "rapatriement d'immigrés en position irrégulière" et (re)mettre en place la "politique de refoulement immédiat" qui avait si bien réussi avec le (presque) regretté colonel Kadhafi .

Notre bonne presse note cependant :

L'accord est surtout symbolique, car l'écrasante majorité des 11 000 migrants arrivés cette année en provenance des côtes libyennes étaient des réfugiés originaires d'Afrique subsaharienne, protégés par la convention de Genève, que l'Italie ne peut donc ni expulser ni rapatrier. Selon des chiffres publiés vendredi, on comptait seulement 60 Libyens depuis le début de l'année.

Symbolique, peut-être, mais prévoyant proactivement une future "crise" du "dispositif d'asile", comme chez nous...

Arrivée d'un bateau sur l'île de Lampedusa, le 26 mars.
(Photo : Alberto Pizzoli/AFP/Getty Images.)

De "la crise actuelle de notre dispositif d'asile, et notamment de la saturation de nos capacités d'accueil", évoquées par monsieur Claude Guéant, pourrait témoigner l'histoire des Tunisiens parvenus ces derniers mois à Paris...

A condition que l'on s'y intéresse un jour, cette histoire, qui reste à écrire, pourrait être assez exemplaire de nos pratiques européennes - elles sont d'abord parisiano-française, certes, mais j'ai l'esprit large -, mais aussi de celles qui se mettent en place dans les nouvelles démocraties - la "transition" tunisienne, certes, mais il faut avoir l'esprit large...

Pour l'instant, seules quelques bribes de cette histoire de chasse aux hommes et aux enfants - car certains sont mineurs - nous parviennent.

C'est probablement le 7 juin, à l'occasion d'une première évacuation du ci-devant Centre Culturel Tunisien de Paris, que les lecteurs du Figaro ont pu apprendre son occupation :

Une trentaine de personnes, se présentant comme des Tunisiens sans papiers, avaient envahi le 31 mai le bâtiment, situé rue Botzaris à Paris (XIXe arrondissement), près du parc des Buttes-Chaumont. "Nous en avons marre de dormir dans la rue ou dans des parcs", avait alors déclaré un occupant, "nous demandons juste un lieu pour dormir et un coup de main de notre ambassade".

Les lecteurs ont dû trouver cela bien excessif, et se réjouir d'apprendre que, depuis ce coup de force, l'ambassade de Tunisie avait saisi la préfecture de police de Paris, demandant l'évacuation du bâtiment au prétexte habituel selon lequel "un certain nombre d'individus supplémentaires se sont joints aux occupants et ont commis un certain nombre de dégradations".

Histoire de rendre service, les forces de police avaient, ce jour-là, évacué "un certain nombre" de personnes. 74, selon la dépêche...

Le surlendemain, 9 juin, l'Ambassade de la République Tunisienne en France publiait, sur son site, un communiqué, modèle du genre torve, où elle expliquait ceci :

Soucieuse du bien être, de la dignité et de la sécurité des jeunes tunisiens enfants de la révolution du 14 janvier et arrivés récemment en France, consciente de la précarité de leur situation et des conditions pénibles de séjour qu'ils ont du surmonter, l'Ambassade de Tunisie en France a outre les rencontres et les démarches entreprises avec les autorités françaises et le tissu associatif, mis à leur disposition de ces jeunes le 31 mai, des locaux sis à la rue Botzaris Paris 75019 propriété de l’État tunisien, devenu un lieu de refuge et d'asile pour nos concitoyens.

Et puis cela :

Toutefois, suite aux actes graves et délibérés de vandalisme et de dégradation des lieux et équipements, biens de l’État tunisien, constatés dès la matinée du 7 juin 2011, et avant l’intervention des autorités françaises pour faire évacuer les lieux, l’Ambassade de Tunisie en France a fermement insisté auprès de ces mêmes autorités sur le respect de la dignité et l'intégrité des ressortissants tunisiens présents sur ces lieux.

Mais expliquait aussi :

Une fois relâchés certains de ces jeunes, sont revenus sur les lieux armés de battes de base-ball et armes blanches pour s'en prendre aux gardiens faisant partie du personnel de l'Ambassade et assurant depuis des mois la sécurité sur place.

Tout en concluant :

Tout en regrettant la tournure prise par ces événements, l'Ambassade continuera avec le concours des autorités françaises compétentes ainsi que celui du tissu associatif a apporter son soutien total à ces jeunes et œuvrera pour leur trouver une solution digne et durable honorant la Tunisie de la révolution.

La façade du 36 rue Botzaris, Centre Culturel mais pas que.
(Photo : Mathias Destal/Libération.)

Cette magnanimité toute diplomatique n'allait pas durer très longtemps, puisque le jeudi 16, vers 6 h du matin - l'heure du policier -, les forces de l'ordre ont procédé à une nouvelle évacuation.

L’Ambassade était probablement désireuse de récupérer les locaux de ce prétendu Centre Culturel, qui fut aussi une base parisienne du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) de l'ancien président Ben Ali. Des documents importants pourraient encore s'y trouver...

Ces documents, beaucoup plus intéressants pour la presse que les occupants, ont fait l'objet d'articles ici, et, et ...

Cependant, Mathias Destal, dans Libération, a consacré un bout de colonne aux "trente Tunisiens sur le carreau après leur expulsion de l'ancien siège du parti de Ben Ali". Il y indique comment l'Ambassade de Tunisie a "œuvré", "avec le concours des autorités françaises compétentes", "pour leur trouver une solution digne et durable honorant la Tunisie de la révolution" :

Afin de trouver un compromis pour les locataires du «36», une entrevue a eu lieu ce vendredi matin entre des représentants des Tunisiens et Elyes Ghariani, le chargé d'affaire de l'ambassade de Tunisie en France. L'objectif: trouver une solution pour la trentaine de clandestins qui n'ont toujours pas trouvé où dormir légalement. Les plus chanceux ont déjà été dirigés vers des gymnases aménagés pour accueillir les réfugiés tunisiens.

«Nous avons essayé de trouver une solution pour qu'ils ne dorment pas dans la rue ce soir» explique Amira Yahyaoui, la fille de Moktar Yahyaoui (un opposant à Ben Ali en Tunisie), présente à la réunion au côté d'Ali Garghouri «L'ambassadeur a appelé la mairie de Paris qui nous a renvoyé vers France Terre d'asile.» Vendredi à 18 heures, l'association n'était pas en mesure de nous dire si une solution avait été trouvée pour les Tunisiens du «36».

Pendant la journée, au moins, "une solution avait été trouvée" pour l'immeuble, qui avait changé de nom.

Pour peu de temps...
(Photos : Syromaniac et @MsTeshi)

Quant aux "enfants de la révolution du 14 janvier", ils ont dû se replier vers le parc des Buttes-Chaumont dont les "capacités d'accueil" sont assez considérables...

Mais où la météo est fort capricieuse.

Samedi soir, un avis de tempête très localisé a été lancé - mais d'où ? cela n'est pas très clair... - sur tout le périmètre du parc.

Fabien Abitbol, vaillant localier de l'Est parisien, raconte la chose dans un billet de son blogue "Ménilmontant, mais oui madame..." :

Hier soir samedi 19, ce fut quelque peu mouvementé. Un très étrange avis de tempête s’est abattu pile-poil sur les vingt-cinq hectares du Parc (la superficie de Paris est de 105 km2). Avant 20h, toutes les entrées secondaires des Buttes-Chaumont étaient fermées, ainsi que la plupart des grandes grilles. Ailleurs, il fallait demander à un gardien pour sortir. Mais, lorsque l’on voulait entrer, la réponse était laconique: «Le parc est fermé». A la première demande d’explications, la réponse était qu’il y avait un “avis de tempête”, dont le bruit se répandit assez rapidement sur le réseau social twitter.

Il semble bien que, par le plus décoiffant des hasards, cet avis de coup de vent soit arrivé en même temps que des renforts de police.

Histoire de "sécuriser" la zone, sans doute.



PS : Pour plus de détails sur cette soirée ventilée, voir le récit de Paul.

Paul est, avec Elisabeth, presque constamment sur place. Il vient d'ouvrir le site botzaris36.org, en complément de #botzaris36.

Elisabeth touitte ses photos, et elle raconte, sur Le Puzzle, "comment [elle se] retrouve au milieu d'un gros bordel..."

lundi 20 juin 2011

Le directeur et son image de marque

Ils sont tellement discrets que cela en deviendrait presque suspect...

Ces "vieux migrants" ne seraient-ils pas de sournois fraudeurs, restés dans cette France, que beaucoup d'entre eux ont participé à reconstruire, pour bénéficier de nos pharaoniques prestations sociales ?

Autrement dit pour grignoter, mine de rien, les retraites des Français ?

Après avoir mangé leur pain.

Cela va de soi.

Fiche signalétique permettant de les identifier.
(Dessin de Samson, publié par
le Collectif Justice et Dignité pour les Chibani-a-s)

On sait que la lutte contre la fraude est une manière de sport national. C'est peut-être même devenu, ces dernières années, une grande cause nationale.

Aussi de très sérieux organismes, aux noms comme des grosses caisses, comme les CARSAT (Caisses d'Assurance Retraite et de Santé au Travail), les MSA (Mutualités Sociale Agricole), les CAF (Caisses d'Allocations Familiales), ou les CPAM (Caisses Primaires d'Assurance Maladie), ont-ils multiplié les contrôles auprès des "vieux migrants", et en particulier sur ceux qui vivent en foyer - plus faciles à trouver, et, ce n'est pas à négliger, regroupés.

Pour l’administration, il s’agit bien souvent de vérifier la très légaliste "condition de résidence en France" et donc de vérifier le temps passé par ces personnes sur le territoire français.

Si les Chibanis (Vieux immigrés) ont eu le malheur de passer un peu trop de temps auprès de leur famille restée au pays, le couperet tombe et c'est la quasi-totalité de la retraite, les aides au logement, voire la couverture sociale qui sont supprimées. Pire, à partir de ces contrôles, la CARSAT et la MSA ont opéré des redressements allant de 1000 € jusqu'à 22 000 € pour certaines personnes.

On peut trouver cela terriblement mesquin...

Mais il ne faut pas oublier que cela est surtout dramatique pour nos "vieux immigrés". Et c'est pour cela que s'est constitué le Collectif Justice et Dignité pour les Chibani-a-s.

Depuis plusieurs mois, les Chibanis et des militants associatifs se battent dans le cadre du collectif « Justice et Dignité pour les Chibani-a-s » pour que cesse ce harcèlement, et pour que les dettes et les poursuites contre les Chibanis soient annulées. Malgré les interventions du collectif, les courriers et les manifestations, l'administration affiche le plus grand mépris et laisse les Chibanis dans le dénuement le plus total.

Ce qui s'est passé à Toulouse conduit à se demander si la mesquinerie ne serait pas un métier comme un autre...

Pire la seule réponse que fait le directeur de la CARSAT aux associations et aux Chibanis qui composent le collectif, c'est d'intenter un procès au motif futile d'une atteinte à son droit à l'image, parce qu'il apparaît brièvement sur les sites Chibanis.org et tvbruits.org, lors de l'occupation symbolique de la CARSAT, le 15 mars 2010 à Toulouse.

(La vidéo est ici, mais il faut fermer les yeux dès que le directeur apparaît...)

L'audience doit se dérouler demain, à 9 h, au tribunal de grande instance de Toulouse, 2 allée Jules Guesde.

(On se rassemblera devant le TGI, puis on partira en cortège vers les locaux de la CARSAT, située place Saint-Etienne, où une pièce de théâtre sera jouée par les Chibanis.)


PS : D'autres actions sont prévues, à Lyon, Montpellier et Paris, ces prochains jours. Les rendez-vous sont précisés sur le site du Collectif.

dimanche 19 juin 2011

De l'utilité des transports en commun

Même ceux qui jugent qu'on l'a trop entendu continuent de l'écouter...

A croire qu'Alain Finkielkraut est devenu, pour le pire, notre indispensable (mé)contemporain du samedi matin.

Et que son émission se perde en des balbutiements d'une rare indigence n'y change rien : il suffit qu'elle accueille une triste vedette vieux-réac ou néo-con pour qu'elle soit largement commentée ici, ou là, ou encore là, comme ce fut le cas de celle du 11 juin...

On pouvait y entendre Richard Millet, auteur, pour cette année, de Fatigue du sens, chez Pierre-Guillaume de Roux , et de Arguments d'un désespoir contemporain, aux éditions Hermann...

Et Richard Millet, cela donne, par exemple, cela :

Pour répondre à votre question, je dirai que moi je suis dans une situation
(et pardonnez-moi si le terme est extrêmement provocateur, mais je veux le maintenir malgré tout parce qu'il peut faire sens)

je vis maintenant
en tout cas lorsque je suis en ville notamment dans les espaces comme le Rer
[la voix de Finkielkraut s'insère pour dire que, oui, cela revient dans son livre]
dans une situation d'apartheid volontaire
(alors je vais choquer énormément)

ça veut dire que je m'exclus moi-même d'un territoire et d'un lieu

(comment dirai-je ?)

d'un groupement humain où je ne me sens plus moi-même.

[Alain Finkielkraut, qui sent que ça vient, doucement, mais ça vient :
Oui mézalors, pourquoi ? Keskiss'passe ?
]
Pourquoi ? Parce que, par exemple, quand je suis le seul blanc, ça me pose de telles questions que je ne peux que m'exclure moi-même,
je n'ai plus
je n'ai plus de réponse à cela
je ne
je ne critique pas
voilà...c'est tout.
Et lorsque particulièrement cette population dans laquelle je me trouve est fortement maghrébine, alors là je suis encore moins
(si je puis me permettre encore une partie de réponse, je dois dire que mon enfance n'a pas été que rurale et corrézienne, elle a été aussi libanaise.
Et mon enfance a été libanaise, ma jeunesse a été libanaise pour une autre raison
c'est que j'ai, disons, guerroyé à Beyrouth à une époque, pendant quelques mois, aux côtés des milices chrétiennes.
(donc voyez que j'ai tout pour me faire détester par le temps, par l'époque actuelle
[Jean-Christophe Bailly insère ici cette remarque compatissante :
"Pas par tout le monde...",
à quoi Richard Millet répond :
"Pas par tout le monde, mais par beaucoup...",
car il tient sans doute à cette détestation quasi universelle auto affirmée.]))
Mais il n'en reste pas moins que
voilà
je
je me demande quelle est la compatibilité du Maghreb, des pays arabes et notamment de l'Islam, en tout cas de la visibilité de l'Islam,
avec une histoire qui malgré tout continue de frémir dans le territoire qu'on appelle France.

Bien que le propos du grantécrivain ne soit pas vraiment d'une limpidité absolue, on voit à peu près ce qui se met à "frémir" dans son bredouillement.

Mais ceux qui ont gardé l'oreille assez fine peuvent lui rendre grâce d'avoir, avec cette image du coincé - littéralement et dans tous les sens - dans une voiture de Rer, produit une métaphore très parlante de cet état bien nommé "apartheid volontaire"...

Très aimablement, le second invité, Jean-Christophe Bailly, au lieu de lui conseiller de s'acheter un vélosolex blindé, tentera de le rassurer sur le mode, peut-être ironique - cela ne m'étonnerait pas -, du "mais ça arrive à tout le monde". Il lui fera part du malaise, par lui ressenti, à se trouver "dans un wagon de train exclusivement peuplé de Français ayant l'air de souche célébrant telle victoire, sportive par exemple". Il y ajoutera, toujours empathique, qu'il lui arrive également de se "sentir totalement exclu dans un restaurant de luxe" et "mal à l'aise à la sortie de Saint-Nicolas-du-Chardonnet".

Cette réponse à distance, ainsi que d'autres du même ordre, a pu décevoir certains commentateurs qui auraient préféré que "le pauvre Jean-Christophe Bailly" soit moins "timoré" dans ses propos et s'engage sur le terrain de la polémique... C'est sans doute mal le connaître, et le confondre avec l'un de ces intellectuels inexistants, groupe qui comprend aussi certains des commentateurs en question, qui rêvent de faire partie de cette vingtaine de bavards qui font l'opinion. Et c'est sans doute mal entendre ces réponses qui, en restant sur le bord du débat qui pourrait s'ouvrir - mais selon les règles faussées de l'émission -, en démontrent, avec une indéniable élégance, l'inanité caricaturale.

Enfin, c'est être resté sourd à des paroles où se révélait une conviction non négociable.

Et notamment, plus loin dans le déroulement de l'émission, après avoir dû subir quelques développements morts-nés de Millet autour de la notion de "pureté", qu'il aime tant évoquer sans jamais la hausser à une quelconque pureté conceptuelle, ce rappel tranchant de Bailly :

Et je tiens à dire quelque chose aussi,
puisqu'on amène aussi le fait biographique,
puisque c'est lui qui nous motive au fond pour parler de cela.
Il se trouve que je vis avec une dame qui est...
dont le père est chinois.
A chaque fois que j'entends le mot "pureté" (....) assorti à ces questions-là
je me dis :
en quoi cette personne, cette femme, aurait moins d'identité qu'une autre
d'une part
et serait impure...
par rapport à quelle pureté ?

De cette pureté-là, je ne veux pas.

[Cette dame est Gilberte Tsaï, grande dame de théâtre, qui quittera très prochainement la direction du Centre dramatique de Montreuil, qu'elle a largement contribué à faire devenir ce qu'il est. Et c'est, bien sûr, son nom qui clôt l'ultime section, Références et remerciements, du livre de Jean-Christophe Bailly, Le Dépaysement, Voyages en France, Éditions du Seuil, 2011.]

Incipit : "Le sujet de ce livre est la France.
Le but est de comprendre
ce que ce mot désigne aujourd’hui
et s’il est juste qu’il désigne quelque chose

qui, par définition, n’existerait pas ailleurs.
"

Pour ceux qui l'ont si peu entendu, il reste la possibilité de découvrir Jean-Christophe Bailly en le lisant, tout simplement.

Dans son introduction, dont la première phrase, dit-il, aurait pu être écrite par le général de Gaulle, Jean-Christophe Bailly parle de la grande ancienneté de son projet de voyages en France et des questions qu'il porte. Il n'est pas indifférent qu'il y évoque, comme ultime déclencheur de sa mise en route, la visite qu'il fit, au début des années 90, à son beau-père dans une maison de convalescence de la région lyonnaise où le vieux monsieur chinois tentait de se remettre de l'opération du cancer qui devait l'emporter quelques années plus tard. Ainsi se trouve, d'une certaine manière, dédié ce très beau livre à cet émigrant, arrivé dans les années 30 de sa province du Zhejiang, installé à Lyon après la guerre, et, lors de cette visite, pestant, "avec son fort accent chinois", contre "les autres pensionnaires (...) qui ne savaient même pas jouer à la belote"... Il faut croire que l'auteur possède l'inestimable talent de se hâter lentement puisque la mise en écriture finale de son projet s'est déroulée bien plus tard, au moment même où un frénétique agenda politique instaurait l'urgence d'un grand débat sur l'identité nationale.

Cette agitation en eaux politicardes assez troubles n'a guère affecté la réalisation du projet de Jean-Christophe Bailly qui n'a pas cherché à courir après l'actualité...

Tant mieux.

Car il faut dire que l'ouvrage qui vient de paraître ne méritait pas de figurer au rayon des écrits de circonstance.

Bien au contraire, il mérite une lecture attentive, plutôt lente et assez gourmande pour apprécier la beauté de la langue - si évidente qu'elle ne peut qu'imposer le respect à un Richard Millet si épris de "pureté" - et le grand art déployé par Jean-Christophe Bailly pour composer le disparate de ses 34 excursions françaises. De cet art, il nous fournit peut-être la clé quand, passée l'introduction, il s’arrête, pour la première étape, dans une fabrique de filets et de nasse, la maison Larrieu, sise à Bordeaux. Là, il note que

(...) l'on pense, forcément, en contemplant ces résilles de lignes souples ou tendues, à la perspective, à cette sorte de nasse aussi par laquelle les peintres ont cherché autrefois à capturer le visible : même paradoxe d'un parallélisme convergent, même volonté d'emprise, même jeu de cache-cache, même espoir de saisie.

Et, forcément, le dernier chapitre du livre est titré : Point de fuite, où l'on peut lire cette juste notation sur l'impression de dépaysement :

Quel est donc, se demande-t-on alors, quel est donc cet ailleurs qui est ici ?

Avant d'en arriver à ce point, le lecteur aura éprouvé le dépaysement de paysages connus, ou non, et partagé quelques étonnements.

Comme celui-ci, qui semble lointainement faire écho aux affres exprimées par le grand styliste victime du syndrome du Rer :

La dernière fois que j'ai pris le car pour aller de la gare d'Avignon TGV à Arles, soit le trajet même dont Tarascon est l'unique étape, le chauffeur, un jeune homme, s'arrêta un instant, comme c'est l'usage lorsque la vitesse est assez faible pour le permettre, afin d'échanger quelques mots par la vitre baissée avec le chauffeur de la même compagnie qui venait en face. « Salam aleikum! - Aleikum salam! », voilà comment s'engagea leur dialogue, qu'ils poursuivirent ensuite en français avec l'accent du Midi. D'habitude, le car était conduit soit par un chauffeur assez bavard, soit par une blonde un peu costaude, et c'est pourquoi je fus surpris. Quelle est la nature de cette surprise ? Vient-elle d'un qui ne voyage pas, qui n'a jamais vu la banlieue, les banlieues, les cités ? Non, mais voilà, je le confesse, j'ai été un instant étonné puis, très vite, porté par la vitesse du car traçant sa route dans la nuit, cet étonnement s'est converti en une suite de pensées dont la clef était comme une exclamation - le retentissement, en moi, d'un "pourquoi pas ?" que je développais sous cette forme: pourquoi, grands dieux, ne serait-ce pas ainsi, ainsi aussi et comme cela, avec ces voix, avec ce salut, pourquoi l"'identité" d'une nation, d'un pays, serait-elle quelque chose de si faible et de si renfrogné qu'elle ait à redouter de tels inserts ?

samedi 18 juin 2011

La sortie du pro-nucléaire

Même s'il n'est pas totalement novateur, on espère que le geste de monsieur Éric Besson sur le plateau de M6 sera bientôt imité par tous ses amis, les actuels, les anciens, les futurs...

"Allez, je vous laisse. Je me casse. Fait chier."

Encore ! Et pour de vrai.

Parce que oui.

Font chier.

vendredi 17 juin 2011

Défiance toute scientifique

Il est toujours trop tard.

Le suicide d'un jeune homme nous place toujours devant l'irrémédiable. Et comme nous ne saurons jamais clairement à quelle blessure essentielle il aurait fallu porter remède, nous préférons souvent penser que cet acte de mort volontaire, par quoi toute une vie a basculé dans l'irrémédiable, était inévitable...

Mais on n'en pense pas moins.

En lisant l'article que Luc Mathieu a consacré, dans Libération, à Aminullah Mohamadi, ce jeune Afghan de 17 ans qui s'est pendu à un arbre dans le parc de La Villette, on peut tenter d'imaginer à quel point sa vie a pu être ébranlée par les doutes sur son âge. Ces soupçons de fraude se sont exprimés très clairement dès sa prise en charge par les services sociaux, après qu'il ait survécu trois mois sous un pont, dans le quartier très gentrifié de Gambetta.

Les services sociaux doutent de son âge, ils lui font passer un test osseux qui conclut que le jeune Afghan a plus de 19 ans. Jean-Michel Centres, membre du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), saisit le juge des enfants au début de l’année 2010. Le magistrat conclut qu’Aminullah est bien mineur et rédige une ordonnance de placement provisoire.

L'article précise :

Le juge motive sa décision concernant Aminullah par l’examen de sa taskera, la carte d’identité afghane. Alors que les plus récentes sont imprimées sur une simple feuille A4, celle du jeune Afghan date de la période où les talibans étaient au pouvoir en Afghanistan, entre 1996 et 2001. C’est un petit carnet de huit pages, avec la photo d’un enfant qui cadre avec l’âge revendiqué à l’époque.

L'Aide sociale à l'enfance ne fera pas appel de cette décision, pourtant assez rarement accordée. Mais l'intime conviction suspicieuse survivra, par delà la mort d'Aminullah :

«Sa taskera était probablement trafiquée. Je reste persuadé qu’il avait entre 25 et 30 ans, affirme Pascal Moulin, qui gère le dossier d’Aminullah à l’Aide sociale à l’enfance. Il avait un visage ridé et son comportement ne cadrait pas avec celui d’un jeune de 17 ans. Le Mrap a monté un dossier en jouant sur les incertitudes.»

A quoi les amis d'Aminullah répondent :

Jean-Michel Centres est, lui, convaincu du contraire. «Si Aminullah avait voulu faire un faux, il aurait pris une taskera récente, beaucoup plus facile à contrefaire. Cela n’a aucun sens.»«Bien sûr qu’il était mineur. Je le connaissais bien, il me l’aurait dit s’il avait menti. Et son histoire était totalement cohérente», confirme Haroun Walizada.

Et l'on se demande bien quelle "aide" pouvait apporter au jeune homme le responsable d'un service social qui le regardait avec une défiance si durable...

(Mais peut-être n'était-il, malgré ses remarques dermatologiques, qu'un gestionnaire de dossiers sans visage...)

De quoi rêver : ceux-là sont vides.

Dire que la France est la patrie des Droits de l'Homme relève, on le sait bien, de l'ironie la plus légère, teintée d'une délicate amertume. Mais on sait aussi, et certains s'en inquiètent, qu'on ne peut pas y faire n'importe quoi, notamment dans le cas des "mineurs isolés étrangers" dépourvus de titre de séjour en notre généreuse "terre d'accueil".

Cependant.

Cependant, il n'est pas question, néz'ba, que la France accueille etc. etc et nianianianianianianiania...

D'où la riche idée de contester, lorsque cela semble possible, l'âge des prétendus mineurs. Et conséquemment le recours de plus en plus répandu à ce fameux "test osseux" auquel Aminullah dut se soumettre.

Une notice du volume 1 de cette France-là, détaille tout cela avec précision :

(...) le test osseux est (...) systématiquement pratiqué lorsqu’une demande de détermination médicale de l’âge est formulée par le procureur de la République. Celui-ci peut être sollicité à cette fin par la police aux frontières en zone d’attente, par la police à la suite d’une interpellation, par le parquet lorsque l’Ofpra sollicite la désignation d’un administrateur ad hoc [*] , ou encore par le juge des enfants et l’Aide sociale à l’enfance (ASE) — respectivement quand le premier est saisi d’une demande de placement d’un mineur et quand la seconde conteste une décision de placement dans l’un de ses établissements. Parce qu’un mineur isolé bénéficie d’un système de protection particulier, lequel interdit son éloignement, la détermination de l’âge représente un enjeu primordial tant pour les institutions de prise en charge de ces mineurs que pour les services de police : car si la lutte contre les fraudeurs est une préoccupation pour les premières, elle est un objectif prioritaire pour les seconds. À la suite de l’examen, le juge statue sur la majorité ou la minorité de la personne.

[* La loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale prévoit la nomination d’un administrateur ad hoc pour les mineurs isolés placés en zone d’attente. Cet administrateur doit « assurer la représentation du mineur dans toutes les procédures administratives et juridictionnelles relatives à son maintien en zone d’attente, afférentes à son entrée sur le territoire, et, le cas échéant, relatives à sa demande d’asile » (Anafé, note du 4 octobre 2006). ]

Comme je n'ai aucune défiance envers les institutions de mon cher pays - "France, mère des arts, des armes et des lois" -, je ne doute pas que cette procédure d'expertise ne soit parfaitement légale ; et si elle ne l'est pas, le législateur s'en souciera...

Mais je crois que l'on peut s'interroger sur la scientificité des protocoles utilisés pour déterminer l'âge du présumé fraudeur.

On peut aussi douter de la drôlerie de l'illustration.

Voici quelques extraits d'un exposé, intitulé Détermination médico-légale de l'âge d'un adolescent, prononcé par le docteur Odile Diamant-Berger lors du Colloque du 27 octobre 2000, organisé par France Terre d'Asile : «Quelle protection en Europe pour les mineurs isolés demandeurs d'asile ?». Madame Odile Diamant-Berger se présentait alors comme Maître de conférences des Universités en médecine légale, expert agréé par la Cour de Cassation et chef du service des urgences médico-judiciaires à l'Hôtel-Dieu.

La méthode la plus courante et la plus facile à réaliser repose sur la radiographie de la main et du poignet gauche. C'est la technique que l'on intitule «détermination de l'âge osseux».

Ces clichés radiologiques sont en effet comparés à ceux d'un atlas de références établi en 1935 à partir d'une population de race blanche, née au États-Unis, d'origine européenne et de milieu familial aisé, destiné non pas à déterminer avec précision un âge civil mais à déceler certaines pathologies, notamment les retards de croissance de l'enfant ou adolescent (Atlas de Greulich et Pyle).

Cet atlas regroupe les reproductions de radiographies main/poignet gauche d'enfants et adolescents ; âgés de 10 à 19 ans, de sexe masculin et féminin.

L'étude de ces clichés radiologiques repose sur l'évaluation des noyaux d'ossification et la persistance ou non des cartilages de croissance au niveau des os longs. La perception de ces critères dépend également des constantes de pénétration des rayons X lors de la prise de la radiographie.

Par ailleurs, il existe une variabilité importante chez les utilisateurs de l'atlas liée à la différence possible d'évaluation de similitudes entre un cliché radiographique et une planche de l'atlas.

Enfin, aucune étude analogue n'a porté sur les populations africaines ou asiatiques.

Au total, la logique scientifique exige de fournir un intervalle de confiance ; la mission de l'expert impose de fournir un âge...

Cette méthode d'évaluation dite de Greulich et Pyle est fiable à plus ou moins 18 mois.

Après avoir parlé d'autres méthodes, dont celle de Tanner-Whitehouse qui "repose sur l'étude de différents points d'ossification, comparés à des normes établies sur une population anglaise et écossaise de classe moyenne dans les années 50 et 60", elle conclut :

S'il est bien démontré actuellement que la maturation osseuse d'un enfant ou d'un adolescent s'effectue plus rapidement que par le passé... aucune de ces abaques n'a été remise aux normes actuelles.

En pratique, les différents critères radiologiques relevés sur un patient ne sont jamais comparés avec une population de référence appartenant à la même ethnie car ces atlas n'existent pas pour la population étrangère actuelle retrouvée sur le territoire national.

Il en résulte que les critères radiographiques relevés sont «mauvais scientifiquement » surtout entre 15 ans et 18 ans, les méthodes citées ci-dessus ne prennent pas en comptes les réelles différences de croissance et de maturation osseuse liées à l'origine ethnique et aux carences nutritionnelles dont souffrent bien souvent des individus. L'estimation ne peut donc être transposée qu'avec un certain facteur d'imprécision.

Quel est l'âge, selon vous, de ce jeune capitaine ?

Au vu de sa carte de visite, on ne saurait soupçonner madame Odile Diamant-Berger d'excès de radicalisme critique dans son examen de ces diverses méthodes dites scientifiques. Mais, malgré sa conclusion sans appel, on continue d'utiliser ces évaluations pifométriques pour produire, devant les tribunaux, une prétendue "détermination" de l'âge réel de jeunes gens (et jeunes filles) suspectés de fraude...

Pourtant, sur ces questions qui touchent à la (sur)vie même d'individus qui, au bénéfice du doute, doivent être considérés comme mineurs, ce qui doit d'abord être suspecté, car c'est l'exigence de "la logique scientifique", c'est la possibilité d'utiliser avec une absolue certitude ces méthodes.

Et ne me parlez pas de "fournir un intervalle de confiance" - à combien de %, d'ailleurs ? - dans ces affaire où je ne vois que défiance.

jeudi 16 juin 2011

Le miracle grec

C'est une incontestable réussite médiatique : quand une grève générale se déclenche en Grèce, personne en France ne s'en aperçoit...

(Mais on s'inquiète quand même :

La Grèce plombe le CAC qui tombe sous les 3800 points

Titre ce soir Le Figaro.

Ce qui est bien plus intéressant pour ses lecteurs que les événements d'hier sur la place Sintagma.)

Et pourtant...

... elle est bien photogénique, la révolte grecque.
(Photo empruntée au blogue de Serge Quadruppani
qui rend un bel hommage au "chien jaune des manifs grecques".)


mercredi 15 juin 2011

Argumentations sommaires

Ça doit être le sujet qui veut ça. Dès que l'on (re) parle, en milieu parlementaire, du mariage homosexuel, il se produit des effets de discours que l'on aimerait simplement qualifier de "conneries" si monsieur Luc Ferry, philosophe analytique de la société, n'avait déjà utilisé cette conceptualisation dans une récente communication.

Hier matin, alors que l'Assemblée Nationale se préparait à rejeter, "par 293 voix contre 222, une proposition de loi socialiste visant à ouvrir le mariage aux couples homosexuels", madame Marine Le Pen a tenu à marquer son opposition à cette initiative. Et elle a sans doute cru livrer aux auditeurs de France Inter qui l'écoutaient un raisonnement très serré :

Parmi "les règles de notre société", "le mariage s'effectue entre un homme et une femme", a déclaré Mme Le Pen sur France Inter.

"Je ne pense pas qu'il soit positif de changer cette règle, parce que si on part de ce principe, on peut aller à la limite très loin dans la modification de notre civilisation", a-t-elle jugé.

"Pourquoi pas l'autorisation de la polygamie !", a-t-elle poursuivi. "Il existe des familles polygames, pourquoi est-ce que demain un certain nombre de groupes politico-religieux ne demanderaient pas que la polygamie, sous prétexte d'égalité des droits, soit inscrite dans le code civil français ?", a-t-elle ajouté. "Et bien, c'est une autre civilisation", a-t-elle estimé.

Ces propos évoquent, bien sûr, ceux qui avaient été tenus par madame Brigitte Barèges, mais en plus sérieux. Madame Barèges faisait - elle l'a dit, alors on la croit - un mot d'esprit fort plaisant, ce qui était parfaitement souligné par cette subtile allusion aux "unions avec des animaux"... Madame Le Pen suit une ligne d'argumentation très directe en mettant en parallèle reconnaissance du mariage homosexuel et "autorisation de la polygamie", risquent de nous mener, "à la limite très loin", à une véritable mutation civilisationnelle.

Et ça, franchement, c'est pas rigolo...

Si l'on suit très strictement le parallèle établi par madame Le Pen, on peut se demander qui, dans le cas de la demande de reconnaissance du mariage homosexuel, tient le rôle de ce "certain nombre de groupes politico-religieux" prêt à se lever pour demander que "la polygamie, sous prétexte d'égalité des droits, soit inscrite dans le code civil français"...

Sur RTL, monsieur François Baroin, le très décoratif porte-parole du gouvernement, n'a pas beaucoup éclairé les chers auditeurs sur ces "groupes" qui menacent, par leurs demandes intempestives, l'avenir de notre civilisation. Il a seulement assuré que ses amis n'en faisaient pas partie.

On se sait pas si cela fait beaucoup.

"Dans mon entourage, des amis qui sont gays, je n'en connais pas un qui veut se marier."

Un telle déclaration est sans doute une manière de "couvrir" ses amis, et c'est, anéfé, un bel exemple de ce à quoi une solide et indéfectible amitié peut conduire.

Car il ne saurait être question de prendre cela pour un début d'argument.

Pas facile de toujours dire des choses intelligentes...

Heureusement, monsieur Christian Vanneste, un authentique intellectuel picdelamirandolesque, était là pour produire une argumentation de haute volée :

Le député UMP Christian Vanneste a estimé aujourd'hui dans les couloirs de l'Assemblée que le mariage entre deux personnes de même sexe était "une aberration anthropologique" car la "société doit assurer sa pérennité", le reste "étant une question de mode".

Ce n'est là que le résumé de ses propos, qui ont dû prendre, "dans les couloirs de l'Assemblée", l'allure d'une véritable leçon inaugurale d’anthropologie sommaire.

"Je ne vois pas en quoi l'Assemblée nationale doit s'intéresser à une aberration anthropologique. Il n'y a que deux sexes, les hommes et les femmes. Et la société doit assurer sa pérennité par le mariage des hommes et des femmes. Le reste, c'est une question de mode, liée à quelques lobbies qui ont manifestement beaucoup de pouvoir."

On a vu plus haut qu'aucun "des amis" de monsieur Baroin "qui sont gays" n'appartient à ces "lobbies" qui font la mode. Je tenais à le rappeler moi-même, car le rédacteur de la dépêche ne le fait pas.

En revanche, il a pris bonne note des étapes de l’argumentation déployée par monsieur Vanneste :

"Ce n'est pas parce que quelques personnes ont des comportements, disons 'curieux', que forcément la société doit s'en préoccuper."

A-t-il poursuivi.

"C'est une affaire privée, qui ne concerne pas l'avenir de la société."

A-t-il ajouté.

"C'est du plaisir sexuel, c'est du divertissement, de l'affection. En quoi cela intéresse la société ?"

A-t-il demandé.

"La société s'intéresse au mariage dans la mesure où il est lié à la procréation dans la majeure partie des cas."

A-t-il précisé.

"Ce n'est pas la première fois qu'une mode sera à la mode parce que la presse l'aura décidé."

A-t-il encore ajouté.

On sent bien qu'on arrive à des sommets de pensée tout juste décoffrée.

Mais il faut signaler que le plus "curieux" de tout cela est peut-être que monsieur Christian Vanneste a, parallèlement à sa brillante carrière politique, enseigné la philosophie au lycée industriel et commercial privé de Tourcoing.

Sans doute y a-t-il développé sa "curieuse" conception de l'anthropologie...