mercredi 4 avril 2012

Bonne qu'à ça

Devant un tel titre - Vrouz, qui n'est qu'un condensé du nom de l'auteure Valérie Rouzeau mais sonne comme un départ sur les chapeaux de roues -, je ne me suis senti conforté dans mes mauvaises habitudes de liseur de poésie.

C'est-à-dire que, découvrant un nouveau livre, il me faut le lire une première fois à toute vitesse, et si possible d'une seule traite. Histoire de voir d'abord si cela chante ou pas. Une deuxième lecture, plus nonchalante, me permet d'entendre si en chantant cela me dit quelque chose. Ensuite la (re)lecture picore ici ou là, cherche à retrouver une page mais s'égare en maraudes... cela peut durer longtemps, et le livre finit par se faire à ma main, mon œil et mon oreille...

Je sais que les recueils de Valérie Rouzeau supportent bien ce genre de traitement.


Celui-là aussi bien que les autres.

Vrouz rassemble 151 sonnets qui sont autant de brèches poétiques creusées dans la prose quotidienne du monde.

Comme dans ce sonnet 11, où s'entend l'effet du gynéco, ou l'écho du gynécée :


J'ai rêvé que mentais sur mon tour de poitrine 
En disant comme avant mais avant quoi au fait 
Bien bien installez-vous sur mon tapis volant 
Glousse la gynécologue dans la réalité 
Robert et puis Robert ça sonne un peu Dupont 
Beaucoup Dupont Dupond mais pas si rigolo 
Parce que le cœur battu en a sur lui trop gros 
Et je recycle ici l'expression d'un poteau 
Belles athlètes aux maillots de couleurs vives battantes 
Avec un numéro gagnant à votre buste 
Salut à vous toujours lancées toujours partantes 
Réveillée merle et zut il faut encore aller 
Chercher une ordonnance bonnet blanc blanc bonnet 
ABC la culotte pieds dans les étriers.

Ou dans ces "autoportraits sonnés" :


Bonne qu'à ça ou rien 
Je ne sais pas nager pas danser pas conduire 
De voiture même petite 
 Pas coudre pas compter pas me battre pas baiser 
Je ne sais pas non plus manger ni cuisiner 
(Vais me faire cuire un œuf) 
Quant à boire c'est déboires 
Mourir impossible présentement 
Incapable de jouer ni flûte ni violon dingue 
De me coiffer pétard de revendre la mèche 
De converser longtemps 
De poireauter beaucoup d'attendre un seul enfant 
Pas fichue d'interrompre la rumeur qui se prend 
Dans mes feuilles de saison.
(Sonnet 1)


Non je ne reviens pas vers vous je viens c'est tout 
 Je ne vous dirai rien autour d'un verre à pied 
Ne suis pas très causante encore moins conviviale 
Quand vos paroles sont tellement toujours les mêmes 
Interchangeables et creuses formules des tics en toc 
Vive les chiens éperdus les chats égratignés 
Les âmes errantes les fantômes distingués 
Le sourire à l'envers de la lune dans ma tasse 
J'ai l'amour spontané de mon prochain sauf quand 
Mon prochain s'intéresse de trop près à mon goût 
À ma personne gentille et froide et solitaire 
Alors là je m'éloigne à grandes enjambées 
Du buffet dînatoire où j'étais conviviée 
Et je rentre chez moi savourer mon congé.
(Sonnet 146)


Le Matricule des Anges de mars 2012 
consacre son dossier à Valérie Rouzeau.
(Et - c'est exceptionnel dans le Matricule -
le photographe n'a pu lui donner un air sinistre...)


Aucun commentaire: